[Critique théâtre] Trip à la sauce indonésienne

© Laura Van Severen
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans le cadre d’Europalia Indonesia, la chorégraphe Meg Stuart -à qui vient d’être décerné le Lion d’Or de la prochaine Biennale de Venise pour l’ensemble de sa carrière- offre un trip vers le primordial. Pas de danses traditionnelles ici, mais une performance qui saisit les sens et emmène loin.

Avec Celestial Sorrow, la chorégraphe américaine basée à Bruxelles et Berlin Meg Stuart ouvre les portes d’un monde régi par des forces autres que celles de la raison. On y entre, ou on n’y entre pas, mais plusieurs éléments aident à en franchir le seuil. Il y a tout d’abord la lumière, à travers l’installation de l’artiste indonésien Jompet Kuswidananto qui, dans le cadre d’Europalia, vient tout juste de clôturer une exposition au MAC’s. Plus d’un millier d’ampoules combinées à des lustres forment une voûte céleste artificielle qui impressionne d’emblée. Combinée au light design de Jan Maertens, cette constellation offre mille variations, d’une clarté aveuglante à l’obscurité totale. Ensuite il y a le son, prégnant, dispensé depuis deux des coins de l’espace par le guitariste indonésien Ikbal Simamora Lubys (autre rencontre sous la bannière d’Europalia) et la DJ et artiste sonore japonaise Mieko Suzuki. La musique enveloppe dès le départ artistes et spectateurs à la manière de vagues de basse lancinantes pour se faire ailleurs davantage percussive et stimuler la danse voire la transe. Les costumes aussi, signés par l’intrépide créateur bruxellois Jean-Paul Lespagnard, qui ne recule devant aucun mélange de styles et aucun imprimé, aident à pénétrer dans une autre dimension. Comme dans cette séquence finale où Gaëtan Rusquet évolue perché sur des chaussures aux semelles triangulaires -pointe vers le bas, base vers le haut, sinon ce serait trop facile.

Soutenus par ce contexte hors du commun, les performers -deux filles, Jule Flierl et Claire Vivianne Sobottke complètent l’équipe- se donnent corps et âme, usant genoux et cordes vocales, à travers différents tableaux. Ils tournent comme de lentes toupies en explorant les possibilités du langage non articulé, se roulent dans une couverture qui aurait été tricotée avec des guirlandes de Noël dorées, décrivent verbalement dans le noir des images plus mentales que réelles avant de former une procession accessoirisée de gadgets lumineux ultra kitsch, avec un hypnotique manteau autoéclairant multicolore. Hétéroclite et semé d’humour, l’ensemble laisse surgir pour celui qui veut s’y perdre un monde oublié, en deçà, au-delà du quotidien. Invisible mais bien là.

Celestial Sorrow, jusqu’au 24 janvier aux Kaaistudio’s à Bruxelles (complet, liste d’attente), www.kaaitheater.be

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