Laurent Raphaël

Tournez manège!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Lady Gaga qui fait main basse sur la Renaissance italienne en imitant la Vénus de Botticelli lors des MTV Awards; Miley Cyrus qui offre sa langue et son corps pubère à l’objectif salace de Terry Richardson, après un twerk (balayage de croupe sexuellement transmissible) à donner un infar au loup de Tex Avery sur la même scène de l’Ecole des fans pour famous people; Rihanna en bad bitch qui s’intronise queen d’un club de pool dance meublé de fantasmes masculins dans son dernier clip… C’est quoi le but du jeu? Effrayer le bourgeois? Déclencher un débat sur le féminisme? Semer le vent de la révolte? Le doute est permis. Ou plutôt, obligatoire.

L’édito de Laurent Raphaël

Ces filles, mais on aurait pu tout aussi bien épingler la mégalomanie crasse d’un mec comme Kanye West ou le carrousel de fesses pimentant la vidéo de la comète Robin Thicke, font la course à la surenchère pop. Objectif à peine voilé: déclencher une érection médiatique. On occupe le terrain comme on peut. Le problème de cette stratégie à courte focale, c’est que, comme avec les nouvelles technologies, à peine lâchée, la dernière trouvaille pour affoler le buzzomètre est déjà obsolète. Pour reprendre la main, attirer à nouveau les projecteurs sur soi, et au passage remplir le tiroir-caisse, il faudra donc au coup suivant augmenter la dose de vulgarité, de sexe, de petites compromissions avec ce qui reste de moralité. Jusqu’au jour où on aura épuisé toutes les cartouches, vidé de leur substance tous les tabous, repères, balises éthiques. Ce jour-là, soit on sera redevenus des bêtes sauvages, soit on errera sans but le regard perdu dans le brouillard.

Lady Gaga, Miley Cyrus, Rihanna… C’est quoi le but du jeu? Effrayer le bourgeois? Du0026#xE9;clencher un du0026#xE9;bat sur le fu0026#xE9;minisme? Semer le vent de la ru0026#xE9;volte?

Ce serait toutefois trop facile de blâmer ces pop stars pour se laver la conscience. Mauvais goût, avalanche de clichés, récupérations en tous genres, ponction lombaire de l’Art en majuscule… Elles accumulent les fausses déviances qu’un aveugle pourrait prendre pour de la subversion. Alors que leurs gesticulations codées et sous étroite surveillance marketing ne sont en réalité que les symptômes les plus visibles d’une maladie qui ronge tous les étages de l’édifice culturel. Secret de polichinelle, c’est la société qui a filé la dysenterie spirituelle à tous ses corps constitués. L’histoire est connue mais reste valable pour poser un diagnostic: derrière le mur de Berlin, il n’y avait pas un monde meilleur prêt à l’emploi. Non, il n’y avait que des temps de cerveau disponibles supplémentaires bientôt siphonnés par la pub et un consumérisme carnassier sans rival.

Se goinfrer de 3D, empiler les franchises hollywoodiennes comme Gilette empile les lames sur ses rasoirs, décrocher les nuages avec des gestes architecturaux démesurés, n’est-ce pas en rajouter une couche dans le superflu, glisser doucement vers l’imposture? N’est-ce pas aussi participer à ce climat d’overdose qui nivelle par le bas tout sens de la mesure, même si ces entraves à la raison font moins de bruit que les coups de reins en mondovision de ces dames dénudées.

Le biopic consacré à ce drôle d’oiseau qu’était Simon Liberace, croisement entre Richard Clayderman et Elton John, prouve que la tentation de la surenchère n’est pas récente. Elle a juste pris un tour obsessionnel et commercial gênant. Au point qu’aujourd’hui, le vrai rebelle, c’est peut-être celui qui refuse le diktat de l’exhibition chronique, de l’étalage des sentiments de pacotille, de l’escalade émotionnelle, et qui fait voeu de discrétion, refusant de se laisser emporter par la vague chatoyante d’un relativisme absolu. À méditer en matant une de ces vidéos de décapitation qui agglomèrent des « likes » par milliers…

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