Laurent Raphaël

Sus aux parasites!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ÉDITO | Interdire au public de dégainer son smartphone en concert: excessif? Prétentieux? Pas vraiment.

Un éminent collègue nous relatait l’autre jour cette anecdote croustillante datant de 2003. Invité à rencontrer Lou Reed dans son bureau new-yorkais pour la sortie d’un best of, il vit sa majesté se cabrer quand il expliqua avoir écouté l’album sur un discman dans l’avion, ne l’ayant reçu que la veille. Avant de poursuivre, le musicien tatillon sur sa marchandise exigea que le journaliste réécoute toutes les plages sur sa chaîne hi-fi personnelle. Ce qu’il fit donc, sous le regard ténébreux du pape du Velvet Underground, avec le sentiment d’assister à une messe.

Cette histoire, si elle confirme que Lou Reed n’est pas commode en interview, montre surtout que certains artistes ne sont pas prêts à accepter toutes les concessions sur l’autel de la modernité. C’est un peu le même souci de « pureté » qui pousse aujourd’hui les drôles de dames de Savages, girls band british à combustion post-punk instantanée, à demander aux fans de ne pas dégainer leurs smartphones pendant le concert. Motif invoqué: cette forêt de bras tendus au bout desquels balancent des lucioles nuit à l’immersion totale et gâche l’expérience. Excessif? Prétentieux? Pas vraiment. La politesse et l’art de vivre n’étant pas proposé de série chez l’être humain, il n’est pas inutile de rappeler de temps en temps certains principes de bonne conduite, même si c’est uniquement pour la forme. On voit en effet mal les videurs fouiller tout le monde à l’entrée ou se jeter sur l’importun qui oserait brandir son fidèle compagnon numérique.

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La banalisation de certains comportements déplaisants finit par s’instaurer en norme acceptable et acceptée. C’est comme au cinéma, où plus personne ne s’étonne de devoir regarder un film dans un brouillard sonore de sucions et de crépitements peu ragoûtants. Quand il ne faut pas composer avec les commentaires intempestifs de la voisine qui se croit dans son salon. Quitte à passer pour un mauvais coucheur, on se demande si on ne préfère pas l’ambiance parfois un brin compassée des musées, qui tentent vaille que vaille de maintenir certaines règles d’hygiène collective comme le silence ou l’installation d’un cordon sanitaire autour des oeuvres.

Sous couvert de transparence, alimentée par ce besoin d’enregistrer les moindres faits et gestes de son existence pour les balancer sur le Net comme si la vie n’était qu’une succession de moments de grâce, le parasitage se pratique désormais à grande échelle. A se demander si les profanateurs ne sont pas devenus tellement accros aux écrans qu’ils ne peuvent même plus vivre l’instant présent sans passer par le filtre d’une interface… On raillait il n’y a pas si longtemps les hordes de Japonais qui descendaient du car pour mitrailler nos hauts lieux touristiques et repartir aussitôt. On est tombé dans le même panneau. Avec un peu de volonté politique, on pourrait pourtant inverser la tendance et débarrasser le plancher de tout l’attirail superflu qui pollue le moment de communion. On n’y est bien arrivé pour la cigarette, cette autre addiction désormais bannie des lieux publics. Et si ça ne marche pas, on pourra toujours faire appel au pianiste de jazz Keith Jarrett, capable d’interrompre sa prestation au moindre éternuement dans la salle!

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