Kunstenfestivaldesarts: la vie de Marc Dutroux interprétée par des enfants

Les jeunes comédiens de Five Easy Pieces de Milo Rau © Phile Deprez
Stagiaire Le Vif

Le metteur en scène et réalisateur suisse Milo Rau, connu pour son excellent théâtre politique basé sur des reconstitutions et des témoignages, revient cette année au Kunstenfestivaldesarts avec Five Easy Pieces en collaboration avec le centre d’art gantois Campo.

La particularité de la création de Milo Rau est qu’elle sera jouée par des enfants âgés de huit à treize ans. Les huit jeunes performeurs belges camperont des rôles d’adultes, mais pas n’importe lesquels. Ils interprèteront sur scène la vie du tristement célèbre Marc Dutroux bien qu’aucun d’entre eux ne devra endosser le rôle du pédophile lui-même. « Un trou noir, un vide », c’est ainsi que l’auteur considère Dutroux: suffisant pour expliquer pourquoi ce dernier n’est pas mis en scène de manière directe. La pièce reprend les étapes de sa vie, de son enfance en Afrique à la découverte de la cache où la petite Rachel, huit ans, interprète le rôle de Sabine Dardenne, l’une de ses deux dernières victimes.

« En tant que metteur en scène, c’était très intéressant de travailler avec des enfants mais c’est difficile, précice Milo Rau. Peu importe le sujet traité, ils n’ont pas l’expérience de la vie comme de la scène ni la concentration d’un comédien adulte. Nous avons beaucoup travaillé en amont sur l’histoire de la Belgique car beaucoup ne connaissaient pas l’époque coloniale ou d’autres évènements importants. Ce travail a toujours été fait de manière sérieuse avec beaucoup de respect. » Le choix du titre de la pièce, Five Easy Pieces, est à l’origine celui d’un recueil d’exercices pour pianistes débutants; il désigne donc un processus d’apprentissage systématique, un titre sur mesure.

La vérité sort de la bouche des enfants

Vingt ans après l’affaire qui a secoué toute la Belgique, le fondateur de la compagnie IIPM (International Institute of Political Murder), revient sur ces évènements pris sous un nouvel angle, le regard d’un enfant. « Notre équipe ne compte pas seulement deux personnes qui encadrent les enfants, il y a aussi une psychologue infantile. De plus, les parents ont été étroitement associés au processus de répétition, raconte le metteur en scène. Nous avons aussi pris contact avec les principaux intéressés de la véritable affaire Dutroux comme les parents des victimes, les policiers, les magistrats de l’époque pour nourrir la réflexion et constituer une base de travail. Certains nous ont aidé et considéraient que c’était important pour eux, d’autres n’ont pas souhaité prendre part à l’aventure; ce que nous avons évidemment respecté. » Son objectif est de renvoyer une image sans concession du monde: « Dans cette mise en scène, il ne s’agit cependant pas de l’horreur en tant que telle, mais des grandes thématiques derrière cette affaire Dutroux, très spécifique et misérable en définitive: le déclin d’un pays, la paranoïa nationale, le deuil et la colère qui ont suivi les crimes. » Il veut questionner, au travers de ce sujet tabou, nos vies.

L’expérience tente également de bouleverser le rapport « enfant-adulte » mais aussi le rapport « acteur-spectateur ». La réaction du public lorsque les enfants joueront des scènes d’intimité ou de violence sera, selon lui, très révélatrice des peurs et des espoirs individuels et collectifs. « Pour l’instant, la médiatisation du projet laisse place à des réactions très diverses. Certains sont choqués, d’autres voient la dimension artistique. Au théâtre, la règle veut qu’on ne juge jamais avant la première! L’idée n’est pas de faire un documentaire sur la vie de Dutroux mais de s’intéresser à d’autres thèmes plus universels, note Milo Rau. Dans le théâtre enfantin destiné aux adultes, la prédilection postmoderne pour la critique médiatique en revient à ses positions d’origine; elle redevient une critique de la réalité. »

Au-delà du fait divers, cette véritable performance artistique aborde des thèmes bien plus larges et des questions existentielles concernant l’ensemble de la population, petits et grands.

Five Easy Pieces de Milo Rau, du 14 au 22 mai au théâtre Varia dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts. Infos: www.kfda.be

Par Axelle Verstraeten

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