Qui a le secret de fabrication de la musique qui rend heureux?

La formule mathématique de Jacob Jolij. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le 28 novembre, mister good vibes Mac DeMarco remplira l’Ancienne Belgique. L’occasion de réfléchir à la feel good music et de soumettre quelques titres à sa formule mathématique…

Il a les dents du bonheur, un sourire un peu benêt, le sens de l’humour et le goût des blagues potaches (on vous laisse deviner ce qui avait remplacé le jus de pomme dans les bouteilles des loges du Botanique après son concert aux Nuits). Mac DeMarco n’a pas juste un énorme capital sympathie. Une âme d’éternel et insouciant adolescent. Mac DeMarco fait de la musique qui rend heureux. De la musique qui met de bon poil. Qui file les vibes et remonte le moral. Même sur son dernier album This Old Dog qui n’est pas particulièrement guilleret, le Canadien réchauffe, réconforte, et touche à une certaine forme de joie et de bien-être. Soleil sur journées pluvieuses, antidépresseur pour âmes cabossées. Tout ça, direz-vous, n’est au fond qu’une question de goût et de subjectivité… Pas si vite. Chercheur à l’université de Groningue, Jacob Jolij s’est intéressé de très près à la feel good music. En 2011, il étudiait l’influence de la musique sur la perception et remarquait qu’il est plus facile d’identifier des visages souriants dans une foule lorsqu’on écoute des chansons joyeuses. Il est depuis parvenu à dégager une formule mathématique. « Si on doit la définir, la feel good music te fait te sentir heureux et te met de bonne humeur, commence-t-il par expliquer. C’est aussi une musique qui rend actif. Qui donne envie de bouger, d’entreprendre des choses. Elle « met en éveil » comme on dit en termes psychologiques. »

Jolij se penche traditionnellement sur deux facteurs déterminants dans la perception émotionnelle des morceaux pour calculer son « Feel Good Index » (FGI): d’une part, le tempo de la chanson et d’autre part ce que les musicologues appellent son « mode ». « Depuis des dizaines d’années de recherches, on sait que deux choses déterminantes font qu’une chanson rend heureux: sa rapidité, et les accords utilisés selon le principe éprouvé que les accords majeurs rendent heureux et les mineurs tristes. J’ai été sollicité par Alba, un fabricant de matériel informatique britannique qui avait sondé les préférences musicales de ses clients, puis par une station hollandaise, pour créer un modèle statistique comme font un peu toutes ces boîtes de collectes de données. » La radio avait appelé des auditeurs et leur avait fait entendre de courts extraits de chansons. De petites séquences de six secondes qu’elle leur demandait de coter de 0 à 100 sur l’échelle des Feel Good Songs. « Zéro, pour une chanson tellement triste qu’ils ne la joueraient même pas à leurs funérailles. Cent, pour six secondes qui suffiraient à les faire danser. On a créé une formule qui permet de prédire quelle genre de cote les auditeurs accorderaient à un titre déterminé sur base de son tempo et de ses accords. »

Bien sûr, les textes participent aussi forcément à l’équation. Mais compte tenu du poids de la musique anglo-saxonne dans l’industrie, leur influence est à tempérer par les frontières linguistiques. « En Angleterre, où 99% des chansons sont en anglais, on obtient d’un peu meilleurs résultats en ajoutant la variable paroles mais ce n’est pas spécialement le cas aux Pays-Bas. Il y a donc une version britannique de la formule, et une autre néerlandaise. »

Si -il est le premier à l’avouer- on ne peut pas parler ici de science dure, le travail de Jacob Jolij ouvre tout de même quelques sérieuses pistes de réflexion. Pourquoi les accords majeurs par exemple mènent-ils à des sentiments plus positifs? « Pour certains scientifiques, c’est culturel. Ils remontent au Moyen Âge en expliquant qu’à l’époque, a contrario, les accords mineurs étaient utilisés dans les chansons joyeuses. Alors que les accords majeurs étaient décrits comme tristes. Pour les autres, l’explication serait plutôt à aller chercher dans la construction de l’accord. Si tu parles avec une voix aiguë, avec le ton qui monte, c’est associé au stress et donc à quelque chose de négatif. Si le ton part vers le bas, tu es davantage dans une position de confiance. »

Happy sad

Pour résumer, la chanson feel good va plus vite que la pop song typique et ses 120 battements par minute. Le mode majeur est synonyme de bonus. Comme l’utilisation en mineur d’un grand nombre d’accords… « C’est amusant, parce que si tu veux écrire une feel good song en majeur, le mieux est de n’en utiliser que trois. Twist and Shout étant un bon exemple. » Le top 10 établi par Jacob Jolij est emmené par Don’t Stop Me Now de Queen, Dancing Queen d’Abba et Good Vibrations des Beach Boys. Mais sa formule n’est pas universelle. Le feel good index peut notamment être mis à mal par le contexte. « Le côté feel good dépend beaucoup de l’humeur, de ce à quoi on relie une chanson. Elle a beau être plutôt joyeuse, si c’est la chanson préférée d’une ex ou si elle rappelle au douloureux souvenir de funérailles, elle ne rendra pas heureux. Peu importe son tempo et son nombre d’accords. »

La musique est couramment utilisée dans le traitement de maladies mentales. Si selon une étude de 2015 publiée dans Frontiers in Human Neuroscience, les chansons tristes pourraient nous rendre anxieux et névrosés (elles affectent le cortex préfrontal interne), elles rendraient au contraire, selon d’autres, les gens tristes heureux -ou les éloignerait du moins du sentiment de tristesse. À condition de se concentrer sur la beauté intrinsèque de l’oeuvre. « Quand je n’ai pas le moral, j’écoute de la musique plombante, des gens plus déprimés que moi, confie un auditeur. Comme en littérature, j’aurais tendance à lire du Houellebecq. Ça me fait du bien. » De quoi repenser la notion de feel good… « Tout ça dépend fortement des individus, commente l’auteur, compositeur, interprète et producteur Benjamin Schoos alias Miam Monster Miam. Parce que même quand elle est industrielle, la musique, c’est une émotion, un flux. La majorité des gens se sentiront de meilleure humeur en entendant un do majeur plus rayonnant qu’un la mineur associé à une tristesse mélancolique mais ça reste un truc personnel. Depuis toujours, on a cherché la formule magique pour rendre les gens heureux et qu’ils passent à la caisse. »

Avec les armes de l’intuition et de l’expérience, le Liégeois n’arrive en fait pas bien loin des conclusions chiffrées de Jacob Jolij quand il en vient à décortiquer la feel good song. « Les singles qui marchent reposent souvent sur le même genre de grilles d’accords. Happy de Pharrell Williams n’est pas du tout innocent: il est le condensé de tout ce qui peut te rendre heureux chimiquement. Déjà, tu as le titre: Happy. C’est un peu comme le Get Lucky de Daft Punk: ça ne cache pas ses intentions. Ce que véhiculent le texte et les mots fait pour moi partie intégrante du processus feel good. Après, il y a la mélodie. Une mélodie qui donne la pêche et qui rend optimiste. Renforcée par toute une série de petits gimmicks, de sons, qui assemblés entre eux te rendent heureux. D’une certaine manière, c’est un peu comme un McDo ou une barre chocolatée: ce n’est pas bon, tu le sais bien. Mais des gens ont calibré ça pour que tu aies un shoot, une sensation quand tu mords dans le truc. Enfin, selon moi, il y a l’aspect dansant. Le fait de donner envie de taper du pied, de bouger est une porte d’entrée non négligeable. »

Mac DeMarco
Mac DeMarco© COLEY BROWN

De la soul vintage aux tubes d’été

Les hommes et les femmes sont-ils égaux face à la feel good music? En écoute-t-on plus ou moins en temps de crise? Autant de questions toujours pour l’instant sans réponse. « Nous n’avons pas mené de recherche spécifique. Mais je n’ai pas l’impression d’une corrélation entre économie en berne et feel good music dans les charts, reprend Jacob Jolij. Ce serait même plutôt le contraire: si les temps sont durs, avec beaucoup de misère, de pauvreté, on trouvera probablement plus de morceaux tristes dans les classements. » C’est qu’il reste encore beaucoup de choses à étudier sur le sujet -les effets que la musique a sur nous et la manière qu’ont les gens de l’écouter. Jolij est le premier à le dire: la formule est pour l’heure une simplification, et doit être améliorée. Notamment en prenant en compte le paramètre de la langue, déjà cité…

Reste que les tubes enjoués de l’été sont généralement assez typiques de ce qu’on appelle la feel good music. « Up tempo, accords majeurs…: on est en plein dans les caractéristiques. Point de vue parole, dans la formule anglaise, toutes les références à l’été, à la plage augmentent encore le feel good score… Mais aux Pays-Bas, la plupart de ces summer songs sont en espagnol, en français, en italien… Ces langues ont un truc en plus. Il y a une question d’association: l’idée de beau temps, l’image des vacances. Et il est fort probable qu’en Amérique du sud, les chansons en espagnol ne procurent pas ce feel good bonus… »

Etienne Kinkle de Mountain Bike, qui donnera son dernier concert le 5 décembre à l’Ancienne Belgique, parle lui de moments de petite grâce. « Je me sens bien en écoutant Undone de Weezer et pas mal de musique black. Les Kinks et un titre comme Sunny Afternoon marchent à fond également. Mais je mixe davantage de feel good music en apéro que dans des soirées. En termes de composition, ce sont pour moi des trucs de trois ou quatre accords qui se mettent facilement en place. »

Selon Benjamin Schoos, la chanson la plus feel good qu’il ait enregistrée est probablement Je ne vois que vous. Un morceau sur lequel Laetitia Sadier donne de la voix. Avec Stereolab, la Française avait signé au début des années 90 Lo Boob Oscillator. Un titre aux allures de cas d’école… « J’aime beaucoup la sunshine pop des Sagittarius, 5th Dimension, Harpers Bizarre, Mamas & The Papas. Ils cherchaient aussi du feel good. Mais avec une pop orchestrale. Cordes, cuivres, harpe… Elle est réapparue sous une nouvelle forme dans les années 90 avec Stereolab ou Saint Etienne, qui ont réincorporé tout ça dans un univers plus moderne. Lo Boob jouait avec ses codes. Tim Gane était un féru de Library music, de pop sixties et il a réussi à intégrer ces éléments dans une musique hybride. »

De là à prétendre que la voix de Laetitia Sadier est objectivement feel good… « Je ne sais pas. En tant qu’auditeur, sa manière de chanter me procure un bien être en tout cas. Il faut à mon avis avant tout un bon rapport entre l’interprète et la chanson. Si tu prends un titre comme Banana Split, je pense qu’ils ont essayé d’autres chanteuses avant Lio et ça n’a jamais rien donné. Sa voix sur cette chanson fait qu’un truc se passe, et participe au bonheur que tu as de l’écouter. »

En fonction de toutes les caractéristiques évoquées, avec les bémols de circonstance, certains genres semblent évidemment nettement plus feel good que d’autres. « La soul vintage notamment avec ses orchestrations et ses voix. Je pense à des hits de la Motown. Pharrell Williams s’est en totalement inspiré. D’autres chansons feel good pompent des morceaux d’avant guerre. Quasi parfois jusqu’au plagiat note par note. On ne réinvente pas non plus la roue. »

Pour Schoos, les sons électroniques trop stridents, trop mécaniques ne se prêtent pas nécessairement à la bonne humeur. « Les voix créent un lien émotionnel plus fort. Are You With Me de Lost Frequencies est un vrai succès. Une mélodie entraînante, une rythmique pas trop agressive. Une guitare pour une fois qui emballe le bazar. » La clé d’un succès international? « Je pense qu’il existe un lien entre le côté feel good et la réussite commerciale d’un titre. Il y a évidemment une recherche d’équilibre dans les playlists mais les grosses radio FM cherchent à ce que les auditeurs n’aillent pas à la concurrence. Si la musique est agréable, te met de bonne humeur et te donne envie de monter le son, c’est tout bénef… »

Feel Good Index, banc d’essai

Feel Good or not? On a soumis quatre chansons du moment à la formule mathématique de Jacob Jolij.

1. Mac DeMarco: Baby You’re Out

  • FGI 65,8
  • Battements par minute: 94.
  • Mode: majeur.
  • Accords: 6.

Vainqueur de notre sélection, cet extrait du dernier Mac DeMarco est à classer dans la même catégorie que Livin on a Prayer de Bon Jovi et September d’Earth, Wind & Fire.

2. Teme Tan: Améthys

  • FGI 65,4
  • Battements par minute: 99.
  • Mode: majeur.
  • Accords: 6.

Le petit Belge qui monte qui monte rivalise avec Rocky et le Boss. Rien que ça. Améthys est à ranger aux côtés du Eye of the Tiger de Survivor et du Dancing in the Dark de Springsteen.

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3. Calvin Harris: Feels

  • FGI 64,03
  • Battements par minute: 102.
  • Mode: mineur.
  • Accords: 3.

Carton radiophonique de ces derniers mois, le Feels de Calvin Harris avec Katy Perry, Big Sean et… Pharrell Williams joue dans la cour d’Under Pressure (Queen) et de Faith (George Michael).

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4. Angèle: La loi de Murphy

  • FGI 63,57
  • Battements par minute: 96.
  • Mode: mineur
  • Accords: 8.

« Cette chanson donne presque le même résultat que Feels, commente Jacob Jolij qui a élaboré l’équation. Étant donné que ces deux morceaux sont assez différents et n’exerceront pas la même influence sur l’humeur des gens, cela résume joliment que la formule ne donne qu’une approximation des émotions évoquées chez l’auditeur. »

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