Critique | Musique

Thom Yorke, l’album solo surprise sans surprise

Thom Yorke © Matt Cardy
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

ELECTRONICA | Malgré sa méthode de diffusion inédite et son titre en forme de manifeste, le 2e album solo de Thom Yorke navigue en terrain connu. Mais pas moins intrigant.

U2 l’a encore montré récemment: dans le retentissement d’une sortie discographique, la manière de divulguer compte désormais autant que la musique elle-même. Acculés par la crise de l’industrie du disque, les artistes cherchent de nouvelles pistes, de nouveaux « tuyaux ». En « offrant » leur Songs of Innocence aux abonnés d’iTunes, les Irlandais n’ont ainsi pas seulement parié sur l’astuce marketing: ils ont aussi lancé une nouvelle conversation.

Avec Tomorrow’s Modern Boxes, son deuxième album solo, Thom Yorke en démarre une autre. Habitué des méthodes « alternatives » (en 2007 déjà, avec Radiohead, il laissait les internautes décider eux-mêmes du prix qu’ils voulaient payer pour In Rainbows), Yorke a ouvert une piste supplémentaire. Ses derniers morceaux sont disponibles via BitTorrent, et ce pour la somme de six dollars. Objectif: expérimenter de nouvelles solutions pour « passer outre les intermédiaires auto-désignés », et redonner aux créateurs le « contrôle du commerce de leurs oeuvres sur le Net ». Que ce grand dessein utilise pour cela le protocole informatique qui permet aux internautes de s’échanger des fichiers en tous genres, dans la plus grande gratuité/illégalité, n’étant évidemment pas le moins cocasse…

Mélancolie 2.0

Mais il y a peut-être autre chose: avec son prix plancher, Tomorrow’s Modern Boxes pourrait aussi donner l’impression d’être « bradé ». En utilisant de nouvelles techniques de distribution, certains ont parfois cherché à rendre événementiel un disque qui musicalement ne l’était pas tant que ça. Yorke semble procéder à l’inverse. En passant par BitTorrent, le musicien choisit la marge pour un disque qui en a la modestie. Une manière de dire que, malgré les attentes -inévitables vu le « statut » de Thom Yorke-, Tomorrow’s Modern Boxes n’a d’autre ambition que d’offrir à son auteur un nouvel espace pour délivrer son spleen électronique.

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Cela ne veut pas dire que le terrain est forcément facile d’accès. Mais il ne surprend pas. Avec son piano anxiogène, un morceau comme Guess Again! renvoie par exemple immanquablement à Pyramid Song de Radiohead. Avec Interference, lente ballade synthétique sans beat, ou Truth Ray, plainte touchante à la James Blake, il est aussi l’un des seuls morceaux qui se rapprochent explicitement du format chanson. Ailleurs, Yorke continue à trousser des mélancolies électroniques, qui lorgnent autant vers Burial qu’Aphex Twin, avec plus ou moins de réussite (les sept minutes un peu vaines de There Is No Ice (For My Drink)). Le plus grand exploit étant que, malgré les motifs récurrents, ou cette voix identifiable entre toutes, Yorke ne tombe (presque) jamais dans l’autocaricature, maintenant les enjeux du disque à hauteur d’homme.

En début d’année, une autre figure majeure du rock, Damon Albarn, sortait également un album solo. Là aussi derrière un titre-programme, métadiscours sur la société technologique 2.0, Everyday Robots faisait profil bas, avançant sur la pointe des pieds. On peut le regretter. Ou au contraire, au moment où il faut toujours crier plus fort pour se faire entendre, se réjouir de voir certains cadres s’acharner à murmurer.

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