Si je serais Didier…

Lundi, c’est Jack a dit. Guillermo Guiz, notre noctambule attitré, part pour l’avant-dernière fois de la saison à la recherche du beat qui tue. Night in, Night out, épisode 40.

Ca commence chez soi, chez elle ou chez lui, dans un appartement ou une villa, une chambre d’hôtel, un train, un van, un avion, un scooter. Le manager, le bookeur, la mémoire ou la foi en l’Homme confirme, ou rassure: le cachet est là, ou sera là, promis-juré, les un, deux, trois, quatre ou cinq zéros sur le chèque (façon de parler, ça existe encore, les chèques?) gonfleront le compte en banque ou le compte en auto-love. Dans le sac-à-dos, Serato au point, Mac au taquet, vinyles beaux gosses ou CD sans griffes, la tension mijote, les unités, dizaines, centaines ou milliers de party people (where’s the party at? Tu te souviens d’Alex Golfeur?) commencent à dévaler sur le dance, floor-à-dance (soca dance? Tu te souviens de Charles D. Lewis, le forain?) et derrière le booth, à coups de baff(l)es, elle, il ou eux s’apprêtent à passer la paume sur le ventre des clubbeuses, des clubbeurs, pour les travailler à l’onde, là, entre le nombril et le haut de la toutouffe, tu vois, là où la musique donne envie de se spasmer, de se gilles-de-la-tourettiser (Fuck! Putain! Putain, couille-couille, Anne Roumanoff!), ou pour les plus philanthropes, de semer sa descendance à gauche pas à droite, jamais à droite, et de s’oublier dans l’alcool, la drogue, la vache-qui-rit et la bonne humeur. Prendre place, le jack rouge dans l’entrée rouge, prises mâles et prises femelles (je parle électronique, t’excite pas), déposer le sac, commander le verre ou recevoir la bouteille, ghetto ou Guetta, palper l’atmosphère, savoir qu’on est attendu ou qu’on devra se faire un son, mesurer la distance qu’il y a, mètre en pogne, entre faire plaisir et se faire plaisir. Didette Joquet, Didier Joquet, à toi.

Anecdote. Véridique (bien que légèrement romancée). Naguère (il n’y a donc guère). Un grand festival, sur une côte que l’on nommera, pour se donner bonne conscience, la côte française. Un club de luxe. Dedans, un Didier ultra-dans-le-wind, top 1 ou presque dans le top 50, très-plein-de-sous-dans-le-cachet, dont on dira, pour se donner bonne conscience, qu’il n’est pas Bob Sinclar. La fêfête suit son cours, tout bien quoi, les gens dansent et déboursent, Didier assure le taf avant qu’un énorme client, du genre très-plein-de-sous-dans-le-porte-liasses, vienne gentiment quémander un dixe, un dixe de Laurent Wolf je pense, que l’on intitulera, pour se donner bonne conscience, No Stress. Didier, horrifié qu’on puisse lui suggérer une quelconque marche à suivre, se braque, éructe, pestifère, renâcle, renifle (tu sépareras toi-même le bon grain de l’ivraie, je n’y étais pas ((je ne vais pas dans les grands festivals de cinéma (((ni dans les petits, pour info))))), mais l’anecdote est recoupée ((un fond de jus de journalisme éthique baigne encore dans mon slip)), believe me), perd toute patience et sens de la mesure, envoie des « fuck you bitch, you know who you’re talking to? » (ce qui signifie, approximativement, « tu sais qui je suis? Qu’est-ce que tu penses des talkies-walkies? ») à la face dudit client, aussi largement étranger que dépensier, le genre à taper plusieurs grosses centaines de milliers d’euros (euphémisme) à l’année dans ledit club de luxe, dont l’abondance de stars enrôlées pour doigtouiller les platines dépend, en grande partie, de la munificence de tels spécimens.

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Le patron, dans la foulée, intervient. Didier, susurre-t-il aimablement, en lui tapotant l’épaule d’un air fraternel, est-ce que passer No Stress, quand tu le pourras, te trancherait véritablement la capsule? Tu tournes les dixes depuis si longtemps ici, j’ai participé à ta renommée, à l’achat de ta septième automobile (et quelle automobile!) via l’énormité progressive des cachets que je t’ai accordés: penses-tu, dès lors, au regard de ces prémisses, qu’il serait indécent, pour toi, Didier l’ami, de chatouiller l’enthousiasme de ce client –lequel, je te le rappelle, est indirectement lié au confort dans lequel tu te vautres depuis tant d’années? Injouable. Et Didier de finir dégagé, manu militari, comme un vulgaire vanupied. Entre lui et le club de luxe, l’histoire d’amour sent le pavé mouillé, sent la fin du haricot. Pourtant, ils se sont aimés. Mais qui a raison? Didier, aussi underground qu’un remix de Claude François par le clown McDonald, qui n’a subitement pas envie d’être pris pour un juke-box? Le patron, pour qui « le Didier est roi, mais le client est l’empereur »? Le client, qui ne comprend pas très bien l’intérêt d’être sur-blindé, si on ne peut pas commander un dixe de merde au Didier? Penses-y. Moi j’y ai pensé. Et franchement, je me tâte.

Anecdote (bis). Véridique (et là, j’y étais). J’en profite pour saluer Arthur. Un coin snob et boisé d’Ixelles, une ancienne villa. Douze clubbeurs dans le club, jeudi. Un ami cher, Didier émérite, tourne les dixes, pour faire plaisir, gratuitement: c’est l’anniversaire d’une jeune femme de son entourage proche, laquelle, par son passage à la décennie suivante, fournit au club huit de ses douze clients du soir. La musique est exquise. Un peu funky, un peu housy. Nous sommes trois à danser élégamment. Soudain, au loin, deux jouvenceaux endimanchés s’activent autour de leur table, prêts à montrer à leurs petites amies respectives de quel bois ils se revendiquent. A cet instant, Sing it back de Moloko cliquette dans les oreilles présentes et le duo mâle s’extasie, frivole. Puis Didier l’ami, dont je tairai le nom pour ne point l’embarrasser, reprend sa jolie programmation, qualitative mais accessible.

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Accoudé au Didier-booth, j’aperçois, du coin de l’oeil gauche, Johnny (appelons-le Johnny, par mimétisme) arriver en dingue, visiblement prêt, lui aussi, à s’enhardir auprès de l’ambianceur. La scène a duré moins de trois secondes. Une respiration, l’audace qui démarre au creux de l’estomac, parcourt les viscères et s’extirpe douloureusement par les cordes vocales: « Excuse-moi, est-ce-ke y’a moyen de mettre un peu plus… » « Oui oui, pas de problème. » Les guillemets, qui séparent ici le « plus » du « oui » dépeignent assez mal la foudroyante vitesse avec laquelle mon ami a expédié une situation qu’il ne connaît que trop bien. Sans demander ni son reste, ni le reste de sa phrase, le garçon s’en est allé fanfaronner auprès de sa tablée, persuadée que ses yeux, suffisamment explicites, avaient exprimé avec la plus grande clarté du monde à quel point les hits Contact, Fun et NRJ auraient été les bienvenus, dans cette ambiance morne et terne.

Qui a raison? Le Didier doit-il céder aux lamentations des courageux et des plaintifs? Le garçon peut-il légitimement influer sur la programmation musicale de l’établissement? Un agent d’artistes, et pas le moindre, m’a récemment livré son opinion sur la question. D’après lui, les plus grands Didiers, bien conscients que les bouteilles de champagne crapuleusement empilées par les plus fortunés des clubbeurs concourent au bon fonctionnement d’un système dont ils profitent largement, n’ont aucun mal à vendre leur platine au Diable. Et si No Stress il faut pour qu’un armateur ouzbekh puisse prouver à la prostituée qu’il vient de louer à quel point il a de l’influence, No Stress il y aura. Et là, tout de suite, je pense au marcel d’Arnaud Rebotini, 1m90 et 110 kilos, que le leader de Black Strobe trimballait au K-Nal samedi soir.

Rien que pour vivre de chouettes choses dans ma vie, j’aurais bien aimé qu’un mec full-tunes se perde au Libertine, avec sa pouf de luxe, en pleine erreur de casting. Je l’imagine bien, au premier étage, à boire un mauvais champagne sur une table collante, squattée par des freaks en slim, à battre maladroitement du pied (pour faire genre) sur l’électro smart et rentre-dedans servie par Rebotini. Tatiana, puisque la donzelle est ukrainienne d’origine (ok, je cliche), lève ses grands yeux las vers les cimes du cabanon, laisse son regard travailler pour sa voix. Elle s’ennuie, la musique va trop fort, va trop vite. Willy, homme d’affaires hollandais aux rares cheveux gras et à la transpiration abondante, comprend trop bien qu’il est temps, s’il en veut pour son argent, que les beats se fanent et rebondissent, au moins, sur un I got a feeling (je t’invite, à cet égard, à lire le NINO de la semaine prochaine, où il se pourrait bien que les Black Eyed Peas, bafoués à longueur de lignes dans cette chronique, fassent une apparition EN VRAI). Mais bref. J’imagine la grosse main de Rebotini, ses cheveux gominés rockabilly en témoin, s’ouvrir en menace sur le visage boursouflé de Willy. Willy prendrait alors Tatiana, ses jambes, son cou, et s’en irait à la Vert Pop, au théâtre Marivaux, pour me raconter comment c’était. Il y aurait aperçu un set de Front 242, fruit d’une programmation décalée concoctée par l’un des activistes de la nuit bruxelloise, le sieur Nico Boups. Pour des raisons que la raison ne connaît pas, je n’ai pas pu m’y rendre. Tu me raconteras. Il est tard, là. Faut que je réfléchisse. Rideau.

Guillermo Guiz.

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