Sortie de route #5: Halloween Special

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

Quoi de plus sain, équilibré et civil, que de se pochetronner la boule déguisé en Jack Sparrow de supermarché la dernière nuit d’octobre et, le lendemain, de vous traîner tout vaseux mais en costard fleurir la tombe de vos chers disparus? Au moment du réveil, se sentir un peu plus proche d’eux, paré pour les rejoindre au bout du long tunnel, même si dans votre cas, le long tunnel, c’est surtout l’itinéraire qui va de votre bouche à la Mer du Nord en passant par le réseau d’égouttage? Leur parler, implorer leur aide surnaturelle (« Granny, si tu m’entends, matérialise-moi du Motilium! »). Succomber aux supplices qui suivent toute biture vraiment digne ce nom: vertige existentiel, angoisses morbides, sexe misérable, impression d’être jugé par l’Au-Delà…

Très sincèrement, je pense que l’humanité de nos régions se porterait beaucoup mieux si LA cuite de l’année se programmait à Halloween et non pas au Carnaval ou, pire, à la Saint-Sylvestre. Le lendemain de ces jours-là, vous retournez tout simplement au boulot coiffé d’une casquette de plomb ou alors, vous bouffez de la choucroute en famille assis sur de la petite monnaie. Banal. Le jour qui suit Halloween, par contre, c’est la journée la plus morbide de l’année. Pas moyen d’échapper à l’idée de sa finitude un premier novembre! Tout est fermé, il fait nuit noire à 16 heures et on ne passe que des films tristes à la télé (ou alors, c’est moi qui, la tête ailleurs, loue chaque année Marley & Me?).

L’univers entier se ligue pour vous rappeler que vous, vos enfants, vos parents, vos amis, votre chat, votre chien, François de Brigode, David Bowie, tous ceux que vous aimez et même Bart De Wever, Pascal Vrebos, Charles Michel et Rudy Demotte, vont finir en kipkap cosmique au mieux; au pire, en engrais pour les orties. Dès lors, le premier novembre ne devrait plus être considéré comme un jour férié religieux mais bien devenir LA JOURNEE MONDIALE DU RAVALEMENT D’EGO. Parce qu’il est bon de garder à l’esprit que l’on va tous mourir. N’importe quel Peau-Rouge, n’importe quel sage, n’importe quel hippie, vous le dira. LA JOURNEE MONDIALE DU RAVALEMENT D’EGO serait d’autant plus efficace sur les âmes et la santé mentale publique qu’elle serait de fait précédée par LA NUIT OÙ PAPA VOMIT SON JAGERMEISTER DÉGUISÉ EN GRAND SCHTROUMPF TANDIS QUE MAMAN LE CUL À L’AIR SOUS SA JUPETTE HERMIONE RENTRE EN RALANT ET QUE CE BATMAN BOUFFI DE TONTON ROGER BALANCE LA PHOTO SUR FACEBOOK! Ce qui, au niveau de la gestion d’ego, vaut un million d’heures de méditation en ashram.

Seulement voilà, depuis la vingtaine d’années qu’Halloween est de retour dans nos contrées, après son exil yankee, je n’ai jamais eu vent de la moindre bamboula la célébrant qui ait été véritablement digne des fantasmes que charrie une telle date. Dans les bouquins de Bret Easton Ellis, dans les films, sur les blogs américains, ces fêtes ont toujours l’air excessives, dantesques, monstrueusement drôles, impérialement alcoolisées et sonorisées par des groupes de garage-rock diablement et jouissivement brutaux.

Dans notre réalité belge et pour ce que j’en connais, française, la nuit du 31 octobre, ça n’a jamais été vraiment ça. Plutôt des sorcières à lunettes davantage mortes d’ennui que d’ivresse sous leurs chapeaux pointus, des danses mécaniques et zombiesques sur du R&B kilométrique ou de la happy house hors-sujet. Dans des bars à expats, avec deux ou trois squelettes qui pendouillent, des araignées en peluche aux fenêtres et un sorteur toujours prêt à vous tailler une tête de potiron. L’idée d’Halloween prend certes dans les commerces et chez certains gamins mais dès la nuit tombée, il semble indéboulonnable dans la tête des continentaux que le 31 octobre n’est pas une date où pratiquer le binge drinking et la farandole. Ici, on préfère de loin fêter le retour du printemps que l’arrivée de l’hiver et le premier novembre et sa veille restent définitivement considérés comme austères, recueillis, tristes et sérieux. Cela dit, je pense qu’au moment de désigner les coupables qui ruinent toute velléité locale de teuf monstre un 31 octobre, on peut également accabler le CRIOC (mais oui, notre très national Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs). Ainsi que les Goths.

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Le CRIOC, parce que s’il y a bien une bande de communistes pour chicaner Halloween, c’est dans ces parages là qu’on la trouve. Trop proche de la Saint-Nicolas et pareillement principalement destinée « à nos chères et innocentes petites têtes blondes », cette horrible fête « bassement commerciale » a le malheur d’être « typiquement américaine » et d’avoir une série de films d’horreur plus industriels qu’artistiques en guise de clips promotionnels. La théorie de l’opération de guerre psychologique à grande échelle perpétrée par les Ricains pour nous vider les portefeuilles et nous lessiver le libre-arbitre a toujours rencontré pas mal de succès sous nos roses latitudes. Ceci expliquerait que ce discours « Halloween = George Bush » lamine toujours la possibilité de se murger en Belgique déguisé en Chewbacca un 31 octobre à plus de 15 dans une ambiance vraiment gravosse.

N’oublions pas les Goths. Ce que l’ecstasy est à la culture techno, la mort l’est à la culture goth. C’est leur fond de commerce, leur petite propriété culturelle, leur cliché en bandoulière. C’est ce qui fait qu’à l’instar de tous ces gens qui ne vont jamais en soirée techno parce que « c’est de la musique de drogués », plein de fêtards boudent Halloween et sa thématique morbide parce que ça a tout l’air d’un « bête bal goth. » Le Goth a une réputation festive des plus sinistres. Les soirées hip-hop ressemblent à un vestiaire de club sportif mais les soirées goth, c’est pire, c’est le casting de True Blood entre les prises, à regarder en l’air et à se curer le nez sur de la musique qui même hard-core ressemble toujours à du Cure. Il n’y en a pas un pour se déguiser en Oncle Fester et trouver ça drôle, ils paradent tous persuadés de promener leur personnalité extraordinnairement différente de la masse. Le pire, c’est que le Goth juge lui aussi Halloween trop commerciale. Il préfère de loin aller au Sinner’s Day, tirer la tronche devant des groupes déjà morts en 1985.

Bien sûr, je vous vois venir. Vous allez balancer du lien, des invitations vers ce que vous estimez être les meilleures soirées Halloween du Royaume. Vous allez vouloir démontrer par l’exemple comme je n’y connais rien, ou vouloir me traîner dans votre bouiboui parce que vous vous sentant défié dans votre art de l’amusement par ce billet d’humeur, vous brûlez de prouver que vous, vous chauffez vraiment le dancefloor au feu de Satan. Comptez pas trop sur moi, dudes. Ce week-end, j’ai traîné au Tracnar, heu Bozar… Festival electro pour beaucoup, fêtes de la bière pour certains. C’était mon jamboree d’anniversaire, aussi, samedi: 8 heures en apnée dans une piscine d’alcools divers, sonorisées à la crapuleuse. Aïe aïe follow deep sea of vodka, baby. La citrouille donc bien spotchée, je passe tout simplement ce lundi soir devant Marley & Me et au dehors, vous pouvez bien tous vous faire avaler la cervelle par l’armée des ténèbres.

Serge Coosemans

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