[Critique théâtre] Retour à Tchernobyl

L'Herbe de l'Oubli, Cie Point Zéro, Théâtre de Poche, Bxl, janvier 2018. © Véronique Vercheval
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Trente ans après la catastrophe de Tchernobyl, la compagnie Point Zéro est retournée sur les lieux. Des témoignages recueillis là-bas, elle tire L’Herbe de l’oubli et pose de manière intelligente et sensible, entre vidéo, acteurs en chair et en os et marionnettes, la question de l’après.

En 1997, la journaliste biélorusse Svetlana Aleksievitch publiait La Supplication, sur base de centaines de témoignages récoltés au cours des dix années qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl. Sous-titré Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse, l’ouvrage a servi de guide à Jean-Michel D’Hoop et à sa compagnie Point Zéro pour construire cette Herbe de l’oubli. L’équipe est partie en 2017 en Ukraine et en Biélorussie à la rencontre des survivants et de leurs descendants. Ils les ont interviewés, ils les ont filmés. C’est leur parole qui est donnée à entendre, incarnée par cinq acteurs à la manière du théâtre verbatim (mot pour mot, hésitations, lapsus et recouvrements compris). Ce sont ces images qui sont projetées, par intermittence, sur le rideau servant d’écran.

L'Herbe de l'Oubli, Cie Point Zéro, Théâtre de Poche, Bxl, janvier 2018
L’Herbe de l’Oubli, Cie Point Zéro, Théâtre de Poche, Bxl, janvier 2018© Véronique Vercheval

Ainsi sort de l’oubli (Tchernobyl signifie en russe « absinthe », soit « l’herbe de l’oubli » du titre) une population empoisonnée, malade, qui a vu son rapport à la nature complètement bouleversé, du jour au lendemain. « Il s’est produit un événement pour lequel nous n’avons ni système de représentation, ni analogies, ni expérience, déclare une femme en voix off au début du spectacle. Un événement auquel ne sont adaptés ni nos yeux, ni nos oreilles, ni même notre vocabulaire. Tous nos instruments intérieurs sont accordés pour voir, entendre ou toucher. Rien de cela n’est possible. » À Tchernobyl, le danger est incolore, inodore, imperceptible. Bien qu’inoffensif en apparence, l’environnement est devenu toxique. Et ces personnes elles-mêmes sont devenues sources de contamination. « Sincèrement, je sais pas si mes filles vont réussir à se marier », déclare Tatiana, médecin bien consciente des enjeux. Ainsi est posée, de manière directe et cruelle, la question de l’avenir des enfants de Tchernobyl.

Cette menace qui plane, cette monstruosité invisible sont judicieusement traduites sur scène par des marionnettes -marque de fabrique de la compagnie Point Zéro- de différentes tailles et utilisant différentes techniques. Particulièrement saisissante est cette femme prenant vie d’une robe, d’un collier de perles et d’une tête couleur terre, petite, chauve, comme un crâne momifié mais aux yeux brillants. On est aussi marqué par cette séquence où des habitants retournent dans leur village enterré par les autorités et depuis recouvert par la forêt. Le passage de l’homme a été balayé par la nature qui a repris ses droits.

L’Herbe de l’oubli interroge de manière frontale sur une énergie qui nous concerne tous, dont on connaît les dangers, mais dont la sortie, comme l’actualité le soulignait encore début décembre, est sans cesse repoussée. Secouant.

L’herbe de l’oubli, jusqu’au 3 février au Théâtre de Poche à Bruxelles, www.poche.be

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