Stromae « ne veut pas être un one hit wonder »

Stromae © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

« Charmant, courtois, gentil, beau, intelligent, pas grosse tête »: Stromae ramasse les compliments à la pelle. Pourtant, en remontant l’itinéraire de Paul Van Haver, apparaît aussi, y compris dans l’expression des fêlures du nouvel album Racine carrée, le désir de cadenasser une image ripolinée par la communication.

L’idée est simple: interviewer Stromae pour Le Vif –résultat ici et dans le numéro de cette semaine- et pour Focus, remonter son trajet via quelques témoins. Deux jours après la rencontre d’un proche de Stromae, le management de l’artiste proclame que toute « communication » doit passer par le label Universal. Ironique serpent qui se mord la queue puisqu’in fine, c’est le management qui décide (…). Symptomatique d’un moment de carrière charnière où il s’agit d’étendre son territoire plutôt que de flamber les acquis… Le manager Dimitri Borrey, d’un an plus jeune que Stromae (1985), et la SPRL qui porte son nom, accompagnent depuis les débuts une carrière planifiée.

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« Stromae ne veut pas être un one hit wonder, un autre Benny B. C’est Dimitri qui, ayant initialement mis un peu de sous dans l’opération, l’a incité à vouloir faire un vrai succès commercial, suggérant notamment de faire un sing along sur Alors on danse« , précise un témoin qu’on laissera anonyme. On connaît l’affaire Stromae dans les grandes lignes: une mère flamande originaire de Termonde qui aime la musique et la nuit, travaillant par exemple comme vestiairiste au club The Sparrow, rue Duquesnoy, à Bruxelles. Un père rwandais, dont le nom reste muet, « volage et coureur » selon son propre fils qui ne le verra « que quelques fois », apprenant bien a posteriori sa mort dans l’insensé génocide rwandais de 1994. Paul n’a alors que neuf ans. Blessure toujours ouverte, selon plusieurs textes du nouvel album (lire l’analyse du psychologue Benjamin Thiry dans le Focus de cette semaine): cet abandon façonne un (grand) rejeton métis, très famille-famille avec ses quatre frères et soeurs. Et cette mère chérie qu’il emmène volontiers en tournée.

Enfant différent

Stromae
© Philippe Cornet

« Marie Van Haver est une belle femme. Elle et Paul ont habité un appartement de cette maison que j’ai rachetée en 2004: ils sont alors partis, je crois, vers Dilbeek. » Rue Stéphanie à Laeken, on tombe par hasard sur la proprio qui a croisé le fils prodigue, sa chambre avec batterie et posters: « Des gens biens. Quand la soeur de Stromae passe dans le quartier, elle jette toujours un oeil par ici. » Une typique deux façades bruxelloise de briques jaunes entre le domaine royal et la rue Marie-Christine où femmes en burqas, Congolais, vieux Belges et Marocains tentent de vivre ensemble. Trois kilomètres plus loin, l’Académie de Jette, dans une zone plus middle class, voit le garçon suivre, dès 11 ans, cours de solfège et percussions. L’été, le quartier est archi mort et muet: reste à faire cinq minutes de bagnole pour rejoindre le Sacré-Coeur de Jette. Un Christ blanc, bras ouverts, domine l’entrée: c’est pas Rio mais Bruxelles, avec la concierge Francine, en poste depuis 43 ans: « Souvent, on ne se souvient que des bandits (sourire). Je pense que c’était un gentil gamin, dans une école exigeante qui accueille 500 enfants en primaire. On a aussi eu Jean-Claude Van Damme… » Après 62 coups de fil, on tombe sur Andréa Gorrissen, titulaire de la 6e primaire de Paul: « Le Sacré-Coeur est plutôt une école BCBG et, sans que cela soit du tout péjoratif, Paul dénotait un peu. il semblait avoir d’autres valeurs. Sa maman, une femme avec de très beaux yeux, les mêmes que Paul, avait à coeur qu’il s’en sorte bien. Je savais que le père n’était pas présent (déjà emporté par le génocide rwandais, ndlr), mais, très pudique, Paul ne parlait pas de cela. Sur le plan scolaire, il était appliqué. Sans être en échec, il ne pétait pas des flammes. Elevé par une maman, Paul avait développé une sensibilité différente: il essayait toujours de trouver le meilleur chez l’autre, restait à l’écart des disputes, était gentil et affectueux. Je me souviens de classes de neige en Suisse ou de ce retour d’excursion en tram 94, où l’on discutait comme deux petits vieux (sic), il disait des choses intéressantes, différentes des enfants de son âge. » Fin 2011, après quatorze années sans se voir, Andréa reçoit un sms de Paul l’invitant au Cirque Royal: « Avec toute la famille, mes trois enfants compris. Après le concert, je suis allée le voir et il m’a semblé très attentif à notre discussion, pas du tout bâclée alors qu’on ne s’est finalement connu que pendant un an… » Mais c’est Jésus, ce Paul! « Non, il ne me semble pas être religieux », conclut la prof, on l’aura compris, largement « marquée par ce garçon ».

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Saint-Paul?

À l’adolescence, la concentration scolaire de Van Haver jr vire au coup de mou. Piratée par ce hip hop qui le fait décidément rêver. Résultat, il se retrouve à l’Internat du Collège Saint-Paul (…) à Godinne, 85 km de Jette. Là aussi, ce sont les mêmes échos de « grand et beau garçon, bien fringué, cheveux courts, toujours distingué ». Monsieur Jaumin, prof d’économie, précise:

« En classe, il avait beaucoup d’humour, essayant de poser de petites colles, mais gentilles. Il devait être le seul « Africain » de sa classe et comptait un peu plus sur son intelligence que sur son travail, quand même dans la moyenne supérieure. » Paul revient à plusieurs reprises faire des concerts rap aux « 4 heures de cuistax de Godinne » et, l’année dernière, parle de son parcours dans la salle des Fêtes du Collège devant 300-400 élèves captivés, « sans grosse tête, accessible avec tout le monde, simple. Il a même jeté un oeil à son ancienne chambre ». Un peu plus tard, alors qu’il traque des études de son à l’INRACI, Paul bosse au Quick de la Rue Neuve. Lety l’y croise pendant une année, « vers 2004 » et les échos toujours positifs ne faiblissent pas pour ce garçon « habillé rap, tee-shirt large, jeans portés bas, sans doute pour dissimuler un peu ce grand corps mince qu’il ne fait pas grossir malgré un appétit impressionnant: un Big menu c’était un peu juste pour lui (rires). Il était très pris par le rap et m’avait donné une cassette pour mon frère (le rappeur Pitcho, ndlr) qui l’avait d’ailleurs impressionné. Il était ambitieux mais, malgré la dureté des horaires et les exigences de la clientèle, jamais je ne l’ai vu s’énerver ou de mauvaise humeur. Il fréquentait toutes sortes d’amis, mélangés, pas du tout le prototype du rappeur fermé. Je le croise encore de temps à autre, recroquevillé dans sa petite Fiat, et il me fait signe. Il n’a pas changé. »

L’humanité

Quelques années plus tard, trois millions de singles et 200.000 copies du premier album écoulés, Stromae est un homme riche. « Selon son contrat, il a dû gagner entre 500.000 euros et le double », prédit un musicien bruxellois bien informé. Même au début du succès, Paul n’oublie pas le principe de solidarité avec ses anciens camarades de La Cité de l’amitié à Woluwe-Saint-Pierre. Un jour, Michael, croise son chemin pour une « net tape » qu’on peut voir sur YouTube (ci-dessous), 1020 vues seulement -qui tranchent sur les scores millionnaires du Maestro: « Alors on danse était déjà sorti, et certains rappeurs étaient clairement jaloux, donc parlaient mal sur lui. En le rencontrant, on ne peut pourtant que l’apprécier. C’est un bosseur qui bosse bosse et rebosse. »

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Simon Lesaint, DJ et producteur bruxellois qui a accompagné le succès mondial de Stromae -120 concerts plus des télés/radios de Bruxelles à Mexico-, le voit comme « quelqu’un de très cohérent, gardant la même ligne de conduite. C’est un perfectionniste mais il n’est pas le pire. Il écoute les idées des autres mais au final, suit essentiellement ses propres envies. Je le trouve plus producteur qu’auteur: écrire -même avec talent- lui semble assez pénible. Brel et Gainsbourg ne font pas du tout partie de sa culture initiale. Il n’est ni flambeur ni radin. Finalement, il semble assez compliqué parce qu’il résiste à l’analyse. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme lui. »

On croise Jacques Duvall. L’auteur coquin rappelle que lui aussi a longuement fréquenté l’Internat catholique de Godinne: « Je serais curieux de savoir ce que Stromae pourrait dire de son passage là-bas, de ce que les profs pourraient dire de lui. Parce que, d’une certaine manière, toutes les qualités qu’il semble posséder -le talent, la gentillesse, l’humilité- manquent peut-être d’une faiblesse, avouée ou non. Ce qui au final, définit l’humanité de quelqu’un »

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