Sponsors et festivals, les liaisons dangereuses

Les sponsors sont omniprésents en festivals, comme pour la scène Joe Piler des Ardentes de Liège © BELGA
Sophie Deprez Stagiaire

Devenu indispensable, le soutien d’un sponsor à un festival lui permet de garder la tête hors de l’eau jusqu’à ce que la marque décide d’aller voir ailleurs. Zoom sur la relation toxique entre culture et pub.

Le Festival Marktrock à Louvain et son fournisseur officiel, Stella Artois.
Le Festival Marktrock à Louvain et son fournisseur officiel, Stella Artois.© BELGA

Alken-Maes et le festival Marktrock, c’est fini avant d’avoir commencé. Les deux anciens futurs partenaires ont mis fin à leur contrat de commun accord. Depuis l’établissement du Marktrock sur la Grand-Place de Louvain en 1982, c’était AB Inbev avec sa louvaniste de Stella Artois qui était sponsor principal de l’événement. Quand l’organisateur du festival a fait savoir qu’un contrat venait aussi d’être signé avec Alken-Maes, les taverniers de la Grand-Place ont mis leur holà. Un autre contrat liait déjà les cafetiers de la « Oude Markt » de Louvain à AB Inbev pour la vente exclusive de leurs produits. Face à cette incompatibilité, le choix n’était même pas cornélien; il était tout simplement interdit. AB Inbev avait réussi à éviter toute concurrence.

Il n’est pas rare qu’une marque exige l’exclusivité dans le sponsoring d’un festival. L’organisateur se contente alors du soutien monogame d’une seule quand, pour des raisons financières, il en voudrait deux. « Souvent, une marque veut un monopole sur un événement. À partir du moment où l’organisateur se dit qu’il aurait davantage de revenus avec plusieurs marques autour de lui, il prend le risque de froisser un sponsor », explique Philippe Warzée, directeur éditorial de PUB, un magazine belge spécialisé dans les domaines du marketing, de la publicité, de la communication et des médias.

Chaise musicale

Un groupe joue au Spring Fest 2012 sur scène avec ses sponsors
Un groupe joue au Spring Fest 2012 sur scène avec ses sponsors© Jim Ankan Deka

Les marques s’invitent à un festival comme des convives capricieux à un banquet. L’entente restera cordiale si l’organisateur installe ses sponsors autour de la table suivant la même règle: un seul grand sponsor et trois ou quatre petits se partageront le gâteau du retour sur investissement. Tant que chaque marque offre un service différent, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. « Dans le cas des petits sponsors, par exemple, on va en avoir un dans le domaine de la santé, un autre dans les voyages et un dernier dans les soft drinks; des domaines qui n’ont rien à voir », illustre Philippe Warzée.

Jaloux et volage, un sponsor principal, ça risque à tout moment de se tourner vers les gros calibres à la Tomorrowland, Werchter et Dour quand il se retrouve sur le ring avec un autre poids lourd de sa catégorie qui offre les mêmes produits. L’organisateur du festival Marktrock avait commis l’erreur de penser que AB Inbev et Alken-Maes, deux géants de la boisson phare des Belges pouvaient en toute fraternité se partager l’espace de débit pendant un festival de musique. Tenu par ses voeux, Marktrock a dû rester fidèle et exclusif envers AB Inbev et abandonner l’idée d’une aventure avec Maes.

Un sponsor principal, c’est aussi indispensable que toxique. Il faut en prendre soin en lui donnant un savant mélange de visibilité, sans se faire voler la vedette. Il a toujours une furieuse tendance à vouloir plus. Toujours plus. « Les marques essayent de vampiriser un événement qui a énormément de notoriété, pour qu’il reprenne leur nom ou l’associent au moins au rendez-vous. Ces marques s’assurent ainsi beaucoup plus de retombées économiques », poursuit le directeur éditorial.

Le Drive-In Movies, un cas d’école

Il cite l’exemple du Drive-In Movies de Bruxelles, créé en 1988. « À l’origine, il s’appelait Drive-in Movies. Au fil des années, plusieurs marques sont venues apporter leurs produits: des ballons, des crèmes solaires, des préservatifs… Et puis certaines ont voulu se détacher, investir davantage. C’était le cas de Douwe Egberts, qui a voulu devenir le sponsor principal de ce cinéma drive-in et a exigé de lui donner son nom, avec l’accord de l’organisateur, bien sûr. En 1993 c’est devenu le Douwe Egberts Drive-in Movies. »

Drive-In Movies de Bruxelles
Drive-In Movies de Bruxelles © Assistant08

Dix ans plus tard, le Drive-In Movies du site du Cinquantenaire de Bruxelles était de nouveau orphelin d’un sponsor principal. Douwe Egberts avait décidé de se retirer du sponsoring du cinéma en plein air. Conjoncture et retour sur investissement insuffisant obligent. Depuis 2011, le Drive-In Movies de Bruxelles n’existe plus, incapable de se trouver un sponsor principal digne de ce nom.

La dernière crise économique n’a pas manqué d’égratigner la culture. Philippe Warzée note un changement d’attitude dans l’implication des marques depuis plusieurs années. « C’est clair que depuis 2008, on a de plus en plus besoin de sponsors. Le Drive-In Movies est un cas d’école. Il a commencé sans sponsor principal et sans publicité; maintenant, il n’y a quasi rien qui puisse se faire sans un apport de sponsors. »

Si les festivals ont un besoin viscéral de sponsors, les marques aussi subissent les effets de la crise et les liasses de billets sont de moins en moins épaisses. Certaines arrêtent même leur sponsoring sans autre forme de procès. La liaison est alors devenue fatale pour le rendez-vous culturel qui, privé de sa perfusion, n’a plus que quelques éditions à vivre. « Pour des festivals de musique, on est toujours au one shot. Le partenariat ne se fait pas dans la durée, mais plutôt d’édition en édition. Une fois le bilan de cette année établi, on va discuter pour savoir si la marque reviendra ou pas pour l’édition suivante. »

Si elle revient, c’est par calcul et non par compassion. D’un rendez-vous sportif (la Jupiler Pro League) à un petit festival local (le Belga Jazz devenu l’Audi Jazz Festival devenu le Skoda Jazz Festival devenu le Hello Jazz Festival depuis son alliance avec Hello bank!), les caractéristiques, comme la cible et le nombre de participants, sont connues à l’avance et permettent au sponsor de sélectionner avec soin l’événement qui bénéficiera de son aide salvatrice et lui assurera un coup de pub aussi vigoureux qu’un bain d’orties.

Jamais par hasard

La Smirnoff House de Tomorrowland 2014
La Smirnoff House de Tomorrowland 2014© Sebastien Camelot

À Rock Werchter, par exemple, 88.000 personnes par jour pendant quatre jours sont passées devant le stand Win For Life; à Tomorrowland, c’est un bilan final de 360.000 personnes réparties sur six jours qui pouvaient franchir les portes du stand Smirnoff, décoré en conséquence pour se fondre dans le décor onirique du festival belge électro.

Quand Proximus déploie son réseau temporaire sur le site du festival Rock Werchter pour son édition 2015, c’est en connaissance de cause que la marque accepte de débourser 200.000 euros sans exiger d’intervention de la part de l’organisateur. « Au contraire, certains demandent parfois que l’on paye pour équiper leur site… Ce que nous refusons catégoriquement », expliquait Stéphane Dechevis, ingénieur civil chez Proximus. Ce n’est pourtant pas par charité ni bonté d’âme que le sponsor débourse cette somme. L’opérateur sait que l’événement est « l’un des derniers lieux où l’on peut vraiment montrer notre avance en termes de qualité du réseau. Si votre copain parvient à passer un appel, et vous non, l’opérateur de votre ami marque des points… On veut être cet opérateur », promet Stéphane Dechevis.

Relation contre nature

Proximus et Belgacom présents au Pukkelpop 2010
Proximus et Belgacom présents au Pukkelpop 2010© Chiara Lorè

Dans ce cas précis, le sponsoring d’un opérateur téléphonique vis-à-vis d’un festival fait sens, puisque l’utilisation du téléphone y est centrale. Il arrive pourtant que l’association d’une marque et d’un festival ne soit pas justifiée par le service, ou même contre-nature. « Certaines marques sont assez intelligentes pour se lier au bon festival. D’autres sont parfois liées à un événement pour des raisons obscures, par erreur ou parce qu’il y a du copinage entre les directeurs des marques et des festivals », explique Philippe Warzée.

Mithra est une entreprise pharmaceutique liégeoise. Pourtant, en 2014, elle était devenue sponsor principal d’un festival de musique – le Jazz à Liège – et l’avait d’ailleurs sauvé de la noyade en attirant 40% de participants en plus qu’en 2012. En échange, la Société Anonyme avait fait en sorte que son nom soit accolé à celui du festival. Devenu Mithra Jazz à Liège, il s’étendait désormais sur trois jours au lieu de deux les années précédentes, mais s’était perdu du côté médiatique des grosses têtes d’affiches avec Thomas Dutronc et Paolo Conte. Davantage de commercial pour moins d’âme pionnière du jazz; l’alliance n’augurait rien de bon.

Cette année, tout est rentré dans l’ordre quand le Mithra Jazz à Liège a retrouvé une ambiance conviviale et une programmation plus pointue avec les légendes Ron Carter et Gary Peacock, et le reste d’un programme axé sur la contrebasse et les artistes belges. Jazz à Liège est désormais lié par le sang au mécénat culturel de Mithra. Pour le meilleur ou pour le pire…

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