Roemsha, couteau suisse de la scène hip-hop bruxelloise

Romain Habousha, aka Roemsha, membre du label musical Labrique et fondateur de la boîte de production Beaucartel. © Muna Traub

Il est réalisateur de clips pour L’Or du Commun, Swing, le 77 (dont le très beau Perla vient de sortir), Isha, Juicy, Blu Samu et bien d’autres. Mais aussi directeur artistique au sein du label Labrique et patron de Beaucartel, sa propre boîte de production audiovisuelle. Rencontre avec Roemsha, éternel passionné d’imagerie.

Roemsha fait partie de ceux qui brillent dans l’ombre de la scène hip-hop bruxelloise. Ancien rappeur, tagueur, gamer dans l’âme et passionné d’audiovisuel, il s’attèle à différentes tâches dans le monde de la production. Mettre les proses en images, c’est ce qu’il préfère. Mais Romain Habousha, de son vrai nom, a plusieurs cordes à son arc. Homme multi casquettes, il jongle notamment entre la production des clips sous le nom de sa boîte de production Beaucartel et la communication artistique du jeune label Labrique avec ses deux acolytes, Jim et Frans.

On le rencontre dans les locaux du label à Bruxelles. Un ancien bureau, transformé en lieu de passage d’artistes où expression et art n’ont pas de limite. Puis à la cave, on découvre l’endroit où les maquettes d’artistes comme celles de l’ODC sont réalisées. C’est donc là que le trio fait tourner la petite machine pour une dizaine d’artistes émergents de la scène hip-hop bruxelloise. Dès la première question, Roemsha hésite sur la manière dont il doit se présenter:« J’ai beaucoup de mal à me définir, je suis quelqu’un de passionné par l’image, l’identité visuelle, ça c’est certain, explique-t-il dans un premier temps. Sinon je suis réalisateur de clips vidéo principalement, mais je réalise aussi l’émission Flag pour Tarmac avec Loxley de l’Or du Commun comme présentateur. Je trouve ça chouette que des projets aboutissent, avoir des responsabilités et ne pas être mis en avant mais de le faire pour les autres. » Après quelques tentatives à s’autodéfinir, il trouve la description qui lui convient le mieux: « Grossièrement, je dirais que je suis un directeur artistique qui met la main à la pâte. »

Boulimique autodidacte

Les codes, l’école, très peu pour Roemsha. C’est sur le tas qu’il découvre l’envers du décor de la production, notamment lors d’un stage chez Arte. Assoiffé de connaissances, il parle de « bouffer de la matière sur Internet ». Léger geek, il cherche à découvrir de nouvelles technologies ou apprendre avec les derniers tutoriels Youtube. Grand boulimique, il se nourrit de tout ce qui l’entoure. Quand on lui demande ses mentors en audiovisuel, il parle avec excitation d’un univers dans lequel on a envie de s’immiscer: « Tout ce qui est bleu, métallique, lisse, j’adore. Et ça, je le retrouve dans des influences comme Moby et Jamiroquai. Sinon t’as des gars comme Kendrick Lamar et puis t’en as aussi qui méritent d’être plus connus comme Axel Morin – qui a réalisé le clip Fête de trop d’Eddy de Pretto. Sinon Kodak Black, dans Roll in peace par exemple, ses clips sont très moches dans la texture, c’est tourné à main levée mais au montage ils te sortent des trucs de fou. Ce sont des gens qui s’en foutent mais qui ont beaucoup plus d’impact parce qu’ils restent fidèle à leur lignée identitaire. »

Roemsha était le genre d’ado à profiter du combo rap/jeux vidéo sans modération. D’ailleurs, c’est grâce à son poste de leader d’un clan de tireurs à gage -dans un jeu vidéo en ligne- qu’il commence à s’intéresser au graphisme: « J’ai toujours été sensible à l’image. Mon père est photographe et ma mère est prof de dessin donc j’ai pas mal baigné dans le milieu artistique. Et à l’époque je jouais à des jeux vidéo. Tout vient de là, ça m’a tout appris. J’étais le chef d’un clan FPS et il fallait faire un site. J’étais administrateur sur un forum donc j’ai pris goût à Photoshop, j’ai commencé à retoucher des images, à faire mes photos… De fil en aiguille j’ai aussi fait des shootings photo avec des potes, puis un jour j’ai contacté La Smala. C’était en 2008 et j’ai fait leurs deux premières pochettes d’album ».

Après les covers d’albums, le vidéaste réalise son premier clip en 2015 pour un artiste rap qu’il découvre sur Soundcloud: « En faisant l’Ihecs, j’ai réalisé mon premier clip pour un artiste que j’écoutais. Un jour j’ai partagé le son sur mon compte Facebook et j’ai un ami qui le connaissait qui m’a proposé qu’on fasse son clip. Quand l’artiste en question –Tarik– est venu à l’école, on a commencé à clipper dans les studios de l’école et je me suis lâché à fond! Le résultat était un peu dégueulasse même. Mais c’était mon premier clip et j’en suis quand même fier. »

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Less is more, le dicton efficace

À plusieurs reprises, Roemsha insiste sur ces quatre syllabes, e-ffi-ca-ce: « Il y a pas mal d’idées que j’ai en tête où je me dis que ça peut être super cool de les réaliser, mais ça ne va pas être efficace et parfois il faut savoir simplifier les choses. Parfois, trop mettre en scène, je trouve que ça casse l’efficacité. C’est pour ça que sur la plupart de mes clips, c’est que de la photographie, que du plan, j’essaie de faire un maximum d’images qui ont de l’impact. J’adore faire des sortes de tableaux à travers les clips avec des images léchées […] Parfois c’est juste un contraste, une image superposée sur une autre qui peut faire la différence. » De là, on lui propose le connu dicton less is more pour qualifier son style. Auquel il rétorque: « Je n’aime pas trop cette phrase qui est périmée depuis des années mais je trouve qu’au tout début elle prenait tout son sens. Sur Photoshop par exemple, tu rajoutes des tonnes de calques et puis quand tu nettoies tout ce bordel tu te rends compte que c’est beaucoup plus efficace. Mais le risque avec ça c’est que tout le monde devienne uniforme ».

Pour le moment, il préfère donc jouer la sécurité. Un moyen d’évoluer progressivement, tant qu’il ne s’est pas totalement trouvé artistiquement: « Je crois que je n’ai pas encore trouvé mon identité, très honnêtement. J’ai cette frustration de ne pas encore parvenir à créer des troisièmes lectures de clips […] même si ça commence à se faire petit à petit comme par exemple dans le clip Perla que je viens de produire pour Le 77. Là je pense que c’est une étape de plus que je suis en train de franchir parce que c’est une sorte de docu/clip où il se dégage vraiment quelque chose entre les paroles et le contenu. »

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L’art low cost

Aujourd’hui, Roemsha vit modestement de son métier. Une tout autre réalité il y a encore un an d’ici. La recette de ses clips donc: une formule 0 budget, un lieu photogénique à investir, des plans efficaces et trouver LA bonne idée. « J’aime bien le 0 budget parce que c’est là qu’il te faut un concept, une idée qui va faire ressortir le son. Pour Léon de l’ODC, on ne devait pas du tout clipper ce son-là au départ. Dans le temps imparti, mon pote Frans de Labrique m’a proposé un spot. On a fait 10 heures de voiture pour tourner là-bas. On avait 0 budget donc si on se faisait attraper, on prévoyait l’excuse de la vidéo d’enterrement de vie de garçon et finalement c’est passé. » Même concept pour le clipCercle de Swing, chaque réalisation devient un voyage: « On avait réfléchi à Lisbonne, on voulait de la couleur et puis je me suis dit que personne n’allait dans le nord. Alors que Copenhague, avec ses lignes épurées et ses lieux architecturaux, ça m’attirait trop. C’est aussi parfois une question d’angle, des fois tu as des spots sur Internet, c’est super, et puis sur place c’est dégueulasse. »

« La pire chose que tu puisses faire à un réalisateur, c’est de venir avec une idée toute faite et le contraindre. »

Sur la quinzaine de clips qu’il a réalisés, Roemsha en affectionne un en particulier, Tu ne sais pas de Théophile Rénier, gagnant de The Voice l’année passée: « J’ai adoré le processus créatif, il m’a fait entièrement confiance et ça m’a donné envie de me donner à fond. Théophile, c’est un gars qui s’est beaucoup cherché, je pense. En écoutant le son, je me suis dit qu’il y avait une sorte d’introspection, une psychanalyse et je voyais bien Théo se parler à lui-même, ça me faisait penser à toute cette recherche qu’il a eue avec lui-même. Je voulais qu’on retrouve cette crise identitaire, qu’il gueule, qu’il se lâche, qu’il y ait de la danse contemporaine… Je trouve ça hyper intéressant de tailler un artiste, de voir son potentiel et de le développer. »

Tous soudés sur Labrique

Avec le label Labrique, c’est la consécration d’une bande de potes qui a commencé avec les moyens du bord. « Avant t’avais Jim et Frans qui imprimaient des t-shirts pour payer des clips », explique Roemsha. Aujourd’hui, Jim gère toute la partie administrative, le booking, le management, toute la partie laborieuse qui pèse sur la créativité des artistes. Frans joue sur les contacts notamment pour dégoter des contrats et développer l’événementiel. Avec le temps, d’autres personnalités sont venues apporter leur pierre à l’édifice, essentielles aux yeux de Roemsha: « Notre assistante Yasmine, Louan, le chef de projet pour Beaucartel, Lola la styliste, Max le tour manager, les autres techniciens et j’en passe, tout le monde s’entraide parce que c’est l’unique manière de faire avancer les choses. Tout faire tout seul, c’est ce qui peut faire ta chute. Et c’est pour ça que sans eux, on n’est rien. C’est eux, les vrais gens de l’ombre. »

Muna Traub

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