Savages, quand noir rime avec espoir

Savages © Colin Lane
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Deux ans après Silence Yourself, les radicales Savages reviennent avec Adore Life et font rimer noir avec espoir. Amours sauvages…

Article initialement paru dans le Focus du 22 janvier 2016.

« C’est un disque sur le changement et le pouvoir de changer. Sur la métamorphose et l’évolution. C’est chercher la poésie et éviter le cliché. Montrer sa faiblesse pour être fort. Revendiquer ses pensées inacceptables. Mais plus que tout, c’est un disque sur l’amour. Tous les types d’amour. L’amour est la réponse. »

Ainsi les quatre Savages annonçaient-elles il y a quelques mois le climat de leur retour. Un retour sous la forme d’un deuxième album, Adore Life, à la tête haute et au regard franc, au poing tendu et aux griffes acérées. « Est-ce que c’est facile d’adorer la vie en 2015? Je ne sais pas, répond calmement Jehnny Beth, tout de noir vêtue, le cheveu court et le regard perçant, dans le bar, bruyant, d’un hôtel chic bruxellois. Toutes les époques et tous les âges ont leurs difficultés, leurs problèmes, leurs challenges. Quand on a lancé le groupe, le pouvoir de dire non et de se rebeller semblait avoir disparu. Beaucoup de gens de notre génération s’autocensuraient. A nos yeux, ne pas la fermer était essentiel. Mais c’était un message extrêmement positif. C’était l’idée d’exprimer ce qui ne va pas pour permettre aux choses de changer et d’avancer. »

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Silence Yourself exposait le problème. Ceux qui essaient de vous transformer, de vous assouplir, de vous dénaturer. Adore Life propose la solution. Enfin, ses préceptes. « On peut être nous-mêmes. Refuser les compromis. Se laisser aller à une expression libre et naturelle. On en est le reflet. On fait la musique qu’on veut et de la façon dont on l’a décidé. Mais ça demande de l’énergie, de la force, du courage que d’être fidèle à ce qu’on est et de conserver son intégrité. »

Ce qu’on est, il faut déjà, parfois, chercher pour le trouver. A l’origine, Jehnny Beth est française. Née Camille Berthomier le 24 décembre 1984 à Poitiers. Comédienne, elle est pré-nommée au César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans A Travers la forêt (2005) de Jean-Paul Civeyrac. Elle y joue Armelle qui n’arrive pas à oublier Renaud, mort dans un accident de moto. Une histoire d’amour déjà. L’amour après la mort. Camille, à l’époque, chante et joue dans le groupe Motel avant de monter le duo John & Jehn et de fonder le label Pop Noire avec Nicolas Congé, alias Johnny Hostile. Producteur des deux disques de Savages.

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« A te regarder, ils s’habitueront »

Sur son tumblr, son blog officiel, Jehnny Beth prend régulièrement des positions tranchées. Que ce soit pour défendre Robert Crumb taxé de misogynie ou pour dénoncer le gouvernement anglais qui bannit l’éjaculation féminine des films pornographiques. Une citation de René Char que son père lui glissa sur un bout de papier quand elle avait douze ou treize ans a ressurgi pendant l’écriture d’Adore Life. « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. »

Liberté, inspiration et poésie de la vie. Sexe, plaisir et complexité du désir. Tels sont quelques-uns des thèmes abordés par ce deuxième album aux ambiances plus nuancées que son prédécesseur. « Dès le départ, notre son a été notre motivation. Ça venait de ce qu’on ressentait, de notre frustration, d’une réaction aux groupes et aux messages aseptisés. Mais ce qui me touche, ce sont les musiques fortes. Pas nécessairement les musiques bruyantes. »

Entier, viscéral, Adore Life l’est assurément. Au coeur de sa création figure une tournée new-yorkaise des clubs en janvier 2015. « Notre musique est intrinsèquement liée au live. A la performance. On avait besoin de l’adrénaline du concert. C’est notre carburant. Une chanson est même née lors de nos soundchecks. Après avoir répété dans un petit studio où Joan Jett et les Runaways avaient l’habitude de travailler, nous avons donc joué neuf fois à New York. Et ce dans cinq petits clubs différents comme le Mercury Lounge. C’était excitant. »

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Les filles en ont profité pour abandonner certains titres et redonner forme à d’autres. « Je ne pense pas qu’on utilisera les morceaux abandonnés. Ni qu’on les jouera sur scène. On ne regarde pas beaucoup dans le rétroviseur. » Elles sont ensuite parties enregistrer aux Studios Rak ouverts en 1976 par le producteur Mickie Most (The Animals, Donovan…). The Scream de Siouxsie and the Banshees, le Pornography de The Cure et le Parklife de Blur y ont totalement ou en partie vu le jour… « C’est l’un des premiers studios à Londres qui a disposé de fenêtres, raconte-t-elle. Il te permet donc de travailler à la lumière naturelle. Ce qui est agréable même quand tu fais de la musique comme la nôtre. »

Pendant la préparation d’Adore Life, la bassiste Ayse Hassan a eu une phase électro et synthés analogiques (bloquant notamment sur John Foxx and the Maths). Jehnny, elle, s’est replongée dans les nineties (Soundgarden, Mad Season, Pearl Jam) mais tout en écoutant pas mal de Slayer. Dischord Records (Fugazi, Minor Threat) est à ses yeux l’exemple ultime de qualité et d’intégrité artistique. Et le narrateur du clip promotionnel d’Adore Life n’est autre qu’Henry Rollins. Beth est moins loquace quand il s’agit d’évoquer ses collaborations avec Bo Ningen (Savages a sorti un album avec le groupe japonais en novembre 2014), Julian Casablancas (avec lequel elle a repris Boy-Girl de Sort Sol) et Stuart Staples (elle chante sur le dernier Tindersticks), que pour louer la curiosité et l’audace d’une PJ Harvey et disserter sur l’art de l’interview. Celle en huit jours d’Hitchcock par Truffaut. « Mes parents l’avaient à la maison. Truffaut est un homme qui adore le cinéma. Autant en faire que le comprendre. J’aime ça en lui. » Comme la collection d’entretiens, Listen to the Echoes, accordés par Ray Bradbury… « Ça parle de sexualité, de succès, de politique… Il évoque ses sources d’inspiration. C’est très intéressant. Tu sens l’absence de peur, la détermination. » Savages a définitivement été à bonne école…

ADORE LIFE, DISTRIBUÉ PAR MATADOR. ***

LE 02/03 AU BOTANIQUE (COMPLET).

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