Tricky: « Je ne vais nulle part, j’échoue ici ou là »

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Alors qu’on parle de ses retrouvailles avec Massive Attack, Tricky est de retour dans les bacs avec Mixed Race. Son ghetto kid de frangin et Bobby Gillespie sont de la partie.

« Il n’y a pas de logique dans ma vie. Et il n’y en a jamais eu. » Installé dans le salon privé d’un hôtel parisien (c’est plus pratique que la terrasse pour fumer la beuh ramenée par son meilleur ami resté lui tenir compagnie), Tricky, qui soit dit en passant apparaît dans une pub pour une société de livraison d’herbe new-yorkaise, résume plutôt bien son cas. Un père qui se barre avant de voir votre bouille et une mère qui se suicide alors que vous n’avez que 4 ans… Il y a forcément accueil plus coutumier. Et à tout le moins plus chaleureux.

Alors on ne s’étonne pas si, comme il l’affirme, le lascar a vu tous les films de Gene Kelly et Fred Astaire mais ne peut définitivement faire de la musique joyeuse comme Justin Timberlake.

Mixed Race, le neuvième album déjà de monsieur Adrian Thaws, est plus resserré, jazzy et sombre encore que son prédécesseur Knowle West Boy. Mixed Race sent en fait l’insomnie et les nuits blanches. « Je ne dors jamais, assure Tricky. Et je n’ai pas d’intention avant de bosser sur un disque. Moi, je me pointe et j’enregistre. J’arrive le matin et je me dis que je vais mettre en boîte un rock, un blues ou un rap. A ce moment-là, je ne sais toujours pas où ça va me mener. Tout ce dont je suis convaincu, c’est que quand je planche sur un jazz, je ne vais pas sonner comme le mec qui joue de la trompette. Comment il s’appelle encore? Miles Davis. »

Tricky vit à Paris depuis un an. Depuis qu’il a travaillé au 104, espace culturel anciennement service municipal des pompes funèbres, avec des jeunes défavorisés rencontrés dans les rues du quartier Flandres Aubervilliers. « Bouger est important dans mon mode de fonctionnement. Quand je cesse de regarder autour de moi, je m’ennuie. Or, un album, c’est une aventure. L’homme est doté d’un truc qui s’appelle la curiosité. Il cherche de nouvelles choses, de nouveaux sentiments. C’est un instinct naturel. Je veux d’autant plus découvrir et apprendre que je n’ai pas beaucoup d’éducation. Je veux nourrir mon cerveau. Et voyager m’y aide. »

Né dans le quartier de Knowle West, à Bristol, au sud-ouest de l’Angleterre, l’Anglais vivait depuis quelques années à New York. « La première fois que j’y suis arrivé, j’ai traversé le pont de Brooklyn avec les yeux pétillants. Après cinq ans, je passais dessus sans m’en rendre compte. Paris pour l’instant continue de m’émerveiller. Quand ce ne sera plus le cas, je me taillerai. Je ne sais pas encore où je vais aller. Je ne vais nulle part, d’ailleurs. J’échoue. Ici ou là. »

« Je suis ta soeur, idiot »

Tricky ne passe jamais beaucoup de temps sur ses disques. Il trouve ça ennuyeux. Mixed Race, il l’a bossé dans son appartement du quartier de La Chapelle. Quelques semaines tout au plus. Etalées sur deux mois. Métissé comme son nom l’indique, l’album comprend une reprise du Murder Weapon d’Echo Minott. « Un hit du reggae undergound jamaïcain. Une histoire de gangsters. Une partie de mon enfance. Vous savez, c’est pas facile d’être un artiste en Jamaïque. Même Bob Marley avec toutes ses chansons d’amour, il ne fallait pas jouer avec ses couilles. Enfin bref. C’est comme le Black Steel que j’ai fait chanter à Martina (Topley-Bird, son ex-femme, ndlr). Je voulais que tout le monde découvre cette chanson. Beaucoup de gens qui ne connaissaient pas la version de Public Enemy ont pensé que je l’avais écrite. Perso, j’ai l’impression de répandre la bonne parole. »

Outre sa nouvelle muse Franky Riley, « à moins que tu puisses me ramener Sam Cooke ou Kurt Cobain, c’est avec des chanteuses comme elle que je veux travailler », Bobby Gillespie, leader de Primal Scream (« un bon mec, je l’aime bien, puis il sait chanter ») et le mandoluthiste Hakim Hamadouche (« je l’ai rencontré via Rachid Taha »), Tricky a invité sur Mixed Race un certain Marlon Thaws… Alias son frangin.

Si l’un de ses frères apparaît sur cet album, c’est qu’il essaie de le tenir éloigné des emmerdes. « Tout ce que je pouvais faire pour lui, c’était lui conseiller de trouver un job. Ce qui ne serait jamais arrivé. Ou l’impliquer dans ce que je fais. En même temps, il ne figure pas sur mon disque parce qu’on est du même sang mais parce qu’il est actuellement l’un des meilleurs rappeurs d’Angleterre. Ses paroles sont incroyables. C’est un ghetto kid, un enfant de la rue. Il a un disque qui sortira l’an prochain. Mais pas de nom. Je pense qu’il est en prison pour l’instant. Il a le temps d’y réfléchir. »

Drôle d’existence que celle de Tricky. Resté en contact avec une bonne partie de sa famille. Mais incapable de reconnaître tous ses frères et soeurs. « Ma vie n’est pas normale mais c’est comme ça. Il y a quelques années, j’étais au Black Film Festival. Une fille est venue me voir: comment ça va baby? Blablablabla. Puis, elle m’a dit: tu ne me remets pas? Je suis ta soeur, espèce d’idiot. Je ne l’avais plus vue depuis l’âge de cinq ans. C’est drôle plus qu’étrange je pense. Mais quand tu ne rentres pas dans les cases, on te qualifie de bizarre ou d’excentrique. »

En attendant, retour aux sources en vue, le gamin de Knowle West pourrait bien tôt ou tard retravailler avec Massive Attack. « 3D m’a demandé si je voulais à nouveau enregistrer avec lui. J’ai dit oui tout de suite. Mais il faut que ce soit quelque chose de spécial après toutes ces années. Il y a deux ans, les Massive m’ont proposé de partir en tournée. Je leur ai dit ok mais si vous me filez beaucoup d’argent. On en est resté là. G m’a aussi appelé alors qu’il bossait sur Heligoland. On a parlé au téléphone mais rien ne s’est concrétisé. Peut-être que ce sera pour la prochaine fois. Peut-être pas. Je n’ai guère l’impression qu’il y ait encore des tensions entre nous. Mais je n’en sais rien. Je n’ai aucune idée de ce qu’ils pensent de moi. Et à vrai dire, je m’en fous. »

Murder Weapon, le premier single issu de l’album Mixed Race:

Tricky, Mixed Race , distribué par Domino.

Rencontre Julien Broquet, à Paris

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