Serge Coosemans

Tous, tous, tous à Terrilmolinos

Serge Coosemans Chroniqueur

Entre Serge Coosemans, les festivals et tout particulièrement Dour, ce n’est, comme on le sait, pas vraiment une histoire d’amour. N’empêche que si notre chroniqueur est bien sorti de route dans sa vie, c’est sur La Plaine de la Machine à Feu. Hommage, en quelque sorte. Sortie de Route, SDRS04E42.

La dernière fois que j’ai foutu les pieds à Dour, c’était en 2004, en mode commando. Un aller-retour de quelques heures seulement, juste le temps de voir prester les poum poum poum de Chk Chk Chk et Optimo, le duo dj écossais. Je n’avais pas à écrire une seule ligne sur le festival, donc aucune raison de traîner backstage, encore moins de discuter avec d’autres journalistes. Je ne me suis fait accréditer que parce que ça me gavait de payer deux groupes au tarif d’une journée entière mais pour le reste, j’étais vraiment là en touriste, discret, dans le public, a priori pour la musique davantage que pour la gaudriole. Pareil pour mes potes, des collaborateurs du magazine RifRaf et celui que l’on surnomma Cougar, la flèche des bloggueurs techno des noughties. Il se fait que ça caillait et qu’il a commencé à pleuvoir. Puisque mes amis et moi avions tous des bracelets nous le permettant, on est donc allé s’abriter backstage. Et là, bardaf, shazam, badaboum : en vingt minutes, nous étions bourrés comme des mules et on s’est mis à se comporter comme des douaniers mexicains devant ces mêmes mules. Gueuler « laissez la presse faire son travail » en vidant des plateaux ad fundum qui ne nous étaient a priori pas destinés. Picoler, brailler, se foutre de la tronche du monde. Au moment de trop, Cougar est allé s’asseoir devant les caméras de Jim TV en pleine interview des Detroit Grand Pubahs, pensant qu’il était amusant de se faire passer pour un troisième membre du groupe arrivé en retard. Les Américains ont trouvé ça fort drôle, les journalistes flamands et la sécu, nettement moins. Il y eut des culbutes et un semblant d’échafourrée, des bières se sont renversées sur des têtes, un gars de label a été éclaboussé en dommage collatéral, au son de gros rires voyous. Cougar s’est fait virer le premier, puis moi, quand le préposé au bar a compris qu’à chaque coup que je commandais des bières, c’était pour les sortir des backstages et aller abreuver mon grand félin farouche, ce véritable danger public. Interdits d’open bar, ceux de la bande qui comptaient rester le week-end ont alors commencé à avoir des comportements de plus en plus erratiques, les autres, à finalement déssaoûler, avant de tranquillement rentrer à Bruxelles. Des 5 ou 6 fois que j’ai vu les Chk Chk Chk, c’était la moins bonne. Optimo n’était pas optimal non plus.

Halloween en juillet

Au Pukkelpop, complètement rétamé à la vodka, j’ai un jour volé du Stand Info SIDA une grosse bite en plastique qui servait à expliquer aux jeunes comment utiliser un préservatif. J’ai essayé de me la coller sur le front, je m’en suis servi comme d’un sabre-laser et d’un micro pour tenter d’impressionner des festivalières. Je l’ai trimballée en bouche comme un gros cigare rose et j’ai bien entendu fini par la laisser dépasser de la braguette de mon pantalon, me baladant faussement monté comme une gravure de Tom of Finland. Ca n’a toutefois pas duré longtemps. Un moment, j’ai ressenti une grosse gêne. C’étaient les années Dutroux, il y avait de la désapprobation dans les regards, les rires s’étranglaient, je sentais au grand galop venir le « genoeg nu ! » qui me ferait éjecter du festival. J’ai donc fini par rentrer la bite au stand et j’ai été m’écraser à l’écart comme une vieille bouse, le temps d’une absence qui tint plus du coma que de la sieste, le temps aussi d’oublier la honte. Je pense que cela ne serait jamais arrivé à Dour. A Dour, cette bite ferait aujourd’hui partie de la légende, elle aurait connu une histoire mouvementée. En mode Creative Commons, elle aurait été la vedette d’une véritable performance collective au travers les âges, déclinée en site web et en t-shirts. Je serais un héros dans l’histoire du festival et de sa bite, pas une vague anecdote oubliée du côté de Hasselt. Le too much autrait été vraiment too much. Il y aurait peut-être eu des gens éborgnés, des gamines traumatisées, de la drogue consommée au moyen de ce gros zgègue.

A Dour, il me semble que l’on peut attendre longtemps, très longtemps, avant que les regards ne se fassent désaprobateurs quand on se comporte comme un gros con. Comme le piétonnier bruxellois, Dour rend fou, non parce que c’est une zone de non droit mais parce que les repères sont bien davantage flous que dans un environnement plus normal, y compris festivalier. Vient toujours un moment où ça ne rigole plus avec le public, la sécu, les bénévoles et les orgas flamandes, bruxelloises ou liégeoises. Ce n’est pas le cas à Dour. Si on est un poil exhibitionniste et démonstratif, si on est un poil diabolique et fauteur de troubles, on est toujours assuré d’avoir un public pour quelques heures et des aventures marrantes à raconter au retour, si l’on s’en souvient. Quand on est amateur de tours pendables, il y a toujours un mec de la sécu, un bénévole un peu benêt ou un programmateur bien susceptible à aller titiller. Halloween n’est dans ce pays qu’une banale opération commerciale dénuée de la moindre magie mais en Belgique, c’est Dour la véritable nuit des masques, des mauvais tours et des indigestions de bonbons chimiques.

Tous, tous, tous à Terrilmolinos

J’ai été à de nombreux festivals durant les années 90/2000. Ce ne furent pas que d’épiques saoûlographies, il y eut aussi de longs moments d’ennui, de la consommation culturelle sans histoire et même du bon travail journalistique. Il n’y a qu’à Dour où dès le premier orteil posé sur le terrain, c’est toujours très vite parti en sucette. Je parcours l’historique du festival et je me rends compte qu’il ne me reste plus que de vagues souvenirs de 1994, aucun de 1995, que je confonds 1996 et 1997, qu’il ne me reste rien de 1998 et que je ne sais même pas si j’ai été ou non en 1999. Je me sens comme Shaun Ryder des Happy Mondays, qui disait sortir beaucoup d’autobiographies parce qu’à chaque parution, il y avait plein de choses à rectifier et à rajouter, des éléments de sa propre vie que les gens lui rappelaient durant les interviews de promotion de ses bouquins.

Je me vois me faire draguer par le chanteur de Gene, interviewer le groupe Penthouse avec des bigoudis dans les cheveux et des traces de marqueur sur le visage, parler OVNI avec Eat Static. Je me vois m’embrouiller constamment avec les bénévoles pour des histoires de mauvaises couleurs de bracelets : « – Vous ne pouvez pas entrer ici ! – Ouais mais c’est sortir que je veux. » Je me vois tendre une bouteille à mon camarade Bart Cabanier rebaptisé Bartensteinn, alias « le petit prince de la jungle de mon cul » alors qu’il enchaîne de la drum & bass devant 3000 personnes. Il tient à peine debout et son coude cogne le bras de la platine alors qu’il essaye d’attraper la biberonoff. La tête de lecture valdingue, labourant le vinyle, dans un effroyable boucan qui manque de péter la sono mais aussi quelques tympans. Plus tard dans la journée, je m’ennuie, alors je me bricole un logo de Daft Punk que je colle sur mon badge d’identification. Backstage, on croise bien la clique des commerçants du village avec des bracelets « médias » alors pourquoi pas moi aussi me la jouer ? Un mec qui a assisté à la prestation de Bartensteinn, de qui je suis censé être le manager, vient me gueuler dessus et trouve normal qu’après un set aussi désastreux, on essaye de camoufler nos noms sur nos badges. « Ouais, c’est ça, répond Bart. « Lui, c’est Punk, moi, c’est Daft. »

Voilà ce qui arrive quand on n’a pas vraiment envie d’être là et que l’on s’explose pour que le temps passe plus vite. La toomuchitude, tout le temps, le nawak non-stop. A cette époque, avant Dour, il y avait des fêtes sublimes au Beursschouwburg et à Recyclart et après Dour, on filait aux Fêtes de Gand pour ses superbes 10 Days Off. Dour n’était qu’une parenthèse un peu bof dans le programme estival très wizzz. L’essence même d’une sortie de route, en fait, comparable au coup de tête qui vous fait dévier, lors d’un roadtrip en Espagne, vers une station balnéaire nulle et moche mais ô combien tarladidada. Pour le clubbing de qualité direction Barcelone, pour la culture Madrid, pour la beauté Séville. En attendant, dos cervezas et dos pastillas à Terrilmolinos. Dour Dour d’être pété.

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