Serge Coosemans

Un samedi soir bien ordinaire dans la vie de noctambules portés sur la pochetronnade

Serge Coosemans Chroniqueur

À la fin d’un janvier traditionnellement pépère et avant un février à l’agenda noctambule extrêmement chargé, c’était l’ouverture de la saison de la chasse, ce week-end à Bruxelles, estime notre chroniqueur. Beaucoup de connaissances, beaucoup de coups, sans aucun alibi culturel. Sortie de route, S02E19.

À 22 heures pétantes, ce samedi, je pousse une porte du Beursschouwburg avec l’idée d’y voir quelques connaissances aux platines et elle ne s’ouvre pas. J’en essaye une autre, pareil, fermée. Un portier me dévisage, je lui demande par où on entre. Il me répond qu’il n’en sait rien, qu’il ne sait même pas s’il se passe réellement quelque-chose à l’intérieur. Tout ce qu’on lui a dit, m’explique-t-il, c’est qu’il est payé pour être là de 22 à 6 heures du matin. À 20 centimètres de sa nuque, affichée sur la porte qu’il garde, il y a pourtant une affiche qui annonce clairement la soirée du 26 janvier, dès 20h30, mais notre brave ouvre-boîte n’en démord pas et ne m’est d’aucune utilité. Il ne sait pas, il ne sait rien. Je ricane de cette excellente blague flamande du portier qui garde les portes fermées et ignore même s’il est d’une quelconque utilité. Et puis, je me rabats sur le Café Central. Seul avec ma vodka, j’y observe un gros nerd barbu checker ses mails sur un petit laptop tandis que sa copine roule des yeux de biche à quasi chaque mec qui passe. Le geek ne s’en rend pas compte. Il finit par ranger son laptop, la fille fait mine de l’emmener danser mais il grimace son dégoût de la musique. C’est un vieil album d’Aphex Twin et, personnellement, il me convient parfaitement. À la fois chaotique et apaisé, ce qui est exactement mon état mental, partagé à égale distance entre l’envie de savourer un verre avant de vite rentrer dormir et celle de carrément me démonter la tronche.

Il fait caillant, il n’y a pas grand-monde dans les rues mais il semble toutefois évident que tout ce que Bruxelles compte de pochetrons cultureux s’est ce soir donné rencart au Central. La musique est excellente, comme souvent quand c’est DJ Pute Acier aux manettes, mais il faut bien dire ce qui est: on s’en fout. Des connaissances me payent des coups. Beaucoup de connaissances, beaucoup de coups. À cadence soutenue. Des phrases comme « tu ne vas tout de même pas boire de la bière après de la vodka, c’est juste bon pour se payer la pire gueule de bois au monde » et « ah oui, c’est vrai, en Belgique, vous ne fermez pas les bars à 2 heures du matin, youpie » synthétisent en quelque sorte au mieux l’ambiance de la soirée. Il ne se passe rien de spécial mais c’est option party hard qui est enclenchée. L’ouverture de la chasse, en fait, après un janvier traditionnellement pépère et léthargique et avant un mois de février assez bien ouf, quand on voit ce qui se trame dans les agendas noctambules. Le tour de chauffe, le prélude à une autre année de déglingues. Nous sommes entre routards de l’allumage de neurones, il n’y a vraiment pas d’alibi culturel pour habiller l’envie festive d’une couche de respectabilité alors voilà: c’est du 100% zatlap, détendu de la glotte et on est bien. On parle du Razzmatazz de Barcelone, où une soirée avec Vitalic reste un grand souvenir alors que tout le monde se fout plus de Vitalic que de l’Estrella Damm, la bière qui rend hilare sous le soleil catalan, surtout quand on est seuls à la pinter au milieu d’une foule démontée à l’ecstasy. On parle du Rockstore de Montpellier, sa sono pourrie contrebalancée par son ingéniosité à programmer des artistes démentiels qui n’attirent que cinquante personnes mais cinquante personnes qui n’en veulent, comme disent les Deschiens. Je raconte qu’à Paris, on a un jour payé un taximan pour qu’il nous dégotte un night-shop où s’acheter des chips et de l’alcool, mission à priori impossible à Paname, en plein milieu de la nuit. On s’était finalement retrouvés dans un entrepôt lointain, vers Montreuil sans doute, où des types semblaient débarquer des trucs louches d’un camion tout aussi louche. On ne demandait qu’un peu de patates sèches salées et un litron de vitriol mais on aurait sans doute pu ramener une kalashnikov et de la propagande satanique de cette caverne des quarante voleurs. Bref, à défaut de noter de grandes envolées journalistiques sur la nuit, on a de la conversation. Plaisante. Marrante. Séduisante.

Une fine équipe se forme et décide d’aller voir à Recyclart si le manouche y joue toujours de la mandoline. Mais c’est trop tard. Notre cerveau s’est configuré en mode jeanfoutre total. À Recyclart, je réussis même l’exploit de ne pas entendre la musique, de ne pas me rendre compte du style musical proposé. De n’en avoir rien à faire. On s’agglutine au bar et c’est reparti comme au Central: anecdotes, blagues, rires, descente plus raide que toute la Pologne à l’heure où y ferment les carberdouches. Là aussi je tombe sur des connaissances qui payent des coups. Beaucoup de connaissances, beaucoup de coups. Et forcément, un moment, ça part en sucette complète, cela devient irracontable. Cela se termine dans des appartements avec de la techno qui gueule et des trucs qui ne se disent pas. Trop personnel et à la fois universel. Comme n’importe quel samedi soir ordinaire dans la vie de noctambules portés sur la pochetronnade.

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