Serge Coosemans

Thierry Coljon est milliardaire et ministre à Bruxelles en 2027

Serge Coosemans Chroniqueur

Issu de cette génération de plumitifs de la presse musicale gratuite des années 90 (Mofo et RifRaf) qui avait désigné Thierry Coljon, le critique pop/rock du journal Le Soir, comme tête de Turc absolue, Serge Coosemans ne pouvait raisonnablement rater la sortie de Stromae est Mort à New-York, le premier roman de ce journaliste pour qui un label est avant tout une agence de voyages. Fantaisie fictionnelle, carambolages et GROS SPOILERS, voilà le Crash Test S02E05.

Bruxelles, octobre 2027, Thierry Coljon, comme toujours très satisfait de lui-même, contemple son oeuvre. Il y a exactement 11 ans qu’il a sorti son premier roman, Stromae est Mort à New-York, et depuis, il en signe 4 par an. Ce soir, Thierry dîne avec Elise, Elise Lucet, et celle-ci lui présente le pitch du reportage qui lui sera consacré dans Cash Investigation: « Comment un obscur critique pop/rock déclassé d’un quotidien francophone belge en perdition est devenu le nouveau Gérard de Villiers ». Selon Thierry aussi désirable qu’intelligente, Elise analyse très justement la « méthode Coljon » pour produire du best-seller à chaque saison: un titre choc incluant le nom d’une personnalité de la musique belge, la mise en scène de personnages secondaires bien réels, de la romance midinette, un ton de ravi de la crèche qui se pâme sur la beauté, le plus souvent strictement plastique et vestimentaire, des choses et des gens, un peu de mystère fantaisiste dont la résolution se devine sans forcer et, surtout, jamais plus de 170 pages, dont 30 occupées par d’affreux crobars. « Maurane fait le djihad sur Twitter est celui que je préfère, avoue Elise à Thierry devant la belle bibliothèque en bois rare entièrement consacrée à la propre production de l’auteur désormais milliardaire. Adamo déchiffre le code de la Bible et Gotye survit au Big One de Los Angeles étaient très bien aussi. On a marché sur Noa Moon et Castus cueille des champignons à Wépion, par contre, j’ai pas trop compris. » « Ceux-là étaient des oeuvres de commande, lui avoue Thierry. J’ai toujours fonctionné comme ça, même quand j’étais critique au Soir: c’est ça, l’écriture rock, donner un gros coup de pouce aux jeunes artistes et à leurs labels… Surtout aux labels. »

Comme Gérard de Villiers, Thierry Coljon aime localiser ses intrigues dans les nombreux endroits exotiques qu’il a visité, souvent aux frais de ces mêmes labels. « Durant les années 90 et 2000, se remémore-t-il, ce n’était pas rare que pour 12 minutes d’interview dans un anglais approximatif, on t’envoie 5 jours dans un palace de l’autre côté de l’Atlantique, si toutefois tu acceptais de signer la liste des 125 questions à ne pas poser. Tu pouvais aussi très facilement te payer un petit voyage en revendant à Titi et Patch, de chez Rockaway Beat, sur le Boulevard Lemonnier, les vinyles et les CD promotionnels reçus des firmes, souvent en double. J’en ai bien profité mais une fois de plus, au service du label, de l’artiste, du mien, de la musique et du lecteur – dans cet ordre, oui. Et j’ai toujours su que de toutes ces choses magnifiques que je voyais, de ces rencontres fantastiques avec ces artistes exceptionnels dans des endroits luxueux, sortirait un jour quelque-chose de bien davantage marquant que mes articles olé-olé où je pouvais me permettre de comparer Austin Lace aux Beach Boys et de confondre Steven Soderbergh et David Cronenberg sans que personne n’y trouve à redire, sauf les aigris. C’était écrit dans les astres. Je me souviens qu’en 1981, à la fin d’un dîner avec Bruce et Neil au Nom Wah Tea Parlor de Doyers Street, mon fortune cookie disait « Crâne de clair de lune, longtemps, la pantoufle illumine. »« 

Stromae est dictateur à Bruxelles

« Revenons sur Stromae est Mort à New York, propose Elise. C’est en fait un roman assez bancal, où tu as recyclé des bouts d’interviews, pompe pas mal le film Les Ailes du désir et fait intervenir Jacques Brel à partir de réflexions recopiées d’un livre de la Fondation Brel. Il y a des scènes assez bêtes et gênantes aussi, comme lorsque ton héroïne fuit un commissariat sans aucune véritable raison, se tape un steward de Brussels Airlines tout en bandant pour une serveuse de bar ou admire les poêlons d’un magasin new-yorkais de luxe parce qu’en avance à un rendez-vous. Ajoutons le name dropping constant et on peut dire que le coefficient midinette/pépopute est tout de même assez élevé dans ce livre, si je puis me permettre. » « Tu peux, la coupe Thierry, amusé. Ce livre est même carrément à chier. Je le sais, l’éditeur le sait, tout le monde le sait. Mais vu qu’Eric Lamiroy a le bras plus long qu’un jour sans pain, on a joué la carte de la bonne mise en place, actionné les retours d’ascenseurs, on a vraiment tout bien touillé pour que ça ait l’air de marcher. Mais ça n’a pas marché. J’en avais vendu 13 quand Stromae a fait son coup d’état et là, en 6 mois, on en a écoulé des millions. Comme le bouquin imagine que Stromae met sa mort en scène, les gens ont cherché des réponses et des indices dans le livre pour tenter de savoir si ce coup d’État était bien réel ou juste un énième buzz de sa part. Et après, il est devenu obligatoire et il y a eu l’adaptation de Besson, scénarisée par Jérôme Colin… »

« On ne sait d’ailleurs toujours pas si c’était un coup monté ou non, votre Dictature du sourire triste… », ose Elise. Thierry la coupe sèchement, touché en plein coeur de sa fière belgitude: « Je te rappelle que Stromae a réunifié la Belgique, relancé l’industrie textile à Verviers, instauré le quota des 40% de chansons de Jacques Brel sur toutes les chaînes et que grâce à lui, le moindre rappeur mongolo du bas de Forest est aujourd’hui signé chez Universal. Et puis, depuis Hugo Boss et les nazis, aucune autre armée du monde que la nôtre ne porte d’aussi beaux uniformes. » « Mouais, un peu trop voyants, tout de même, soupire Elise. Ça vous a quand même coûté une belle défaite dans votre tentative d’annexion de Torremolinos. Les Espagnols vous ont tiré comme des lapins en vous voyant venir de loin avec vos accoutrements à la Vasarely. » « Stromae gère notre pays comme James Brown gérait ses musiciens, j’appelle pas ça une dictature, ronchonne Thierry, et, de toutes façons, comme je l’ai toujours dit, ceux qui critiquent ne sont généralement que jaloux et frustrés et rien de plus. Et puis n’oublies pas que je suis en passe d’être nommé Ministre de la Culture strictement locale et de la Contre-information à visée bassement commerciale de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est ça, le job dont j’ai toujours rêvé, celui pour lequel je suis taillé. Les livres, franchement, ça fait un bout de temps que c’est Maylis Charlier qui les écrit à ma place. Et les gens n’y voient que du feu. D’ailleurs, en parlant de feu, comment trouves-tu la peau d’ours devant la cheminée, ma chère Elise? Tu as senti comme elle est douce? Tu connais Le Colisée, le Marvin Gaye belge? »

DISCLAIMER

Thierry Coljon, Eric Lamiroy, Elise Lucet, Stromae et Maylis Charlier sont, à leurs corps défendant, les protagonistes de cette chronique qui, « entre fiction et réalité, joue au jeu du chat et de la souris. »

Puisque les deux premiers semblent estimer « non abusif » de mettre en scène des journalistes et des managers bien réels, des proches de Stromae, Tatiana Silva, Aurélie Muller et même un David Bowie mourant pour servir une histoire très WTF, je suppose qu’ils me pardonneront d’utiliser le même procédé pour les critiquer. Sinon, c’est pas du jeu…

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