Róisín Murphy, le retour brillant de la diva post-disco

Róisín Murphy © Farrow
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Huit ans après son dernier album, Róisín Murphy sort enfin Hairless Toys, réflexion pop-disco aventureuse de fin de nuit. Death of a party… À voir le 6 juin prochain au Heartbeats Festival à Halluin.

Dans le café de l’Ancienne Belgique, la photo attire forcément le regard. Au milieu des autres stars, Róisín Murphy prend la pose sur la scène bruxelloise, en 2007. Regard mutin, longs gants noirs et un justaucorps blanc dont la transparence ne cache pas grand-chose de sa poitrine… Huit ans plus tard, dans un grand hôtel du centre, Murphy est de retour pour présenter son nouvel album, Hairless Toys. Elle a troqué la tenue kinky pour un chic very English, chemisier blanc, pantalon élégant, la coupe garçonne. Elle a désormais 41 ans, deux enfants, et n’essaie pas de camoufler que ça change la vie. « Je ne sors plus trop en club. Vous savez bien, les gamins sont debout à 7h, peu importe l’heure à laquelle vous êtes rentré (rires). De toutes manières, il n’y a plus tellement d’endroits intéressants. A 20 ans, j’aurais probablement trouvé une scène underground, où sortir avec 25 amis. Aujourd’hui, on risque surtout de se retrouver juste à deux, en couple, dans un coin, à observer tels de vieux pervers (rires). Donc, à la place, je vais à la gym, et je me mets mon casque. Je sue et je me concentre sur la musique. C’est assez similaire finalement. »

Róisín Murphy n’est évidemment pas la bourgeoise rangée qu’elle tente vaguement d’incarner -son rire moqueur et ses jurons ne font pas illusion. N’empêche: il y a quelque chose de rassurant à voir une chanteuse qui ne fait pas semblant d’avoir 20 ans, quand elle en a le double. Voire plus dans certains cas: Madonna a beau dénoncer l’âgisme ambiant, surtout celui concernant les femmes, il n’est pas certain qu’elle serve la cause en courant derrière les nymphettes de la nouvelle génération… Ce n’est pas vraiment le cas de Róisín Murphy. Cela ne l’a d’ailleurs jamais été. Dès le départ, l’Irlandaise a en effet joué un autre rôle, dans une autre « cour ». Une diva pop, certes, mais alternative, décalée.

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Déjà du temps de Moloko d’ailleurs: en 1995, le duo-couple qu’elle formait avec Mark Brydon sortait un premier album, Do You Like My Tight Sweater?, inaugurant une dance un peu de traviole, adepte du nonsense. Leur parcours sera sanctionné d’une poignée de hits malins: Fun For Me, The Time Is Now, Sing It Back… Dix ans plus tard, Róisín Murphy enchaînera avec une carrière solo: Ruby Blue en 2005, puis le sémillant Overpowered en 2007. Depuis? Plus rien, ou presque… « J’ai continué à écrire des morceaux. Pour moi, ou pour les autres. Mais c’est vrai que la scène a commencé à me manquer. Ma fille de 5 ans ne m’a jamais vue en concert, par exemple. Comme sa nounou lui a expliqué que j’étais quelqu’un de « célèbre » -ce que je ne suis pas!-, elle pense donc que la célébrité se résume à ça: écrire des chansons. Ce qui n’est pas mal finalement. Au moins, si je le suis malgré tout un peu, ce n’est pas parce que je passe à la télé. »

Italians do it better

La gloire, l’hypernotoriété, Murphy les a au moins frôlées une fois. C’était en tout cas l’objectif d’Overpowered, son album le plus direct, accessible, frontal. En un mot, le plus pop. « Mais ça n’a pas marché », rigole-t-elle. Pourquoi? « Je ne sais toujours pas, p… Tout était là pourtant: la musique, les visuels, le show… J’avais l’expérience requise, j’étais encore très attirante (rires). Si je suis honnête, quitte à sonner comme une arrogante autocentrée, je ne vois pas ce qui manquait. » Elle continue: « Je voulais faire un album dont chaque morceau pouvait être un single -quelque chose que je n’avais en fait jamais essayé auparavant. Puis c’était aussi le moment de réinjecter mes influences disco et house dans la pop. Toute cette musique avec laquelle j’ai grandi, dont je suis toujours amoureuse. En gros, j’avais en tête un disque dont j’étais la seule patronne, qui représentait ma vision. Ce que j’ai fait. Pour moi, c’était un succès parce qu’il m’a fait grandir comme artiste. Pour mon label, c’était moins concluant… »

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Que le disque suivant, le nouveau Hairless Toys, mette huit ans à arriver, pourrait faire croire qu’elle a mal digéré l’épisode. Ce n’est pas vraiment le cas. Róisín Murphy a d’abord fait un premier enfant, puis un deuxième. De quoi forcément chambouler la vie. Mais la bouleverser elle? « La maternité, j’aime ça. Enormément. Mais je ne sais pas si cela m’a vraiment changée. Si je n’avais pas eu d’enfant aujourd’hui, à 41 ans, cela aurait probablement eu plus d’impact sur moi. »

Pendant que sa maison de disques, feue la major EMI, s’empêtrait dans les problèmes, Róisín Murphy a continué de produire de la musique. Elle s’est amusée avec le Net, y a balancé des titres au compte-gouttes, sans grand plan, pour la beauté du geste. L’an dernier, l’Irlandaise sortait tout de même Mi Senti, un EP reprenant une série de titres pop en… italien, de Lucio Battisti à Mina. Une explication? « L’amour. Un Italien. Que dire d’autre? » Branché sur une disco « adulte », Mi Senti était alors présenté comme le résultat d’une visite d’Edith Piaf au Studio 54… Le blog Testpressing écrivait encore à propos du disque, et de Murphy en particulier: « Elle est de retour dans votre soirée, flirtant, pillant votre collection de disques. Tenant bon, toujours à la recherche d’un autre verre. » Elle se marre: « Quand j’ai lu ça, je n’en revenais pas. Est-ce que ce mec me connaît? Comment peut-il savoir? Comment a-t-il réussi à me percer à ce point? (rires)« 

Quand elle se décide à creuser la piste d’un album, Murphy case donc la marmaille chez les grands-parents pendant un mois. Elle retrouve Eddie Stevens, connaissance de longue date, qui avait justement produit Mi Senti. La cadence est soutenue, au point de ressortir des sessions avec quelque 45 chansons plus ou moins abouties. « Pas de blabla, que du boulot. » Plus loin, elle explique encore: « Avec l’âge, vous réalisez que vous prenez un certain plaisir dans une certaine rigueur, une certaine discipline. Je ne me suis pourtant jamais vue comme ça. Mais dernièrement, je m’y suis mise plus franchement, et je constate que cela ne me va pas trop mal. C’est bizarre, mais intéressant… »

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Le chat et la souris

Comme quoi, certaines choses évoluent, certaines lignes bougent. Hairless Toys en est un peu le constat. Le résumé même. Si l’album revient sur certaines références disco-house, il le fait toujours avec un détachement et un sens de l’expérimentation (les neuf minutes d’Exploitation), citant plus que copiant. Pas de nostalgie donc, mais bien une mélancolie diffuse (Unputdownable, Exile…). Celle notamment d’une jeunesse déliée, à la fois angoissante et terriblement excitante, quand, à 15 ans, Róisín Murphy se rend compte qu’elle ne pourra compter que sur elle-même. « J’ai eu une super enfance. Puis tout a explosé en un coup. Mes parents se sont séparés, j’ai dû me débrouiller seule. Heureusement, j’ai trouvé la musique, et toute une culture liée aussi aux clubs. A travers ça, j’ai lié des amitiés, et trouvé des gens en qui je pouvais avoir confiance. Des personnalités passionnées de musique, d’art, de politique… qui ne se laissaient pas bouffer par leurs démons intérieurs, qui étaient capables de penser en dehors d’eux. Généralement, ce sont des personnes plus ouvertes, aimantes, bienveillantes, moins manipulatrices. » C’est ce qu’elle raconte en biais sur House of Glass ou sur Exploitation quand elle chante: « Never underestimate creative people and the depths that they will go. » Elle insiste encore: « Ces amis-là ont formé une seconde famille, sur laquelle j’ai pu m’appuyer. Je ne suis revenue à l’autre que quinze ans plus tard. Vers mes 30 ans, je suis redevenue proche de ma mère. Les blessures ont cicatrisé. »

Ce « salut » dans la musique, vue comme un refuge, une possible communauté, c’est donc aussi ce que raconte Hairless Toys. Ce sens du partage et du collectif existe toujours, mais s’est peut-être déplacé plus facilement sur le Net. « En effet. Mon compte Facebook personnel, ce n’est que des liens postés par mes amis vers des musiques, ou d’autres artistes… Quelque part, je me retrouve un peu dans le même environnement qu’à mes 20 ans: entourée de personnes créatives, qui aiment transmettre… J’adore ça. Ils sont comme des chats, qui sortent tuer une souris, et vous la ramènent à la maison. »

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Le morceau Gone Fishing, par exemple, a été inspiré par le documentaire Paris Is Burning, sur la ball culture homo new-yorkaise des années 80 (lire le Focus du 22 mai). De la même manière, Róisín Murphy se rappelle avoir trouvé dans les clubs de Sheffield, ville essentielle dans l’histoire de la dance et des musiques électroniques en général, un ancrage dans son adolescence ballottée. Mieux: un lieu d’émancipation, là où la vie nocturne et la culture club sont encore trop souvent vues comme une simple échappatoire, légère et superficielle. « Cela n’a jamais été le cas pour moi. Je n’ai d’ailleurs jamais aimé ça. De toute façon, Sheffield n’était pas comme ça. C’était très sérieux. Plein d’enseignements. Les DJ’s étaient de vrais puits de science, et leurs sets ressemblaient presque à des cours. C’était toujours fun. Mais sous-tendu par une immense authenticité, pas mal de sérieux, et un vrai supplément d’âme. Vous pouviez même y voir une dimension politique, qui passait par la manière dont vous goûtiez votre liberté, dont vous étiriez les limites. Mais aussi dans ce que vous préfériez dans ce monde, dans cette vie, de quoi vous choisissiez de vous entourer. »

Du coup, il est évidemment tentant de revenir sur un titre comme Exploitation et d’y dénicher l’éventuelle charge politique, voire une volonté de participer à sa manière à la discussion actuelle sur la cause féministe. « J’hésite… C’est compliqué. D’un côté, vous ne voulez pas vous présenter comme une victime, d’une manière ou d’une autre. Et puis, je dois bien avouer que j’ai été très heureuse dans ma vie créative, j’ai toujours réussi à faire valoir mon point de vue. De l’autre, il est difficile de nier que l’industrie du disque reste effectivement l’une des plus sexistes qui soient… » « Qui exploite qui? », chante-t-elle ainsi… « Mais le morceau en question n’est pas politique. C’est d’abord une chanson sexy, qui parle des relations. Même s’il y a moyen de la lire à différents niveaux. C’est comme la vidéo. A partir du moment où je l’ai réalisée moi-même et où je joue dedans, il y a quelque chose d’ironique: je me suis moi-même exploitée! (rires)« 

RÓISÍN MURPHY, HAIRLESS TOYS, DISTRIBUÉ PAR PIAS.

En concert le 6/06 au Heartbeats Festival, à Halluin. www.heartbeatsfestival.eu

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