Rone met de la couleur dans ses rêveries électro

Ciel dégagé au-dessus de la tête pensante de l'électro hexagonale: Rone met de la couleur dans sa musique. © OLIVIER DONNET
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son quatrième album intitulé Mirapolis, plus ouvert et coloré que jamais, le producteur électronique français fait à nouveau des merveilles.

Rone a la gueule de l’emploi. Ou, en tout cas, de sa musique. Petites lunettes rondes, coupe de cheveux distraite, il affiche volontiers des allures de geek. Mais pas seulement. Erwan Castex de son vrai nom a aussi les dents du bonheur et un regard rêveur. À la fois cérébral et sentimental: ses morceaux semblent toujours naviguer entre les deux. Depuis ses débuts à la fin des années 2000, le trentenaire n’a cessé de prendre de l’assurance. Mais tout en continuant à cultiver une certaine fragilité, fêlures laissant passer la lumière -y compris dans les recoins les plus sombres de ses paysages électro. Son goût pour les mélodies profondes et sensibles est une autre constante: décalé par rapport à la French Touch 2.0 (type Justice), il passe aujourd’hui souvent pour une sorte de précurseur de la vague actuelle de jeunes producteurs français, de Fakear à Superpoze.

En janvier dernier, Rone a été invité par la Philharmonie de Paris, pour un concert exceptionnel -qui vient de lui valoir le Prix Indé du meilleur live. Dans un autre genre, quelques mois plus tard,il a également reçu la médaille de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres…

Rone met de la couleur dans ses rêveries électro

Aujourd’hui, avant même la sortie de son nouvel album, il a rempli un Trianon et annonce un Zenith (en Belgique, il passera par l’Ancienne Belgique). Tout roule pour Rone? Avec Mirapolis, il sort en tout cas son disque le plus « coloré ». Peut-être le plus ample aussi, capable à la fois de baisser la garde (I, Philip) comme de jouer les dandys pop (Switches). Il confirme: « En réécoutant l’album précédent (Creatures, en 2015, NDLR), je le trouvais très sombre. Cette fois-ci, je souhaitais quelque chose de plus solaire, positif, qui tire vers le haut. Ça ne veut pas dire qu’une certaine mélancolie n’est plus présente, mais je ne voulais pas me morfondre dans des choses trop dark, dans lesquelles je sais que je peux facilement tomber. »

Avec Mirapolis, Rone ne maîtrise pas seulement son sujet: il l’étend, lui fait prendre de nouveaux détours, avec une fluidité impressionnante. Cela n’a pas toujours été aussi simple. « À un moment, j’ai pu un peu m’égarer. Pour le premier album, tous les morceaux étaient là, déjà écrits. Mais pour le suivant, il a fallu repartir de zéro. Je me suis demandé comment continuer à plaire? C’était le blocage total. Il fallait que je retrouve la manière de réaliser des premiers morceaux, retrouver cette spontanéité. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire… » Depuis, Rone a mis au point ce qui ressemble de plus en plus à une méthode de travail. Elle est limpide. Dans un premier temps, le producteur s’isole, s’éloigne de l’agitation du monde extérieur pour tracer les grandes lignes du disque. Dans un second, il passe à une phase plus collective. Sont par exemple déjà venus s’asseoir à la table d’hôtes dressée par Rone: Étienne Daho, François Marry (Frànçois & The Atlas Mountains), Bryce Dessner (The National), etc. Pour Mirapolis, la guest-list est à nouveau bien remplie: de l’Anglais Baxter Dury au batteur John Stanier (Battles) en passant par Kazu Makino (Blonde Redhead) ou Saul Williams… Mais d’abord, il y a donc l’étape en solitaire. Le besoin de prendre la tangente pour dégager de nouvelles lignes de fuite. Cette fois, cela s’est passé comme ceci…

Tonnerre de Brest

Rone met de la couleur dans ses rêveries électro
© OLIVIER DONNET

« Ma vie a pas mal changé ces dernières années. J’ai deux enfants. Logistiquement, tout est devenu plus compliqué à gérer (sourire). J’ai monté un studio à Montreuil, juste à côté de chez moi. Je peux m’y isoler, j’y ai entreposé plein de matériel, d’instruments… Mais malgré ça, à un moment, je me suis retrouvé bloqué. » Car même là, les sollicitations et les coups de fil continuent, empêchant de complètement se noyer dans la matière sonore. Pour lancer le processus, Rone décide donc de partir, emmenant un minimum d’instruments. Visant plutôt la Bretagne, il loue des chambres d’hôtel, avec pour seul critère « une vue sur la mer« . « À Roscoff par exemple, la chambre était un peu minable, mais j’ai pu déplacer la table contre la fenêtre et travailler face à la mer. » Pendant trois mois, il réussit à s’échapper ainsi à trois, quatre reprises. Chaque fois, il se fixe une semaine et finit immanquablement par déborder. « Au départ, il y a toujours deux, trois jours où je ne fais pas grand-chose. Je me balade, je traîne. Comme j’arrive hors-saison, il n’y a pas grand monde, tout est un peu mort (sourire)… Et puis, à un moment, je commence à paniquer, je me dis que je ne suis quand même pas venu là pour rien foutre! » Une culpabilité? « Oui, mais je sais aussi qu’il faut que je passe par là. C’est une étape presque indispensable. Parce que quand je m’emmerde, que je tourne en rond, il se passe plein de choses. »

Quoi exactement? C’est toujours un peu le mystère. Vous pouvez travailler, préparer, réfléchir, agencer, restera toujours cette zone grise, floue, où la raison et la réflexion n’ont plus vraiment de prise. Aucune mystique forcément là-dedans: il faut parfois juste attendre que cela « décante ». Et rester attentif à l’étincelle qui peut surgir à tout moment. « Pour moi, les trucs les plus intéressants arrivent quand ça dérape, quand rien de ce qui se passe n’était prévu. Je ne suis pas le genre à transcrire une mélodie que j’aurais en tête. Je laisse parler les machines jusqu’au moment où elles me surprennent. J’ai l’impression que la poésie vient précisément de ces choses qui vous échappent. » Cette fois encore, la recette fonctionne. En Bretagne, Rone emmagasine assez de matière, quasi la moitié de l’album. « Quand je suis retourné dans mon studio de Montreuil, je n’avais plus du tout l’angoisse de la page blanche. Je savais où aller. »

Il est alors temps de passer à la deuxième étape du plan. Elle est collective, ou en tout cas collaborative. Toutes les occasions sont bonnes. En 2016, Rone se retrouve par exemple embarqué par Bryce Dessner dans une grosse bamboule musicale organisée à la Funkhaus, à Berlin, mobilisant plus de 80 artistes (dont Bon Iver, Boys Noize, Woodkid, etc.). « Pendant une semaine, on s’est tous retrouvés à l’hôtel Michelberger, à improviser tous les soirs des boeufs dans les chambres, avant le concert final le week-end. » Quelques années auparavant, c’est aussi à Berlin que Rone a fait la connaissance du rappeur/slammeur/acteur américain Saul Williams. « Il était venu pour un film présenté à la Berlinale (Aujourd’hui, d’Alain Gomis, NDLR). Un pote en commun lui a proposé de venir me voir. Je donnais un petit set techno et il est directement venu slammer dessus. C’était bordélique, mais on s’était bien marrés. » L’an dernier, ils se recroisent. Rone en profite pour l’inviter en studio. « C’était le lendemain de l’élection américaine. Autant dire qu’il avait plein de choses à lâcher… » Et puis, il y a aussi le court métrage I, Philip de Pierre Zandrowicz, pour lequel il a imaginé une musique. Le morceau fait aujourd’hui l’ouverture de son album. C’est aussi le moment où Rone se montre le plus vulnérable. « Pendant une minute, il n’y a quasi que le piano, alors que je ne suis pas pianiste! Je ne sais d’ailleurs toujours pas lire la musique! Mais dans le film, ça avait du sens. Sans ça, je n’aurais jamais osé me lancer. »

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Mirapolis de proximité

Enfin, il y a l’invitation de la Philharmonie de Paris, en janvier. À cette occasion, Rone retrouvait notamment sur scène l’écrivain Alain Damasio (La Horde du contrevent). La collaboration est ancienne. C’est en plaquant les mots de l’auteur de science-fiction sur les nappes électroniques de Bora que Rone s’est fait repérer et connaître, en 2008. « Quand j’étais étudiant, on avait eu le projet avec un pote de réaliser une adaptation d’un de ses livres. On était très naïfs, certainement inconscients. Mais on a quand même bossé deux ans dessus, et Alain nous a toujours soutenus. Au final, ça ne s’est jamais fait. Mon ami en a fait une petite dépression. Mais j’ai été sauvé par la musique » (sourire).

Connu pour ses récits d’anticipation, ainsi que pour ses scénarios de jeu vidéo, Damasio a souvent peint des univers dystopiques et futuristes. À l’image de Mirapolis, qui serait en quelque sorte le propre fantasme de science-fiction de Rone (voire la bande-son du film qu’il n’a jamais terminé?) « Très honnêtement, je ne suis pas du tout un spécialiste du genre. J’ai été très marqué par les livres de Damasio, mais je n’ai même jamais lu le 1984 d’Orwell, par exemple. »

En réalité, Mirapolis est non seulement un clin d’oeil au Metropolis de Fritz Lang, mais fait aussi référence à un parc d’attraction du même nom, dans la région parisienne. « Je ne suis jamais rentré, donc il n’y a pas vraiment de nostalgie. Mais gamin, quand on partait en week-end avec mes parents, on passait systématiquement devant. C’est aussi un parc qui n’a jamais vraiment fonctionné, qui a très vite fermé. Du coup, il y a un truc de « loser » qui me plaît bien » (rires). De fait, inauguré en 1987, ce qui est alors le plus grand parc d’attraction français fermera ses portes quatre ans plus tard, faute de public (lire ci-dessous).

C’est Michel Gondry qui a aiguillé Rone vers ce titre. « Je rêvais depuis des années de bosser avec ce mec, mais je n’avais jamais osé l’approcher. » Finalement, c’est Gondry lui-même qui prend contact. Aussi étrange que cela puisse paraître, le réalisateur de clips (Björk, Beck, Daft Punk, etc.) et de longs métrages (Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Be Kind Rewind…) n’avait jamais conçu de pochette. « Quand on s’est rencontrés, il est directement arrivé avec la maquette de la pochette actuelle. J’ai tout de suite repensé à Mirapolis. En quelque sorte, c’est lui qui a imposé le titre.« 

L’association entre les deux n’est pas tellement étonnante. Pas seulement parce qu’ils cultivent l’un comme l’autre l’image de doux rêveurs. Mais surtout parce qu’ils partagent un même goût pour l’accident heureux, cherchant en permanence à revenir à l’étincelle originelle. « Je repense souvent à cette période fondatrice où j’habitais une chambre de bonne et où je passais des nuits blanches à faire du son, sans penser à quoi que ce soit d’autre, où il n’y avait encore ni label, ni « carrière » à gérer, etc. Je cherche sans cesse à retourner vers cet endroit-là où tout était directement sincère, authentique. C’est l’idée qu’au plus on est proche de soi, au plus on a de chance d’être entendu et aimé par les autres. »

Rone, Mirapolis, distr. InFiné/V2. ****

En concert le 05/05, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

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PARCS À THÈMES

Mirapolis

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Dès le départ, le projet subit l’ire des forains du coin: le lendemain de l’ouverture du parc, 150 d’entre eux débarquent avec des barres de fer et mettent à sac une partie des installations… Malgré l’apaisement, le changement de gestionnaire et… le parrainage du chanteur Carlos, Mirapolis ne décollera jamais. En 1992, son démontage est entamé. Deux ans plus tard, le Gargantua géant qui y trônait encore est dynamité…

Bobbejaanland

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Il n’y a pas que la chanteuse country Dolly Parton a avoir son propre parc d’attractions (Dollywood, dans le Tennessee). En Belgique, Bobbejaan Schoepen a ouvert Bobbejaanland, tout près d’Anvers, dès 1961. Sept ans après la mort du cowboy flamand, le parc tourne toujours, repris par le groupe international Parques Reunidos. En août dernier, il accueillait même un festival oldies et tribute bands baptisé… Yesterdayland.

Dreamland

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En juin dernier, Gorillaz fêtait la sortie de son nouvel album, en organisant son propre festival. Pour cela, Damon Albarn et ses potes ont décidé de s’installer dans un coin du parc d’attraction Dreamland, à Margate. Ouvert en 1880, plusieurs fois fermé ces dernières années, le parc tente de jouer sur la nostalgie avec ses montagnes russes décaties et son ambiance de foire vintage typique de la côte anglaise.

Astroworld

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Les parcs d’attraction fascinent également les rappeurs. La superstar Travis Scott a ainsi annoncé que son prochain album sera intitulé AstroWorld, référence au parc de loisirs installé à Houston, et qui a fait faillite en 2005. Dans la foulée, le rappeur texan a même annoncé qu’il envisageait de faire de sa prochaine tournée un véritable parc à thèmes en soi. En termes de sensations fortes, son public est pourtant déjà bien servi…

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