Jardin secret: Stéphanie Blanchoud, lord of the ring

Stéphanie Blanchoud © Johannes Vande Voorde
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Chanteuse, auteure, metteuse en scène, comédienne à la fois sur les planches, au cinéma et à la télévision, Stéphanie Blanchoud est aussi une boxeuse accomplie. Dans son seul en scène Je suis un poids plume, elle raconte et incarne d’ailleurs une renaissance sur le ring.

Jardin secret: chaque semaine, portrait d’un artiste belge par le prisme d’une passion qu’il cultive à côté de son métier. Episode bonus.

Ceux qui connaissaient Stéphanie Blanchoud dans sa facette musicale avaient eu la puce à l’oreille en 2015. Cette année-là, en novembre, la chanteuse sort son deuxième album, Les Beaux jours. Le single Décor, un duo avec le crooner flamand Daan, s’accompagne d’un clip signé par Ursula Meier, réalisatrice franco-suisse encore tout auréolée de sa nomination aux Oscars pour son long métrage L’Enfant d’en haut. Tournée de nuit dans une ancienne salle de boxe à Liège, la vidéo met en scène les deux interprètes sur un ring préalablement balayé par l’arbitre. Une fois dans le carré de cordes, après avoir fait tomber les peignoirs à capuche, elle en robe de soirée et talons, lui en costume bordeaux s’échangent non des crochets et des directs mais des pas de danse, des étreintes et des baisers. En plusieurs rounds. Jusqu’au K.O. C’est lui qui perd.

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Stéphanie Blanchoud et la boxe, c’est une passion qui dure depuis cinq ans déjà. « Je suis une grande sportive au départ, j’ai fait du tennis pendant quinze ans, mais j’ai arrêté pendant toute la période où j’étais au Conservatoire de Bruxelles. J’avais envie de reprendre un sport. Instinctivement j’étais assez attirée par les arts martiaux. Je ne sais pas très bien pourquoi. Peut-être parce qu’on m’avait souvent dit que c’était hyper complet et que j’avais un manque à ce niveau-là, même par rapport à ma formation d’actrice. Les comédiens ont quand même une petite tendance à être beaucoup dans la tête… Je suis quelqu’un avec une certaine énergie et j’ai senti que peut-être à cet endroit-là j’allais pouvoir évacuer. Un jour j’ai tapé « sport de combat » et « Bruxelles » sur Internet, et je suis tombée sur le site de la salle de Ben. »

Ben, c’est Ben Messaoud Hassen. La salle, c’est le Physical Boxing Club, rue Bodeghem, dans le centre-ville, entre Porte d’Anderlecht et Anneessens. On y pratique la boxe anglaise, celle où l’on ne frappe qu’avec les poings. Celle de Mohamed Ali, de Sugar Ray Robinson, de Marcel Cerdan et de Jake LaMotta. Un univers a priori très masculin, mais qui séduit de plus en plus de femmes. « Je m’en suis aperçue tout de suite quand je suis entrée dans cette salle: il y avait autant de filles que de garçons, se souvient Stéphanie Blanchoud. Ça m’a étonnée et en même temps rassurée. Ça l’était peut-être moins il y a cinq ans quand j’ai commencé, mais aujourd’hui ça devient très mode pour les filles de faire de la boxe parce que c’est loin de se limiter à mettre des gants et à frapper, c’est d’abord un entraînement physique qui fait travailler toutes les parties du corps pour en arriver à, peut-être parfois, faire six minutes sur un ring avec quelqu’un d’autre. »

Le Physical Boxing Club
Le Physical Boxing Club© Ben Messaoud Hassen

N’empêche, en voyant les traits délicats de la chanteuse et comédienne, on songe avec un peu d’effroi aux yeux gonflés, aux lèvres fendues et au sang sur le visage de Sylvester Stallone dans Rocky, à la face tuméfiée de Robert De Niro dans Raging Bull… La boxe, n’est-ce pas un risque trop grand pour son visage, son premier outil de travail? « J’ai un casque intégral et je ne fais pas de compétition, rassure Blanchoud. Je suis toujours entourée et encadrée pour ne pas prendre de coups. Et quand je fais un sparring avec un partenaire, c’est un sparring « au corps », où l’on ne travaille qu’au niveau du buste. »

Renaissance

« D’autres diront qu’il n’y a pas du tout besoin d’être sportif pour être acteur, mais pour moi, la plupart du temps quand j’aborde un rôle, ça passe par une recherche dans le corps, affirme-t-elle. Au niveau de mon travail de comédienne, je pense que la boxe a permis d’affiner une certaine concentration. Ça m’apporte beaucoup en termes d’appui dans le sol, de rapport à l’autre, d’explosivité dans le contact. Il y a quelque chose d’assez similaire entre le ring et la scène, avec un côté presque sacré. Un acteur qui monte sur scène prend ça au sérieux, aussi sérieusement qu’un boxeur qui monte sur le ring. On ne peut pas être à côté. Pour moi piquer un coup, c’est comme envoyer une réplique. »

À l’automne 2015, Stéphanie Blanchoud s’est lancée dans le tournage de la première saison d’Ennemi public, série produite par la RTBF au joli succès national et international (la saison 2 est mise en boîte cet automne), où elle incarne l’inspectrice Chloé Muller. « Le fait d’avoir grâce à la boxe un corps vif, « bien éveillé », m’a certainement aidée pour le rôle de Chloé. Pour préparer le tournage, j’ai eu l’occasion d’aller suivre pendant plusieurs journées une cellule de la police à Charleroi et d’assister à des formations. C’était quand même très physique. »

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Mais dans son parcours de comédienne, la boxe a surtout amené Stéphanie Blanchoud à l’écriture et à l’interprétation de Je suis un poids plume, gros coup de coeur de la saison théâtrale 2016-2017, nommé aux Prix de la Critique 2016 dont les lauréats seront dévoilés ce 25 septembre. « Au départ, je suis allée trouver Daphné D’Heur, la metteuse en scène, en disant que j’avais envie d’écrire sur la boxe. Mais je ne savais pas comment. Je n’avais pas envie de raconter l’histoire d’une future championne: ça a déjà été vu mille fois et tellement bien raconté que je ne voyais pas ce que je pouvais amener sur ce terrain-là. On a fait beaucoup d’ateliers d’écriture et de recherche autour du thème. J’avais déjà la particularité d’être une femme qui parle d’un sport plutôt lié aux mecs et je suis partie de mon histoire personnelle. J’ai découvert la boxe à un moment de ma vie un peu compliqué. On a décidé d’associer l’histoire d’une rupture amoureuse et l’histoire d’une renaissance par la boxe. Je crois au fait que l’épuisement d’un corps peut guérir un esprit, ou en tout cas réparer quelque chose, nettoyer. Une fois cette base posée, l’écriture a été limpide. »

Daphné D’Heur et Stéphanie Blanchoud sont tout de suite d’accord: sur le pitch de départ « un corps renaît parce qu’il s’épuise », le corps de la comédienne doit s’épuiser vraiment sur les planches. Dès la phase d’écriture, le seul en scène est parsemé de phases physiques, identiques à celles de l’entraînement (lire ci-dessous), et dont certaines sont doublées de texte, tout le long. Ainsi, une séquence de corde à sauter, déployant un magnifique jeu de jambes, se déroule parallèlement à différents coups de téléphone consécutifs à la séparation: il faut appeler les assurances pour les changements de nom des véhicules et annuler le week-end prévu en amoureux, séance de massage aux algues comprise. Ces petits coups de poing imparables que la vie impose quand l’amour se brise sont encaissés alors que le corps s’élève pour aller au bout de lui-même. Mais pour arriver à ce résultat époustouflant, associant si intimement la performance sportive et le jeu d’actrice, Stéphanie Blanchoud a dû doubler la fréquence de ses entraînements et a enchaîné six mois de préparation physique intensive. « Même si la respiration est quelque chose auquel on est attentif au Conservatoire et que j’ai beaucoup travaillé dans ma carrière de chanteuse, il fallait que mon niveau de cardio soit vraiment suffisant pour gérer l’effort tout en parlant, se rappelle-t-elle. On ne l’imagine pas trop mais quand on fait de la boxe, on ne parle pas du tout. L’entraînement est tellement exigeant que pendant une heure et demie, on n’a pas l’occasion de parler. On n’a pas vraiment le temps de rencontrer les gens mais on sent qu’il y a quelque chose de très collectif, de très humain. Dans la salle, il y a des personnes très différentes, tous genres confondus, tous poids confondus, et on est tous poussés vers le haut, dans un rapport à l’autre qui est très respectueux. Il y a un grand esprit d’entraide, et aussi beaucoup d’humilité. »

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Réel dans la fiction

Il n’est pas tout à fait juste de dire que Je suis un poids plume est un seul en scène. Dans la séquence finale, Stéphanie Blanchoud est rejointe par Ben. « Le seul en qui j’ai cru au bout de deux minutes », dit-elle dans le spectacle. Ben. L’entraîneur. À la fois terriblement autoritaire et plein d’amour. Et on songe, avec une pointe d’émotion cette fois, à Burgess Meredith, qui restera dans l’Histoire du cinéma comme Mickey Goldmill, avec son bonnet noir fiché au sommet du crâne, houspillant l’étalon italien Balboa, et à Clint Eastwood, recevant cette réplique de cette belle plante d’Hilary Swank, « J’ai que vous Frankie », dans Million Dollar Baby.

Ben a invité Stéphanie sur son ring, en retour, Stéphanie a invité Ben sur scène pour des enchaînements de coups soutenus par Bach, au violoncelle. « En écrivant Je suis un poids plume, la grande question était celle de la fin, explique-t-elle: est-ce que la jeune femme reste seule et boxe seule? Est-ce que quelqu’un vient? À un certain moment il a été évident pour moi que si quelqu’un me rejoignait, ça devait être le coach dont elle parle, en l’occurrence le mien. Parce que si la personne était plus jeune, on aurait pu croire que c’était son nouveau mec et je n’avais pas envie de raconter ça non plus. Et une fois que Ben monte sur le ring, je pense que tout le monde sait que c’est lui. C’était ça qui était très beau aussi, et qui nous a plu à Daphné et moi: tout à coup le réel arrivait dans la fiction. »

C’est la curiosité qui a poussé Stéphanie Blanchoud vers la boxe, mais c’est Ben qui l’a scotchée à ce sport. « Certaines personnes décident de devenir mathématicien ou prof de français parce qu’ils ont croisé dans le parcours quelqu’un qui leur a transmis quelque chose. Ben, il a ça: je vois assez rarement des gens qui viennent dans sa salle et qui n’accrochent pas. »

Confiance en soi, explosivité, respect, humilité: Stéphanie Blanchoud a les mots qui convainquent et son spectacle a déjà fait pas mal de nouveaux adeptes. Mais elle ne va pas jusqu’au cliché – très cinématographique- de la rédemption. « La boxe ne m’a pas sauvée, mais elle me guide. C’est un point d’ancrage. Après, il n’y a plus grand-chose qui fait peur. » Bam!

Je suis un poids plume sera à nouveau en tournée en mars et avril 2018, notamment à Schaerbeek, Herve et Rixensart. Toutes les dates seront annoncées sur www.stephanieblanchoud.com

Phases d’entraînement

Dans Je suis un poids plume, Stéphanie Blanchoud reprend plusieurs séquences de ses entraînements au Physical Boxing Club. Détails.

Je suis un poids plume
Je suis un poids plume© Antoine Motte dit Falisse
Timer

« L’entraînement d’une heure et demie est rythmé par le timer, où il y a trois lumières, comme sur un feu de signalisation. Vert, c’est le début de la séquence. Jaune, c’est qu’il reste 30 secondes et en général c’est le moment où l’entraîneur nous demande de faire soit des abdos en accéléré soit une accélération sur place. Rouge, ça dure une minute, c’est « le temps de récupération », où on enchaîne pompes et abdos. »

Corde à sauter

« Après l’étirement, on commence par cinq rounds de trois minutes de corde à sauter. Entre chaque round, il y a une minute « de pause », c’est-à-dire des pompes et des abdos. Ce qui est difficile dans un entraînement de boxe, c’est qu’il n’y a pas de pause du tout. Tu ne t’arrêtes jamais… J’ai mis des mois avant de savoir sauter à la corde un peu convenablement. Au début, je sautais comme dans la cour de récré. Mais à un moment donné, à force, ça se libère. »

Sac

« Le sac permet de travailler les coups quand on est en début d’apprentissage. On exerce la rapidité, l’explosivité, la puissance. Il y a des rounds où le but est de frapper le plus fort possible, d’autres où il faut juste de toucher puis s’en aller, ou encore esquiver au maximum et tourner autour. On travaille tout avec le sac. »

Paos

« Ben enfile les paos, ces grosses « pattes d’ours » dans lesquelles on frappe et on monte avec lui sur le ring pour travailler les enchaînements de coups. Droite, gauche, crochet, rotation, déplacements, esquives… Ça développe la coordination. C’est ce que je fais avec lui à la fin du spectacle. »

Sparring

« Six minutes de combat, encadré par le coach. C’est toujours un peu stressant. Même après quelques années, j’ai une mini appréhension avant de monter sur le ring. Parce que c’est la partie où on est tout à coup confronté à l’autre. Mais ce petit stress, je le ressens aussi avant de monter sur scène, ou avant d’arriver sur un plateau de tournage. »

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