The Belgians: « La politique belge, je lui pisse à la raie »

The Belgians, après leur concert à Dour pour la fête nationale. © Olivier Donnet
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sous le nom de The Belgians, l’Experimental Tropic Blues Band questionne l’identité belge, scalpe nos politiciens et tronçonne la Brabançonne. God save the king…

De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves… Les temps ont sans doute un peu changé depuis Jules César. Et la Gaule, les Tropics l’ont avant tout dans le falzar. Mais les stéréotypes ont la propagation facile et l’existence tenace. Les idées reçues, l’image gaillarde bière-chocolat-moules-frites, notre identité surréaliste aussi, l’Experimental Tropic Blues Band rebaptisé pour l’occasion The Belgians en a fait la pierre angulaire de son nouvel album et du spectacle qui va avec.

« Quand tu dis venir de Liège, les New-Yorkais te lancent: « Comme les gaufres. » Là où les Italiens parlent de La Doyenne comme de la plus belle course cycliste au monde, rigole le batteur Devil D’Inferno dans un café de son ardente cité. Tout ce qu’il y a dans ce disque, ce sont ces images, parfois ces clichés, qui nous ont été renvoyés lors de nos différents voyages à l’étranger. Dans le sud de la France, on nous a quand même demandé si c’était la guerre civile chez nous en l’absence d’un gouvernement. » A ses côtés, affalé dans un divan, son complice Dirty Coq se marre. « Nous ne sommes rien. Nous ne valons rien. Nous avons changé la face du monde à plusieurs reprises. Mais tout le monde s’en cale. Les Belges les premiers. On s’est fait arrêter par un flic en Amérique. Le mec pensait que la Belgique se situait au sud de l’Espagne… »

Chacun ses lacunes en matière de géographie. En attendant, le projet a germé au pays de l’Oncle Sam et du burger. « Aux States, les gens ne nous surnommaient pas les « Tropics ». Ils nous appelaient « The Belgians ». Alors, quand on a joué dans le minuscule Lou’s Bar à Liège, pour éviter d’attirer trop de monde et de foutre le bordel, on s’est approprié le sobriquet. »

A l’époque, le programmateur de Dour Alex Stevens est dans la place. Il leur propose de jouer sous ce nom dans son festival le jour de la Fête nationale. « On a trouvé ça nul et un peu con parce qu’on faisait du Tropic. Mais on lui a répondu: « Si tu nous trouves un écran géant avec un putain de projecteur, on est partants. »« 

Les trois zigotos écrivent de nouveaux morceaux inspirés par leur belgitude. Puis, font appel à Sauvage Sauvage et à La Film Fabrique. « On n’avait pas réalisé la masse de travail que ça impliquait. On a eu le soutien de la Sonuma. Une bibliothèque géante qui cherchait à rajeunir son image, à dépoussiérer ses vieilles archives audiovisuelles et a accepté de nous filer ces séquences gratos à condition qu’on n’en détourne pas le sens. Mais le processus a nécessité un tas de paperasseries. »

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Le zapping est plutôt du genre trash, épileptique et dérangeant. Le roi y côtoie Plastic Bertrand, Justine Henin, les Diables rouges et Marc Dutroux… « On a vraiment flippé. On a eu le feu vert quatre jours seulement avant Dour. Mais on ne s’est pas autocensurés. Sur She Could Be My Daughter, Jérôme, amateur de série Z, montrait des tombes de bébé. Je me suis dit: « Wow, c’est too much. Ça donne la nausée. » Et finalement, on n’y a pas touché. Chez nous, ce sont les images de la tuerie de Liège qui ont davantage frappé les esprits. Certaines personnes sont même sorties de la salle. »

Drôle, violent, décapant…

Si le Belge garde la cote, a les honneurs d’un Nouvel An à Paris, les Tropics véhiculent à travers leur spectacle une image à la fois drôle, violente, décapante, conquérante, triste, glauque voire poétique de notre pays. Empreinte de rock’n’roll et de second degré. Traduction anglaise de la Brabançonne, morceau surréaliste (Weird) pondu en mode écriture automatique… Les références à notre passé ne manquent pas. « Mais She Could Be My Daughter est juste une histoire d’amour impossible. Rien à voir avec le roi ou Marc Dutroux. »

Dirty Coq se souvient. « Il y a 20 ans, les Belges étaient des trous du cul. Les Français nous considéraient comme des bouseux. Ils nous voyaient comme des cons juste bons à les faire rire à travers leurs blagues débiles. La honte. Ça a changé grâce à dEUS, à Benoît Poelvoorde et aux frères Dardenne. » Même si leurs héros belges à eux sont plutôt Arno, Jean-Claude Van Damme et Bouli Lanners.

« Ce n’est pas un disque politique. La politique belge, je m’en fous. Je lui pisse à la raie. J’ai voté blanc pour la première fois de ma vie et la prochaine, je ne me déplacerai même plus. J’en profite d’ailleurs pour remercier la Belgique d’être officiellement pauvre à 30 euros près… On représente le pays partout mais on va encore nous sucrer le statut d’artiste. Non, je suis juste fier de notre culture. Enfin, de la culture que je connais moi, Belge liégeois de parents immigrés italiens. J’ai vu Ex Drummer, mais c’est parce que notre musique figurait dans sa B.O. Ne me demande pas de citer un écrivain ou un acteur flamand que j’adore… « 

Pour l’instant, les Belgians ne se sont d’ailleurs pas encore produits en terres néerlandophones. « La fracture culturelle est elle aussi l’oeuvre de ceux qui nous dirigent. Je rêve de partager l’affiche avec un groupe flamand qui fasse la même chose que nous. On offrirait une vision plus fidèle du pays. Je pense à Mauro Pawlowski. J’ai toujours adoré Evil Superstars. Ou à Madensuyu qui propose une approche plus arty et intellectuelle. » L’appel est lancé.

The Experimental Tropic Blues Band presents The Belgians

The Belgians:
© DR

La belgitude est-elle soluble dans le rock? Avec les cocos d’ETBB dans le rôle du dissolvant, tout est possible. Un produit acide, bien décapant, qui vous bazarde la couche de calcaire du premier coup, et dégage toute la tuyauterie dans la foulée. Cela démarre forcément par une version revisitée de la Brabançonne, se prolonge avec un trashy-boogie-blues (Belgian State of Frustration), avant de virer quasi bruitiste (Weird). Plus loin, Disobey tombe pile poil, parfaite bande-son insurrectionnelle de l’agitation sociale du moment. Dans l’ensemble, le discours est plus proche de la fulgurance pâtissière façon Gloupier que d’une relecture de L’Histoire de Belgique de Pirenne. Mais cela fonctionne. En fin de disque, ETBB se permet même une incursion inédite vers la new wave, qui rappellerait éventuellement les débuts de la new beat. Belgians do it better…

DISTRIBUÉ PAR JAUNEORANGE. ***

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