Yoyo Yéyé

Swanny Elzingre, Anna Jean et Agnès Imbault (de gauche à droite), les trois filles yéyé de Juniore. © © SANDRA MATAMOROS
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Guitares surfs, pop acidulée, refrains bubblegum: les filles de Juniore piochent dans les années 60 pour un premier album qui picote sur la langue. Salut les copains !

Les apparences sont parfois trompeuses. De la voix monocorde entendue sur le premier album de Juniore, on s’était fait volontiers l’image d’une chanteuse un peu poseuse, un peu boudeuse. Erreur. Quand on la rencontre sur la terrasse d’un hôtel saint-gillois, Anna Jean n’est rien de tout ça. Affable, elle se raconte à la coule, sans effet de manche, avec même une pointe d’humour autoflagellatoire charmant. « C’est vrai que sur scène, les gens sont parfois surpris. Ils s’attendent à un certain personnage et se retrouvent devant une chanteuse un peu gauche, réservée, qui bafouille entre les morceaux. » On comprend mieux: ce qui peut passer par moment pour une distance parigote un peu blasée n’est en fait qu’une forme de timidité… « Ou de fatalisme. Il en faut pour sortir son premier album à 35 ans », rigole-t-elle. En vrai, elle en fait, au minimum, cinq de moins.

Anna Jean est la chanteuse et principale auteure-compositrice du groupe Juniore. Pour la scène, elle a repris le nom de sa mère, Marocaine débarquée en France dans les années 60. Sur son passeport, par contre, il est indiqué Anna Le Clézio, comme l’écrivain nobellisé, dont elle est la fille cadette. « Déjà que je ne me sens pas toujours légitime dans ce métier, je ne voulais pas en plus que l’on porte éventuellement de l’intérêt à ma musique pour les mauvaises raisons… » Passons. Le véritable effet de curiosité suscité par le premier LP de Juniore est ailleurs. Principalement dans son obsession pour les sixties et, en particulier, ses accents yéyé. Tout en guitares « surf », le premier album de Juniore s’intitule Ouh là là et comprend un morceau baptisé Un twist (et un autre, Ça balance). Frange à la Françoise Hardy (période Tous les garçons et les filles), Anna Jean chante également des mots aussi désuets que « voyou » ou « ça m’embête »

Dans une époque qui raffole du recyclage, le trip sixties n’est pas le moins surprenant des rétropédalages. Des rééditions alternatives (les compilations Born Bad Records) à la canonisation de la bande de Salut les copains (Johnny, Sylvie…), en passant par l’intérêt à l’international (les premiers morceaux de Juniore sont sortis sur Burger Records, le label garage US), les French rockeurs bubblegum des années 60 se retrouvent aujourd’hui cités un peu partout. En particulier par la jeune génération. Et certains d’évoquer même l’émergence d’une vague post-yéyés -des Limiñanas en passant par des groupes comme Feu! Chatterton ou La Femme (des potes d’Anna Jean). « On me demande souvent si ça ne me gêne pas d’être assimilée à tous ces noms. Comme si l’idée de scène avait forcément une connotation négative. Personnellement, je trouve ça au contraire hyper agréable. J’aime l’idée d’être raccrochée à des gens que j’aime, aussi bien artistiquement qu’humainement. »

Golden age

Précision: dans le chef d’Anna Jean, la démarche rétro n’est pas qu’une marotte vintage. En l’occurrence, elle a d’abord démarré comme une réaction au mal du pays. Une manière de se raccrocher à une identité française qu’Anna Jean a toujours partagée avec son enfance américaine. « J’ai grandi principalement au Nouveau-Mexique. Ce n’est qu’à quinze ans que je suis retournée vivre en France, à Nice, chez ma grand-mère. Il y a quatre ou cinq ans, j’ai quand même voulu retourner aux États-Unis pour obtenir ma naturalisation américaine -jusque-là, on était sous la carte verte de mon père. Le Nouveau-Mexique, c’est chez moi, j’adore cet endroit. Mais de retour sur place, c’est… la France qui a commencé à me manquer. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire des chansons en français, et à regarder des vidéos de France Gall en boucle sur YouTube. »

Référencé, Ouh là là multiplie les citations sans s’y noyer. Quitte à ce que la frontière entre hommage appuyé et pastiche se floute par moment. Comme, par exemple, sur le morceau En retard, décalque du fameux 7 heures du matin de Jacqueline Taïeb. « Je l’adore! Pour être honnête, ce titre, je l’ai presque écrit pour qu’elle l’écoute… Au final, je crois qu’elle l’a entendu, je ne suis pas certaine… De toute façon, j’ai prévu de lui envoyer une lettre d’amour. » Au final, avec ses riffs garage (Extralucide), ses wap-doo-wap surannés (Le Cannibale), ses coulées d’orgue vintage (Tu vas, tu viens), Ouh là là est en fait typique de ces disques sixties qui n’auraient pas pu sortir à un autre moment qu’aujourd’hui… « Ce que j’ai en tête, c’est une époque idéalisée, merveilleuse, bâtie notamment sur les souvenirs de mes parents. Mais c’est un fantasme. Si l’on regarde un peu plus dans le détail, c’était évidemment aussi une période très compliquée. Pour les femmes notamment. » Par exemple dans le business musical, où elles étaient souvent réduites au rôle de muses, marionnettes manipulées par des auteurs démiurges tout-puissants. « C’est vrai. Mais est-ce que Rihanna ou Miley Cyrus le sont moins aujourd’hui que ne l’était Sheila à l’époque? Je ne suis pas certaine. Dans mon cas, je suis ma propre marionnette, je tire moi-même les fils de mon personnage. »

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Le « e » de Juniore n’est évidemment pas non plus un hasard. Rejoint par Samy Osta en studio (et parfois sur scène), Juniore reste d’abord un trio. Complété par Agnès Imbault (claviers) et Swanny Elzingre (batterie), il est entièrement féminin. Pas forcément féministe. « Disons que je ne me retrouve pas toujours dans le féminisme tel qu’il est souvent défini aujourd’hui. Après, je ne peux pas nier que c’était en effet une volonté d’avoir un groupe de filles, avec en tête l’idée que ça devienne banal. Comme ça l’est pour les groupes de garçons: on ne pose jamais la question à la plupart des groupes pourquoi il n’y a que des mecs… ».

JUNIORE, OUH LÀ LÀ, DISTR. LE PHONOGRAPHE.

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