Serge Coosemans

Yo à Bozar: appropriation culturelle ou putain de job d’été?

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans n’aime pas plus le hip-hop que l’huile de foie de morue, c’est comme ça. Il ne lui viendrait malgré tout jamais à l’esprit de lui nier sa place de mouvement culturel global, durable et de premier ordre. Qui peut donc s’étudier à l’université et s’inviter dans les musées. Le hic, c’est que ce n’est pas l’avis de tout le monde. Choux rouges, rap game et questions d’un autre âge, c’est le Crash Test S02E37.

Quand je dis que je n’aime pas le rap, tout un tas de gens essaye toujours de me persuader que j’ai tort et tout un tas d’autres que je suis devenu très ringard. C’est étonnant, je trouve. Ne pas aimer le rap passe systématiquement pour raciste, obtus, réac, en tous les cas suspect, alors que se foutre du métal, conchier le zouk, clamer que « le disco, c’est pédé », détester « la musique boumboum des didjizzes » ou encore le reggae « parce que c’est toujours la même chose » reste socialement davantage accepté. Ne parlons même pas de chanson française, c’est presque un devoir moral de la détester. Je ne suis pas Éric Zemmour, pourtant. Lui n’aime pas le rap parce qu’il considère que c’est de la musique dégénérée faite par des dégénérés pour des dégénérés (kikou, Goebbels). Moi, je n’aime pas le rap comme je n’aime pas les brocolis, le foie de veau, l’huile de foie de morue, les choux rouges, le nasi goreng ou tiens, justement, le métal. Je n’aime pas Donald Trump, Theresa May, la NVA et le FN pour des raisons précises. Je peux l’expliquer. Par contre, je n’aime pas le foie de veau, le rap et le métal parce que c’est comme ça et puis c’est tout. Ça ne fait pas de moi un hater, un cas social, un nazi. Je ne vois même pas pourquoi je devrais me justifier. Ce n’est rien de plus qu’une question de goût. De plus, j’ai beau me foutre pour ainsi dire complètement du hip-hop, à une vingtaine d’albums près, il ne me viendrait malgré tout jamais à l’esprit de lui nier sa place de mouvement culturel global, durable et de premier ordre. Qui peut donc s’étudier à l’université et s’inviter dans les musées. D’où un certain étonnement de ma part quand suite à un article d’Elisabeth Debourse dans un récent Paris Match sur l’expo Yo à Bozar, certains habitués des réseaux sociaux se sont mis à très sérieusement polémiquer autour d’une question posée dans le papier qui me semble pourtant vraiment issue d’un autre âge, à savoir: « Les cultures urbaines sont-elles faites pour être affichées en galerie? »

C’est bien simple, je ne comprends même pas comment, au XXIe siècle, on peut encore se poser cette question. On parle d’un mouvement majeur là depuis plus de 35 ans, 50 si on compte les Last Poets; pas de quelque chose de faiblard et volatil qui risquerait vite de se dénaturer dès qu’officialisé par les institutions. Sans même vouloir jouer la carte de la provocation, j’oserais même dire que les « cultures urbaines » relèvent assez souvent d’une forme d’art brut et s’inscrivent donc dans une certaine tradition. Qu’elles entrent « au musée » est dès lors tout à fait logique. Et bien meilleur pour leur « santé artistique » que d’être cooptées par MTV, les radios commerciales et les majors de l’industrie musicale. La commercialisation, le mainstream, pèsent bien davantage sur la qualité du game qu’une soi-disant reconnaissance officielle. Dans l’histoire du hip-hop, y compris local et underground, je n’ai d’ailleurs pas l’impression qu’un partenariat à durée déterminée avec une institution de type Bozar soit vraiment une étape importante de son histoire. Certes, le Bozar reste un lieu toujours symbolique de l’establishment mais ça fait maintenant une bonne quinzaine d’années que l’institution culturelle s’est « désacralisée » et s’est ouverte aux cultures réellement contemporaines. Je ne pense donc pas qu’une expo hip-hop de juillet à septembre 2017 puisse encore être perçue comme une remise de médaille, une reconnaissance officielle, un big up franc-maçon aux sauvageons du district dix-trente. C’est juste un putain de job d’été.

« Est-ce vraiment le rôle de l’institution érudite, mais classique, de se poser en experte du rap belge? », continue pourtant Elisabeth Debourse dans son article pour Paris Match. Déjà, on peut donc avancer que l’institution n’a plus grand-chose de classique. Je ne pense pas non plus qu’elle ait la prétention de l’érudition. Il y a juste une garantie de travail (en principe) sérieux. En tout cas, plus sérieux que si c’était une maison de disque ou un manager qui se chargeait de monter une exposition avec des idées promotionnelles derrière l’oreille. Une expo sur un sujet aussi complexe que le hip-hop bruxellois ne peut de toute façon que tenir de la mise en bouche. J’irais même plus loin: je pense que servir des hors-d’oeuvre est le rôle primordial d’une exposition. Ne jamais gaver le visiteur d’une information définitive mais lui ouvrir l’esprit, lui secouer sa curiosité, lui allumer l’envie d’en savoir plus. Il y a quelque chose d’assez déplacé, de capricieux même, à attendre de sortir d’une exposition en sachant tout du sujet exposé. Approfondir, cela se fait chez soi, en différé, devant un ordinateur, le pif dans les bouquins, les oreilles bien ouvertes. On ne va pas (on ne devrait pas, du moins) voir une expo pour lui décerner des cotes sur les réseaux sociaux, y acheter des cartes postales et s’y faire tirer la balle devant une toile afin de se faire mousser sur Instagram. On y va (on devrait, du moins) pour que se provoquent sous le scalp des mindfucks.

Bien sûr, on n’est jamais à l’abri du pur mercantilisme, de l’appropriation plus toc qu’éthique et même du tout grand n’importe quoi. Et c’est très bien de le dire. Cash. Par contre, quand la critique de Paris Match s’enrobe de questions du genre « Pourquoi, finalement, vouloir à tout prix réunir ce que tout oppose? », je me demande quand même où on est. Tenter des alchimies (faussement) improbables, n’est-ce pas la meilleure façon d’éventuellement réussir quelque chose d’inédit et d’inattendu? Réunir ce que tout oppose, n’est-ce pas précisément là le rôle d’une institution culturelle de premier ordre? Et puis, le temps d’events ratés ou au contraire très réussis, au moins, a-t-on déjà vu du rock’n’roll, de la techno et du hip-hop à Bozar… Alors que de la peinture du XVIIe et de la musique classique dans nos grands temples de l’underground soi-disant très ouverts, on attend toujours. Nananère.

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