The Choolers, le neuvième jour de Pascal Duquenne

© Philippe Cornet

Devenu vedette avec « Le huitième jour », Pascal Duquenne, immergé avec d’autres jeunes gens différents dans un workshop ardennais, se rêve un instant en rocker, en tout cas en performer libéré de toutes les contraintes. Show devant.

Il s’est mis à hurler, a jeté le bras droit en l’air, et lancé une cavalcade de sons gutturaux qui feraient rougir les apprentis Metallica. Le poignet cintré d’un de ces bandages en éponge utilisés par les tennismen lui sert d’essuie furtif, alors que les jambes bien arquées vissent le corps râblé au sol. Le visage est concentré et l’occupation de la scène, naturelle, organique: depuis tout môme, Pascal Duquenne (né à Vilvorde en août 1970) bourlingue dans des troupes, des comédies, des représentations.

Présentement, son visage de mongol (comme dirait Daniel Auteuil) rayonne d’un sourire entre Confucius et un relief inassouvi d’enfance. Sous le t-shirt, le mètre septante du désormais quadra révèle la même présence à la fois touchante et boulimique qui trônait dans le film de Van Dormael, il y a 15 ans. Mais après Le huitième jour, il y en a eu de nombreux autres, un peu au cinéma (trois apparitions, y compris dans Mr Nobody), beaucoup dans la création outsider, au Creahm notamment où les gravures noir et blanc de Pascal impressionnent par leur sobre beauté.

Pour l’instant, le beat affolant qui court dans un dédale de hip hop-metal est la bande-son du second jour de répétitions qui ont mené à deux concerts publics fin septembre début octobre (au Recyclart à Bruxelles et Belgorock de Manhay). Rassemblés au Centre d’expression et de créativité, La Hesse de Vielsalm, The Choolers est un mix de chanteurs et musiciens handicapés et de pros de la région liégeoise et d’ailleurs. Jean-Camille, qui tripote une batterie d’instrus et de programmations, vient du sud de la France, tout comme deux des vocalistes invités. Le tout sous la direction d’Antoine, évoquant l’un de ces lapins Duracell qui ne s’écroule que quand l’électricité a quitté, définitivement, la maison. Trente piges haute tension, il bondit de derrière sa batterie pour venir conseiller le chant.

Par exemple, Kostia, la vingtaine, trisomique, une sacrée bonne bouille et quelque chose d’une aristocratie enfouie. Petit-fils d’immigrés russes, il pratique le cirque du côté de Marseille. Quand le beat commence, il reste une minute silencieux devant le micro, faisant mine une fois ou deux de s’y mettre avant de décliner d’une mine boudeuse. C’est peut-être notre normalité qui fantasme ou dégage en touche, mais regarder Kostia et les autres est un spectacle permanent. Quand on lui a expliqué le principe du delay sur le micro, le jeune homme s’y met avec ferveur, tapant des onomatopées dans le rythme: même si son break-dance est un peu lent, ces acrobaties-là veulent dire quelque chose.

Ici, il n’y a de place ni pour la retenue, ni pour l’autocensure: The Choolers sont une 3D sonore, un bain de liturgie physique, dans lequel les handicapés (et les autres) s’immergent sans concession. Ce qui risquerait de nous casser les burnes ailleurs (encore du rap-metal?) passe autrement la rampe ici: peut-être parce que les bizarres associations produisent une nouvelle matière cognitive.

Alors qu’un autre trisomique obtient de son synthé Oberheim des bruits gloutons, Pascal attend dans la lumière orangée, les yeux plissés de mystère. L’image est belle. Il y a aussi Clément, autre jeune Français, qui jette de drôles de sons couinants dans le micro, instaurant d’emblée une nouvelle forme de post-rock fracturé. Zappa serait fier. On ne sait pas trop de quels films pourraient venir ces scènes mais, assurément, elles sont l’oeuvre d’un grand réalisateur.

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La Hesse est installée depuis 2001 dans une ancienne caserne, alignement de pavillons rouges, pas très loin des bois de Vielsalm. Ce qui donne un cadre fait de longs couloirs solitaires et de pièces hautes où l’hiver ardennais glace la brique.

Dans une salle, un homme seul dessine sur une table. En s’approchant, on découvre un dessin anthracite, de belles ombres cryptées et, sans aucun doute, un univers de songes et peut-être même de cauchemars. Rémy, 65 ans, vient ici tout au long de l’année mais pendant cette période d’ateliers avec des artistes normaux, il partage le travail en compagnie de Paz, dessinatrice espagnole. Celle-ci écrit le scénario, assume le découpage et s’occupe plutôt des hommes, Rémy a un faible pour les ours: ensemble, ils font muter cette drôle de BD vers un nouveau genre de récit-peinture fantastique. Rémy, qui vit dans une communauté des environs, semble extraordinairement concentré mais dès que 16 heures sonnent et annoncent le bus de retour, il disparaît prestement.

En quelques minutes, les ateliers de peinture se vident, et ne subsiste plus que l’écho sonique des Choolers, en heures sup. Il ne faut pas s’y tromper: la socialisation des handicapés par la culture n’est pas une affaire qui roule toute seule. La Belgique est assurément pionnière dans l’installation de l’art différencié mais toutes les personnes mentalement déficientes ne peuvent ou veulent devenir le prochain Anthony Kiedis ou le nouveau Francis Bacon. Le handicap varie d’intensité chez chacun, y compris dans la tribu des trisomiques, et l’exemple de Duquenne n’est pas forcément reproductible à l’infini. Non seulement parce qu’il a un véritable talent (scénique, graphique) mais aussi parce qu’il a été supporté par une maman-courage qui a compris la transcendance de la culture, profitant du statut-vedette de son fils pour demander un peu plus de moyens et de dignité aux politiques.

En fin de journée, Pascal tète une bière dans le bar improvisé de La Hesse alors que ses petits camarades ont choisi le Coca-Chips. Il loge dans un gîte du coin, ce qui doit le changer de son appart du centre de Bruxelles où il vit en quasi autonomie. Ce qui n’a pas changé, c’est qu’on le reconnaît toujours dans la rue. Et qu’il adore ça.

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Philippe Cornet

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