Qui était William Onyeabor?

William Onyeabor © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Artiste aux synthés cinglés et au groove rétro-futuriste, le cousin nigérian de Giorgio Moroder fut entre 1978 et 1985 l’un des pionniers de la musique électronique africaine. Il est décédé ce lundi 16 janvier à l’âge de 70 ans. Revoici le portrait que nous en dressions à l’époque de la sortie de la compilation Who Is William Onyeabor?

« C’est avec le coeur extrêmement lourd que nous vous annonçons que William Onyeabor, grand chef d’entreprise nigérian et mythique pionnier de la musique, est décédé à l’âge de 70 ans », annonce Luaka Bop, label responsable de la compilation rétrospective Who Is William Onyeabor?, sur la page Facebook de l’artiste. Le label précise que le musicien est mort « paisiblement dans son sommeil après une brève maladie » et en profite pour louer « l’artiste extraordinaire, homme d’affaires et visionnaire ».

Nous republions ici le « portrait mystère » que nous dressions du personnage il y a trois ans, à l’occasion de la sortie de la compilation Who Is William Onyeabor?

Il aurait étudié le cinéma en Russie. Possèderait un moulin à farine, un cybercafé et un héliport. Certains prétendent qu’il fut représentant pour Moog, la célèbre marque de synthés, pionnière des musiques électroniques. Il n’y a plus beaucoup d’artistes dans le monde sur lesquels le Web est dépourvu d’informations mais William Onyeabor reste une énigme.

L’impénétrable musicien afro-funk et rétro-futuriste nigérian, actif dans les années 70 et 80, a beau avoir fait, en octobre dernier, l’objet d’une compilation, Who is William Onyeabor?, sur Luaka Bop, il reste à 68 ou peut-être 69 ans (même les infos concernant sa naissance sont floues) nappé d’un épais voile de mystère. Aux antipodes d’un monde de la musique dénué aujourd’hui de tout secret si ce n’est -et encore- les cachets des artistes et les combines de ceux qui les gèrent, Onyeabor a tout d’une légende urbaine. Pour Eric Welles Nyström, label manager de la maison de disques cofondée par le Talking Head David Byrne, il s’apparente plutôt à un excitant jeu de piste. A une interminable chasse au trésor. Eric a commencé à bosser pour Luaka Bop en 2012. « On m’a rapidement parlé d’un mec que le label essayait de sortir depuis deux ans, explique-t-il dans les coulisses du Pukkelpop. Il avait signé un contrat mais pas vraiment. Il ne voulait pas nous rencontrer et encore moins nous parler de lui. Or, quand tu sors un disque, tu cherches à lui apporter de la visibilité. Luaka Bop avait déjà ramé avec Tim Maia mais Tim n’était plus en vie alors que William est toujours bel et bien de ce monde. »

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« Il va te briser le cou »

Sur Internet, au bout de deux mois d’investigation, Eric n’a glané que quelques semblants d’informations difficiles à vérifier. Des commentaires envoyés sur des blogs ou glissés sous des vidéos YouTube. Il cherche, questionne, mène l’enquête jusqu’à l’obsession. « Le premier musicien que j’ai rencontré et qui était fan, c’est Damon Albarn. Mais comme tout le monde il n’avait entendu que des rumeurs. Alors, les vendredis et les samedis soirs, pendant que tes potes font la fête, tu restes enfermé chez toi à mener des fouilles. Il y a tout juste un an, j’ai senti que je ne pouvais pas aller plus loin. Que je devais me bouger et le rencontrer -qu’il le veuille ou non. Pendant neuf mois, je n’avais cessé de penser à lui. D’écouter sa musique. J’en rêvais la nuit. Lui consacrais les moindres minutes où j’étais éveillé. Pourquoi a-t-il enregistré cette musique? Comment a-t-il eu le fric? Pourquoi a-t-il disparu? Les questions se bousculaient. »

Décidé à partir sur les traces tortueuses de son artiste, Eric fait la sourde oreille aux conseils du contact nigérian de Luaka Bop. Uchenna Ikonne a mis trois ans pour faire signer un contrat à Onyeabor. « Il a tenté de me dissuader: « Ne fais pas ça. De un, le Nigéria est dangereux. De deux, il va te briser le cou et te demander où est l’argent.«  »

L’été dernier, après avoir rencontré quelques musiciens avec lesquels William a jadis travaillé, Welles se lance malgré tout à sa recherche. « J’ai obtenu une adresse qui m’a mené dans le centre d’Enugu, au sud-est du pays. Je cherchais un palace. J’ai trouvé malgré la circulation et le chaos ce qui ressemblait à un bureau. Fermé, sombre, vide. Avec une horloge arrêtée au mur et une fille assise sur une table en plastique qui me demande si je suis là pour voir le chef et si je viens de Russie. Certains en ville pensaient que William était russe parce que sa musique semblait venir d’un autre monde. Des rumeurs prétendent d’ailleurs qu’il était soutenu par la mafia. »

William Onyeabor
William Onyeabor© DR

Mis sur la piste par cette drôle de secrétaire, le label manager aperçoit enfin, après une demi-heure de voiture, le bout du tunnel. L’Ezechukwo Palace. Le palace de dieu. Une immense bicoque blanche, sa fontaine, devant laquelle dort une vieille Mercedes… « C’était super moderne. Avec encore tout cet équipement des années 80. Une atmosphère incroyable. Sa femme m’a emmené à lui. Un grand mec, amical, chaleureux même, avec des yeux énormes et une aura incroyable. Born again christian (chrétien régénéré), il regardait TB Joshua à la télévision, un prêtre nigérian télévangéliste et un programme assez dingo avec des mecs possédés qui se roulent par terre. J’ai passé une semaine à mater la télé chrétienne avec lui. Il ne faisait que ça de ses journées. Je traînais là entre six et huit heures par jour. Et quand je jugeais le moment opportun, j’essayais d’en profiter pour lui poser une question. Je cogitais pendant toute la journée pour savoir comment j’allais la formuler. La deuxième fois que j’ai été chez lui, il m’a donné une Bible et on a lu. La troisième, je lui ai ramené quelques cadeaux. »

Fantastic Man

Welles rêve d’amener « Willie » comme il le surnomme affectueusement à un concert d’Atomic Bomb (sa musique jouée par des musicos de la nouvelle génération). Il n’en a lui-même jamais donné. « Ça n’a jamais été dans ses intentions. Il voulait juste que cette musique soit enregistrée et a engagé des musiciens de studio qu’il n’a même pas crédités. Il voulait, je pense, donner l’impression d’avoir tout fait lui-même. Etre sûr que ce soit considéré comme son projet. »

A côté de la tournée Atomic Bomb et de la compilation What?!, l’album de remixes sorti en édition limitée à l’occasion du Record Store Day aujourd’hui distribué à plus grande échelle, un petit documentaire d’une demi-heure, Fantastic Man, disponible sur le Web, raconte le génie de William Onyeabor. Un peu dans l’esprit du Searching for Sugarman consacré à Rodriguez. « Tu es assis sur un joyau de la musique et tu n’arrives pas à aller au fin fond de l’histoire. Tu sais qu’il ne tournera jamais, qu’il ne participera pas davantage à la promo que tu essaieras de monter. Alors tu cherches à garder la musique en vie. La plupart des maisons de disques auraient laissé tomber. On a au contraire essayé de la mettre en lumière. Le film, comme les remixes et les concerts y participent. »

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Les rééditions de ses disques originaux prévues d’ici la fin de l’année aussi. Entre 1978 et 1985, Onyeabor a au moins enregistré neuf albums. Enfin huit, mais avec deux versions différentes du premier. « Il y a des numéros manquants dans le catalogue de son label. Mais s’agit-il de disques à lui ou d’albums enregistrés par d’autres artistes? Disons qu’on sortira tout ce qu’il a fait et sur quoi on a réussi à mettre la main.  »

William s’est récemment mis à plancher sur un nouvel album et à composer des chansons. « Je ne comprends toujours pas pourquoi il a arrêté. Son dernier disque, sorti en 1985 est aussi celui qui a rencontré le plus de succès et contenait son plus grand hit. Pas un tube planétaire mais la chanson dont les gens qui le connaissent se souviennent. Il a même tourné un clip pour ce morceau, diffusé sur la télé nationale juste avant les informations. Quand j’ai entendu ça, je me suis dit qu’il avait acheté une pub. Il avait de l’argent et pouvait se permettre ce genre de choses. »

L’avenir est comme le passé: incertain. « On ne sait pas du tout à quoi ça va ressembler. On n’en a rien entendu jusqu’ici. Tout est possible. William ne sort plus beaucoup de chez lui, à part pour se rendre aux services religieux. C’était un mec en bonne santé, un gros businessman. Il veut qu’on garde cette image de lui j’imagine. »

Out of Africa

Fils spirituel de William Onyeabor, Ahmed Gallab (Sinkane) est le chef d’orchestre d’Atomic Bomb et a donné vie sur scène à la musique du mystérieux nigérian.

Ahmed Gallab (Sinkane)
Ahmed Gallab (Sinkane)© Martine Carlson

Grand, frêle et basané, il a le sourire contagieux et le tempérament affable. Ahmed Gallab est la tête pensante d’Atomic Bomb. La musique de William Onyeabor sans William Onyeabor. Ne criez pas à la supercherie et au cover band: le magicien nigérian n’a jamais interprété ses chansons en public et le projet, exceptionnel, passé par le Pukkelpop il y a quelques semaines, compte dans ses rangs quelques fameux clients. Le Beastie Boy Money Mark, Alexis Taylor d’Hot Chip, Pat Mahoney de LCD Soundsystem, Luke Jenner de The Rapture. Ou encore, à l’occasion, des invités prestigieux comme David Byrne, Damon Albarn ou Kele Okereke…

Ahmed a découvert William Onyeabor il y a une petite dizaine d’années grâce au troisième volet, Love’s The Real Thing, des World Psychedelic Classics. Une compilation dédiée aux musiques psychédéliques d’Afrique de l’Ouest. « A côté de l’Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou, des Super Eagles et de Manu Dibango, il y avait cette chanson, Better Change Your Mind, qui transcendait la musique africaine et la rendait plus excitante que ce que j’aurais jamais pu imaginer », se souvient-il. Son géniteur se met rapidement à l’obséder.

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« C’était clairement de la musique africaine mais de la musique africaine qui avait voyagé. Ce qui la rendait particulièrement unique. Personne dans le monde ne fait de la musique comme William Onyeabor. Il incorporait de l’électronique comme on le faisait alors ailleurs sur la planète mais certainement pas au Nigéria. Qu’il possède cet équipement et qu’il enregistre tout ça lui-même, chez lui, dans un bled, est de surcroît complètement dingue. Ce qu’on fait en 2014 en Occident, lui le faisait en Afrique dans les années 70. »

Les recherches -parlons même de fouilles archéologiques- n’ont pas abouti à grand-chose. « De nombreuses légendes courent à son sujet. Je suis content de ne pas connaître ces secrets. Ça le rend d’autant plus spécial. Tout ce dont je suis sûr, c’est que c’est un génie. » Sinkane est ainsi profondément et viscéralement marqué par son travail. Comme le souligne le dernier extrait de son nouvel album, Mean Love, sorti la semaine dernière. « Je suis soudanais d’origine et j’ai toujours voulu faire de la musique qui ne soit pas juste africaine. Omdurman sonne comme celle que tu entends à la radio là-bas, mais j’ai aussi voulu la rafraîchir. Avant que je finisse l’université, je vivais trois mois par an au Soudan. Dès que je perds un peu le fil, je me demande toujours ce que ferait William Onyeabor s’il était à ma place? Comment il rendrait tel ou tel truc intéressant? »

Comme pour souligner que des pans entiers de la musique africaine sont encore à découvrir, Sinkane, qui a grandi aux Etats-Unis avec beaucoup de jazz, de sonorités éthiopiennes, somaliennes, les Beatles, Abba, Phil Collins, les Commodores, le punk et l’indie psychédélique, épingle quelques gloires de son pays méconnues en Occident. Le plus grand: Mohamed Wardi, « aussi patriotique qu’agréable ». Al Balabil, les Supremes soudanaises. « Elles ont rencontré du succès en Europe dans les années 60 et 70 mais ont dû arrêter la musique à cause de pressions politiques. » Ou encore Sharhabeel, considéré comme le père du jazz au Soudan. Africa forever…

Article initialement paru dans le Focus du 5 septembre 2014.

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