Serge Coosemans

Soyons très snobs, sauvons la nuit!

Serge Coosemans Chroniqueur

Outre la neige et le froid, c’est aussi le doux ronron d’une nuit bruxelloise bien trop prévisible qui a encouragé notre chroniqueur à rester chez lui. Sa solution à l’ennui: le snobisme! Le bon! Sortie de Route, S02E27.

Il n’y a pas si longtemps: Baauer et son Harlem Shake au Libertine Supersport. Jeudi dernier, chez Mr. Wong, soi-disant la soirée à ne pas rater: un DJ-set de Digitalism où se sont alignées comme dans n’importe quelle fête de scouts ucclois des scies pop très usées telles que le Blue Monday de New Order, Midnight City de M83 ou encore Girls & Boys de Blur. Ce samedi, chez nos amis de la Leftorium: des Allemands issus de la sphère Robert Johnson/Kompakt Records. Encore et toujours des Allemands, plus dix ans que ça dure (Recyclart, Mirano, Cat Club, Leftorium, etc…). Il y a souvent plus d’Allemands aux platines de la nuit bruxelloise que dans les campings de la Costa Brava et un moment, ça suffit ! C’est comme le poulet/compote systématique du dimanche midi servi les bigoudis sur la tête par Mémé et avalé devant la télé allumée avec la bouille à Michel Drucker dans le cadre. Un jour, vous pétez un câble ! Vous voulez des spaghettis, du nasi goreng, un putain de tartare de thon! Vous jetez rageusement votre cuisse de coucou de Malines au clébard. Vous écrasez frénétiquement vos croquettes de pommes de terre dans l’assiette, pris d’une envie cathartique de destruction orgiaque. Vous partez complètement en vrille. Vous dites à Mémé vous sentir oppressé par le papier peint fleuri de la salle à manger, ses bigoudis, Drucker. Personne n’y comprend rien. On évoque une folie passagère, le manque de sommeil. On se plaint que vous n’êtes pas capable d’apprécier les bonnes choses bien simples, que votre esprit critique l’est trop. Cela vous rend tortueux et difficile. En d’autres termes, vous n’êtes qu’un sale snob.

Il faut pourtant bien admettre que ce qui n’est pas très cool pour le poulet, les bigoudis et le papier peint de Mémé l’est par contre dans les arts, la culture et l’entertainment. Dans ces sphères-là, une certaine forme de snobisme n’est pas une tare, bien au contraire. Il y est très sain de ne jamais se contenter des évidences, de rester continuellement au taquet, de garder vivaces sa curiosité et sa soif d’inouï, son sens critique, aussi. Les meilleurs DJ’s, les meilleurs journalistes, les meilleurs chroniqueurs, les meilleurs blogueurs, les meilleurs programmateurs et les héros de réseaux sociaux ont tous ce merveilleux rôle de passeur. Leurs égos s’effacent derrière le plaisir de la découverte et, mieux encore, celui de son partage. Ce trip-là n’est pas identitaire, ni prétentieux. Il ne consiste pas à chercher à se distinguer des autres, encore moins à leur afficher une quelconque supériorité. Il ne s’agit que d’expertise mise au service du plus grand nombre. Dégotter seul des kifs puissants sans attendre que le label ou l’imprésario ne vous dépose le dossier de présentation de l’artiste sur votre bureau. Cela n’a strictement rien à voir avec l’élitisme, snobisme vraiment crasseux pour le coup, cette mentalité bouseuse qui consiste à s’approprier des formes culturelles pour se différencier du vulgum pecus.

Ça, c’est juste de la bête frime identitaire, pour laquelle je n’ai aucune pitié. Je ricane de ces quinquas qui estimaient jadis Joy Division trop commercial mais trouvent aujourd’hui leur bonheur chez Diam’s ou Benjamin Biolay. De ces skateurs bruxellois qui se la pétaient grave avec leur hardcore inaudible avant de copiner avec Pedro Winter et Justice et admettre qu’au fond, leurs véritables classiques, c’est The Prodigy et les Red Hot Chili Peppers. Je n’ai non plus la moindre sympathie pour ces véritables idiots ramenards qui programment à perte de formidables artistes, sans les promouvoir correctement, grillant la réputation du public bruxellois et sachant très bien que leurs salles pleines de courants d’air n’attireront que la clique habituelle de 50 ou 100 ploucs dépressifs dont le seul plaisir aura été de voir jouer les mecs avant tout le monde et d’en tirer légendes urbaines et gloriole personnelle pour les 20 ans à venir.

Le snobisme que je vante ici n’a rien à voir avec cela. La nuance est d’autant plus importante que généralement mal perçue. Depuis quelques années, celui qui ramenait jadis les véritables bons plans, les vraies visions curieuses, les propositions excitantes, n’est plus considéré comme un défricheur aventureux mais plutôt comme un connard d’hipster. Formidable outil de découverte pour les uns, le Web est aussi une machine égalitaire, qui rase gratis, qui fabrique du mouton à la dizaine. La recherche du buzz prime sur la véritable découverte, la vidéo de chat mouillé génère plus de délires qu’une tuerie techno industrielle sur Soundcloud. C’est déplorable et ce n’est certainement pas du snobisme que de vouloir sortir de ce nivellement par le bas généralisé. Imaginer qu’une salle bruxelloise correcte puisse programmer une prestation de Perc ou de Sandwell District. Est-ce du snobisme? Penser que l’Église de Gésu serait un écrin parfait pour une soirée In Paradisum ramenée de Paris. Est-ce du snobisme? La Villette Sonique en villégiature à Recyclart. Est-ce du snobisme? Déplorer que tout ce que la capitale compte d’organisateurs de soirées a pu laisser les monstrueux Hardfloor filer début mars à Charleroi et estimer que cela symbolise on ne peut mieux que quelque chose cloche dans l’actuelle nuit techno de Bruxelles. Est-ce du snobisme? Quand j’étais plus jeune, avec ma bande d’alors, on avait ce slogan, l’une des premières choses que l’on a pu dire en anglais. We want the best, fuck the rest. C’est resté un leitmotiv puissant.

Serge Coosemans (Merci à Ph.)

Prochaine Sortie de Route : le lundi 8 avril.

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