[Critique théâtre] Bruxelles, deux ans après

Bruxelles, printemps noir, de Jean-Marie Piemme et Philippe Sireuil © Alice Piemme
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Avec une foule bigarrée de comédiens et une efficace sobriété, Philippe Sireuil met en scène le kaléidoscope écrit par Jean-Marie Piemme autour des attentats de Bruxelles. Bruxelles, printemps noir pose questions de façon sereine, drôle parfois, jusqu’au fantastique.

Bruxelles, printemps noir est comme une mosaïque. Une multitude de petits morceaux de couleurs et de formes différentes, assemblés dans une composition plus grande dont la forme s’apprécie en prenant un peu de recul. C’est par touches, introduisant sa pipette ça et là pour capter des gouttelettes de réel, que l’écrivain belge Jean-Marie Piemme a choisi d’aborder un fait d’actualité, les attentats terroristes. Une première version, intitulée Métro 4, a été écrite en 2007, après les attaques visant Madrid (2004) et Londres (2005). Dans un geste prémonitoire, l’auteur imaginait les conséquences d’une bombe qui exploserait à Bruxelles, dans la station de métro Porte de Namur. Le 22 mars 2016, la réalité a rattrapé la fiction. Piemme a alors réécrit sa pièce, de manière à ce que « la scène redonne à la réalité un visage d’invention », comme il le dit lui-même en tant que personnage s’invitant dans sa propre création, sous les traits de Janine Godinas en portrait craché.

À 76 ans, cette dernière est la doyenne d’une équipe de 19 comédiens, où l’on retrouve des têtes bien connues comme Itsik Elbaz, Jean-Pierre Baudson, France Bastoen, Soufian El Boubsi, Patrick Donnay, Isabelle De Beir ou encore Ben Hamidou, et de jeunes pousses comme Maude Fillon et Charlotte Leblé. Un foisonnement d’acteurs devenu rare sur nos scènes et qui découle du contexte de création de Métro 4, écrit pour une classe de l’Insas. « Pour une fois que j’avais 25 personne à ma disposition, je n’allais pas me gêner », nous expliquait Piemme l’été dernier (lire aussi son portrait).

Il y a donc foule sur les planches des Martyrs. Foule des victimes d’abord. Trente-deux, dont les hypothétiques dernières pensées ou derniers mots s’impriment en plusieurs langues en ouverture, dits par une voix off. Bruxelles, printemps noir confère aux disparus une épaisseur fictionnelle tout en s’attelant à la tâche, énorme, d’un parcours panoramique post-attentat. On se glisse chez les politiciens, chez les flics sommés d’avoir des résultats, parmi les journalistes d’une chaîne de télé, chez une jeune fille voilée qui risque de perdre son emploi de baby-sitter à cause des amalgames ou encore dans une famille où le fils se sent vaincu par l’impuissance. Mais on s’éloigne aussi du réel dans les séquences les plus drôles et sans doute les plus réussies du mille-feuille. Cheveux dressés et manteaux à poils, les trois Parques de la mythologie grecque se la jouent sexy ladies. En robe noire à crinoline, Jean-Pierre Baudson est la Mort faisant l’appel. Et une des victimes, ensanglantée mais joviale, apparaît au Premier ministre en plein discours, lui faisant perdre les pédales.

Il faut un peu de temps pour rentrer dans cet ensemble composite, pour se faire à son principe de ruptures. Mais on se laisse prendre pour revivre, en fiction, un événement qui a laissé des blessures encore ouvertes, à panser.

Bruxelles, printemps noir: jusqu’au 31 mars au Théâtre des Martyrs à Bruxelles, www.theatre-martyrs.be

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