Velvet Underground: Paris tire le portrait du groupe mythique qui a dynamité les sixties

The Velvet Underground et Nico avec Andy Warhol, Hollywood Hills, 1966. © Gerard Malanga courtesy Galerie Caroline Smulders Paris
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

L’avant-gardiste et déviant groupe new-yorkais emmené par John Cale et feu Lou Reed s’expose jusqu’au 21 août à la Philharmonie de Paris. Visite de l’événement multimédia consacré au Velvet Underground et discussion avec son commissaire Christian Fevret.

« Amérique quand mettrons-nous un terme à la guerre humaine? Va te faire foutre avec ta bombe atomique. Je ne me sens pas bien, ne viens pas m’embêter. Je n’écrirai pas mon poème tant que je n’aurai pas toute ma tête. Amérique quand seras-tu angélique? Quand enlèveras-tu tes vêtements? Quand te regarderas-tu depuis la tombe? Quand seras-tu digne de ton million de Trotskystes? » Après la Seconde Guerre mondiale, dans la lessiveuse consumériste américaine, des artistes et intellectuels refusent le sourire forcé. Allen Ginsberg, dont le texte America ouvre l’exposition immersive et multimédia consacrée au Velvet Underground à la Philharmonie de Paris, est évidemment de ceux-là. Comme Fred McDarrah, photographe du Village Voice dont les formidables clichés en noir et blanc, juste à côté, montrent le New York de l’époque. Ludlow Street où Lou Reed et John Cale partagent un appartement. Mais aussi les figures mythiques, plus ou moins célèbres alors, qui arpentent les rues et les bars de Greenwich Village. Woody Allen et Moondog, Karen Dalton, Fred Neil, Bob Dylan…

Au début des sixties, dans une Grosse Pomme un peu pourrie où grouillent les vers de la crise, Greenwich Village est le point de rencontre des artistes et intellectuels les plus contestataires. Antimilitaristes, anticapitalistes… C’est LE lieu de rassemblement de la génération perdue. S’y croisent musiciens expérimentaux et cinéastes underground, poètes en marge et jeunes gens refusant les diktats de la norme hétérosexuelle. Lou Reed et John Cale s’y sentent comme des poissons dans l’eau. Eux que peu de choses semblent rapprocher. Lou, c’est la famille juive de la classe moyenne, l’ennui de Long Island, l’étudiant en littérature, provocateur-né et asocial perturbé. L’opium pour soigner son asthme à même pas dix ans et les électrochocs à 17 pour le faire rentrer dans le droit chemin. John, c’est le fils de mineur gallois, le prodige repéré à onze ans par la BBC. Proche de l’avant-garde et du mouvement d’art contemporain Fluxus qui touche autant aux arts visuels qu’à la musique et la littérature.

Entre un film de dix minutes sur Nico (« elle a quitté le groupe comme elle y était entrée, par hasard », déclare son guitariste Sterling Morrison), une photo d’un Lou Reed tout jeunot et propret tirée de l’Almanach de l’unif de Syracuse et des copies de ses premiers 45 tours, on écoute au fil de l’expo et sur des bornes les morceaux qu’il a mis en boîte sous le nom de The Primitives et The Roughnecks. Les premiers enregistrements expérimentaux de Cale. Leurs nombreuses sources d’inspiration aussi: Ike et Tina Turner, James Brown, Sam Cooke, Ornette Coleman, John Coltrane… Puis, plus loin, des démos de Waiting for the Man et d’Heroin.

« Je me suis très vite rendu compte que parler des artistes qui ont côtoyé le Velvet, de New York aussi, était indispensable pour comprendre cette histoire, explique Christian Fevret, co-commissaire, fondateur à 22 ans du magazine Les Inrockuptibles dont il a longtemps été directeur de rédaction. L’enracinement dans cette culture, cette contre-culture dont il est le rejeton, lui donne une ampleur particulière. Le Velvet, c’est l’alliance de deux personnalités antinomiques, d’une ville, d’un entourage, d’influences. De gens différents dans leur mode d’expression mais qui veulent s’affranchir. »

Au départ, Fevret, qui avait déjà bossé en 1990 sur le catalogue d’une exposition Velvet à la Fondation Cartier (« alors qu’elles venaient d’être installées, je décrochais les pièces des murs pour en faire des scans à quelques jours du vernissage ») rêvait d’une expo photo. Mettre en lumière le travail des Stephen Shore, Nat Finkelstein, Billy Name… C’était sans compter sur l’ambition de la Philharmonie de Paris.

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Interprétation contemporaine

Affiche de leur premier concert, exemplaire de l’ouvrage sur les pratiques sexuelles déviantes auquel ils ont emprunté leur nom et qui leur fait abandonner celui des Warlocks… Il y a même derrière les vitrines l’enveloppe contenant le premier Velvet et le premier Nico envoyés à la Radio Corporation of America et retourné à leur manager Paul Morrissey. Textes en rupture avec la morale publique (drogues dures, perversions sexuelles), expérimentation musicale… En avance sur son temps, le Velvet Underground n’a pas connu un vif succès de son vivant. Au milieu des années 80, ses disques demeuraient d’ailleurs introuvables. The Velvet Underground & Nico, l’album à la banane, est resté indisponible pendant quasiment deux décennies. Depuis sa sortie en 1967 jusqu’aux premières rééditions. « A l’époque, le Velvet est demeuré extrêmement confidentiel. On parle de quelques milliers, quelques dizaines de milliers tout au plus, de disques vendus. C’était dur dans les seventies d’expliquer le Velvet. Et même de pouvoir l’écouter. David Bowie s’est occupé de son cas. A pris Lou Reed sous son aile. Mais si les réinterprétations de ce dernier ont suscité la curiosité, il a entretenu le mystère et pas vraiment éclairé son passé. Pendant quinze ans, les curieux ont eu du mal à épancher leur soif. Internet n’existait pas. »

Au milieu de l’exposition trône une structure en bois aux allures de grande tente. Sur les quatre pans de son toit sont projetés des films de Danny Williams et de Ronald Nameth qu’on peut mater en en faisant le tour ou allongé à l’intérieur… « Le rock est compliqué à exposer parce que son essence ne se muséifie pas, note Fevret. Il y a une contradiction inhérente avec ce qu’il représente. Lui veut s’échapper du musée, en faire tomber les murs. On a donc voulu éviter le cadre révérencieux et nostalgique, la copie de l’époque, pour lui offrir une interprétation contemporaine. »

La collecte d’informations et de matériel n’a pas été difficile mais elle a pris du temps. « Tout est dispersé, éparpillé. Il n’existe pas comme pour Bowie de grand hangar qui rassemble tout ce qui concerne le Velvet. Mais en tournée, Sterling Morrison découpait les articles du jour dans la presse locale pour les envoyer à sa femme qui en a fait des scrapbooks. J’ai aussi pu compter sur Gerard Malanga, Jonas Mekas, John Cale lui-même. Ils sont chacun à leur manière des témoins de cette histoire. Mais en plus d’être des témoins, ce sont des artistes. »

Le Velvet Underground filmé par CBS News pendant le tournage du film de Piero Heliczer Venus in Furs en 1965.
Le Velvet Underground filmé par CBS News pendant le tournage du film de Piero Heliczer Venus in Furs en 1965.© Adam Ritchie

Electrochocs

Documents, films, lettres, photos, costume en velours de Sterling… Christian Fevret a fini par mettre la main sur un joli trésor. Notamment en convaincant la jeune soeur de Lou Reed de lui apporter sa contribution. Merrill Reed s’est d’abord montrée réticente, refroidie par quelques contrevérités dans le dossier préparatoire. Elle a finalement adhéré au projet et s’exprime dans le film de 12 minutes réalisé par Allan Rothschild qui raconte en parallèle la jeunesse de son frangin et celle de John Cale. « Elle a des traits de caractère en commun avec son frère. Elle restait assez distante et n’avait jamais parlé à un journaliste de sa vie. Quand elle a constaté qu’il n’y avait aucune volonté de manipulation de notre part, elle a finalement été heureuse de confier sa vision des choses. »

Elle livre sa version de l’enfance de Lou sur laquelle le principal intéressé a laissé planer le doute pour mieux alimenter la légende. « De nombreux récits plus ou moins fantasques et fantasmés relatent cette époque et cette fameuse séance d’électrochocs dont il a été victime. Comme Merrill l’explique, Lou a eu une enfance et une adolescence difficiles. Quand il quitte Brooklyn, il est rejeté par ses camarades. C’est un ado pas bien dans sa peau qui se réfugie dans la littérature, le rock et les substances illicites au point d’échapper à la compréhension de ses parents. Ils ont fait appel au psychiatre du moment qui a proposé ces électrochocs aussi sec. Je pense qu’il leur en a voulu très longtemps. Mais c’est lié au désarroi, à l’état de la psychiatrie de l’époque, au rapport médecin-patient. »

Concerts, projections, conférences… Plusieurs événements sont venus se greffer sur l’exposition. Etienne Jaumet et Peter « Sonic Boom » Kember ont signé une création autour de La Monte Young. Dean Wareham (Luna) a dirigé un supergroupe réunissant Tom Verlaine (Television), Martin Rev (Suicide), Eleanor Friedberger (The Fiery Furnaces) et Bradford Cox (Deerhunter) pour accompagner en musique quinze films d’Andy Warhol… Run run run? Cool it down? Que vous ayez deux heures ou une demi-journée à tuer sur Paris, l’expo Velvet mérite bien un petit crochet par le parc de La Villette.

EXPOSITION THE VELVET UNDERGROUND, NEW YORK EXTRAVAGANZA. JUSQU’AU 21 AOÛT À LA PHILHARMONIE DE PARIS.

L’étoile mystérieuse

Dans Nico, femme fatale, Serge Féray retrace l’énigmatique parcours de la chanteuse, actrice et mannequin à la voix lugubre et à la beauté glacée introduite par le Velvet.

Nico au Delmonica, New York, 1966.
Nico au Delmonica, New York, 1966.© Adam Ritchie

« Il fallait au groupe quelque chose de beau pour contrebalancer le genre de laideur stridente qu’il essayait de vendre et combiner à cela une fille vraiment magnifique, debout devant cette décadence, était ce qu’il fallait. » Ces mots extraits de Nico, femme fatale, repris de Up-Tight, The Velvet Underground Story, sont de Paul Morrissey, bras droit d’Andy Warhol et un temps manager du Velvet Underground. A l’époque, Morrissey a dû batailler pour convaincre Lou Reed de laisser chanter la splendeur blonde sur trois des onze titres du premier Velvet. Alors que son travail artistique et musical est réduit à peau de chagrin, elle touche à elle seule les 100 dollars que les quatre autres membres du groupe doivent se partager.

La manipulatrice, qui a déjà été chassée lorsque paraît l’album culte à la banane, n’est que l’une des différentes Nico racontées par la bio de Serge Féray. Superstar warholienne, modèle des films expérimentaux de Philippe Garrel, chanteuse, actrice, muse, mannequin, mère d’un des fils d’Alain Delon… La longiligne Allemande a vécu 1000 vies et se fait ici tirer le portrait en long, en large et en travers. Née le 16 octobre 1938 à Cologne et morte à même pas 50 ans, le 18 juillet 1988, sur l’île d’Ibiza, Christa Päffgen est une énigme. Une icône d’autant plus mystérieuse qu’elle a souvent dans ses récits pris ses libertés avec la réalité. « Soucieuse de se rajeunir, elle s’est fait naître en 1939, 1942, 1943 ou même 1945, gommant la guerre de sa biographie. Elle s’est inventé des parents espagnol et yougoslave, une mère opiomane, des ancêtres russes, mongols, un père d’origine polonaise ou turque, archéologue ami du Mahatma Gandhi, soufi, derviche tourneur, fusillé sur ordre personnel de Hitler après avoir déserté la SS, mort dans un camp de concentration parce qu’il combattait le régime. » Qu’en est-il d’ailleurs de ce prétendu viol alors qu’elle n’a que treize ans par un sergent noir américain conduit à la potence et qu’elle utilise pour justifier son racisme? Les membres toujours en vie de sa propre famille n’en ont jamais entendu parler.

Vendre le suicide

Velvet Underground: Paris tire le portrait du groupe mythique qui a dynamité les sixties

Tentant de discerner le vrai du faux, Nico, femme fatale raconte ses relations avec Jackson Browne (qui quitte un jour la scène en plein concert), Leonard Cohen, Jim Morrison… Il se penche sur sa carrière solo: Chelsea Girl vendu à 450 exemplaires entre le 1er septembre 1968 et le 14 février 1969, The Marble Index, sa déclaration d’indépendance (« on ne peut pas vendre le suicide », dira John Cale quant à son échec commercial). Il décortique ces albums, de manière parfois un peu laborieuse, chanson par chanson, comme il décrypte le cinéma de Warhol, revenant d’ailleurs sur le presque assassinat d’Andy par Valerie Solanas.

Féray réussit à donner une idée de ce personnage éminemment complexe. Un personnage insaisissable qui déclare « je pense que les femmes sont inutiles; j’aimerais détruire tout le MLF; elles m’emmerdent » alors qu’elle est « la première fille du rock à monter sur scène pour chanter ses propres compositions, sans guitares électriques comme Suzi Quatro, sans minijupe comme Tina Turner, mais avec sa seule poésie aux influences désuètes, sa musique lancinante, presque liturgique, et les robes amples dans lesquelles elle cache sa beauté ». Un ouvrage tour à tour passionnant et un brin rébarbatif.

NICO, FEMME FATALE, DE SERGE FÉRAY, ÉDITIONS LE MOT ET LE RESTE, 304 PAGES.

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