Serge Coosemans

Tel le Comte de Monte Cristo, revoilà le deejay résident

Serge Coosemans Chroniqueur

Le magazine Mixmag, se basant sur l’observation de l’industrie du clubbing britannique et baléare, nous promet le retour du deejay résident au premier plan. Un storytelling revanchard, selon Serge Coosemans, qui n’est pas vraiment contre, mais bon… Sortie de route S03E25.

À quoi ressembleront les discothèques du futur? Certains, rappelez-vous, imaginent déjà un monde sans deejay. Dans sa dernière édition, celle de mars 2014, Mixmag nous promet par contre « Le retour du deejay résident », soit la tendance exactement inverse puisque dans ce cas, la nuit entière repose sur les aptitudes à maîtriser l’ambiance d’un seul homme. L’article nous rappelle que durant les années 70 et 80, c’est le résident qui donnait aux discothèques leur véritable identité. Sa musique, parfois même son nom (son prénom, du moins) étaient associés au prestige de l’établissement et il ne jouait pour ainsi dire pas, ou rarement, ailleurs. Le deejay invité, à fortiori étranger, restait une rareté et chaque semaine, on retrouvait donc aux manettes les mêmes types, qui n’ont curieusement ensuite presque jamais bénéficié de la même reconnaissance que les deejays devenus stars après avoir sorti des morceaux plus ou moins bidons pour se faire connaître mondialement. Gloire locale, le résident prestait une nuit ou une demi-nuit entière, connaissait bien son public, avec qui il entretenait une connexion très particulière, et il s’occupait donc à la fois du warm-up, du peak time et de la clôture; ce qui demande un certain feeling, une endurance certaine, ainsi qu’un large spectre musical. Autrement dit, c’est quasiment un autre métier que celui de la plupart des deejays d’aujourd’hui, qui, selon la caricature, se rappliquent dans la boîte cinq minutes avant d’en prendre les manettes, avec quelques clés USB bourrées de tracks à la mode et prestent environ trois heures. Comme le dit l’article, signé Tim Sheridan, « un deejay gagne plus d’argent en tant qu’attraction qui voyage », mais c’est beaucoup moins de responsabilité que de s’investir pleinement et pour de longues heures dans le déroulement d’une soirée.

À mon goût, Mixmag se la joue ici un poil trop « Comte de Monte Cristo », avec son storytelling revanchard qui présente le résident comme un héros déchu, trop longtemps relégué au poste de faire-valoir, mais en passe de faire son grand comeback sur le devant de la scène. De nos jours, dit l’article, ce sont les « légions de mauvais clubs tenus par de riches hommes blancs hétérosexuels (qui) ont relégué le résident à l’équivalent humain d’un lecteur CD ». Ce serait devenu un job d’intermittent chargé de tuer le temps tandis que les gens font la file, déposent leurs affaires au vestiaire et attendent l’arrivée de l’invité surpayé. Pour Mixmag, idéalement, le résident, c’est pourtant l’héritier mystique de David Mancuso, un deejay magique, allumé, qui du crépuscule à l’aube, ose tout et forge les légendes. Ce qui est assurément un exemple vers lequel revenir, estime Sheridan, qui constate par ailleurs que dans la grosse industrie du clubbing, surtout à Ibiza, on en est justement en ce moment à reprogrammer beaucoup de all-nighters à l’ancienne. L’article cite notamment le cas de Seth Troxler, deejay de premier plan qui a signé cette année pour une série de résidences dans des boîtes de Londres, Ibiza, New York et Amsterdam. Mixmag voit cela comme une bonne chose, une tendance qui s’affirme, un retour aux vraies valeurs du clubbing. Quand je lis ça, il est vrai que me remontent beaucoup de bons souvenirs de soirées entières aux mains de Laurent Garnier ou d’Ivan Smagghe mais aussi de gloires plus locales et eighties, comme Eric Beysens à La Gaité ou Olivier P au Boccaccio. Ou les 2 Many DJ’s. Ou Erol Alkan. Ou n’importe quel pyromane de dancefloors.

Soyons honnêtes, il m’en revient aussi des mauvais, de souvenirs. Le ras-le-bol de voir toujours les mêmes enchaîner chaque semaine les mêmes disques. Cette période, il y a vingt ans, où ce gros bourrin de Dave Clarke était partout, tout le temps, haha. En fait, ce côté négatif du dossier me fait parier que le retour du deejay résident (connu et international) ne relèvera pas de la tendance de fond. Cela ne va en concerner que quelques-uns, les véritables bêtes de platines, comme justement Troxler ou Garnier. L’industrie n’a en fait aucun intérêt à ce que cela se généralise. Cela limiterait trop les offres, les places à prendre. Au test de la résidence, on peut même imaginer une extinction massive du deejay moyen de gamme, tant l’exercice difficile de la nuit entière aux platines est darwiniste, capable de détruire des réputations et des plans de carrière. Si on cherche la fraîcheur, la solution n’est sinon pas la résidence et le retour aux fondamentaux, la solution, c’est d’étonner, continuellement. Combien de temps, même un calibre comme Seth Troxler va-t-il réussir à étonner les gens qui vont venir le voir chaque mois ou presque? La résidence, si on est un poil connu et que l’on fait ça bien, en évitant au maximum la routine, c’est une pression dingue, un flirt continu avec le burn-out, un truc à flinguer une carrière. De l’héroïsme, donc, genre gladiateur lâché tout nu au milieu des ours et des lions. On n’a pas fini de rire. Ni de soupirer.

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