Que reste-t-il des groupies?

Groupies, une catégorie très particulière de fans de musique rock. © GETTY IMAGES
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Que sont devenues ces maîtresses, partenaires de défonce et parfois muses de rock stars? Petit tour souvent sexuel de la question, alors que Le mot et le reste réédite en français I’m with the band, les torrides confessions « groupiesques » de Pamela Des Barres.

Elle a fait tourner la tête des plus grandes figures du rock. A eu son groupe de groupies, les GTO’s, sponsorisé par Frank Zappa, et a même sorti un disque auquel participèrent Jeff Beck et Rod Stewart… Plus qu’une marie-couche-toi-là, Pamela Des Barres a marqué à sa manière toute particulière l’histoire sulfureuse, sexuelle et droguée du rock’n’roll. Pattie Boyd, l’une de ses consoeurs, a même fini par épouser George Harrison, inspirant sa chanson Something comme une célèbre déclaration d’amour, Layla, à Eric Clapton. Mais que reste-t-il aujourd’hui des mythiques groupies d’hier? Pour le savoir, il faut déjà s’entendre sur la définition de ce terme, inventé, selon la légende, en 1965 par Bill Wyman durant une tournée sauvage des Rolling Stones en Australie.

Groupie, dans le Larousse: « Personne qui admire un chanteur ou un groupe de musique pop ou rock et qui le suit dans tous ses déplacements. » L’explication est bien sage si on la compare avec son acception courante dans l’imaginaire collectif. On la confondrait même presque avec l’idée qu’on se fait d’un fan. « Il n’y a pas de définition bien précise des uns et des autres », note Gabriel Segré, sociologue, chercheur et enseignant à l’université de Paris-Ouest, auteur de Fans de… Sociologie des nouveaux cultes contemporains. « Ce sont des constructions sociales. Ils ont le sens qu’on veut bien leur donner. Disons que la groupie est une catégorie particulière de fans. Elle a pour caractéristique de suivre un chanteur ou un groupe. De construire une relation de proximité avec lui. Elle veut faire partie de son cercle rapproché, de son intimité. Eventuellement partager un lit avec lui. Elle est prête à se livrer, à se dévouer corps et âme. »

La groupie, qui a pour spécificité le potentiel don de son corps, est généralement une femme. « Les vedettes masculines du rock dans les sixties étaient contentes de profiter des avantages qui leur étaient accordés. Peu de chanteurs se plaignent des faveurs sexuelles. Mais l’homme qui suit une chanteuse ou une actrice est très vite rangé dans la catégorie des stalkers, des harceleurs. Ca rejoint la réalité des relations hommes – femmes. »

Fans, groupies, les deux catégories sont affublées de connotations péjoratives. L’image d’un public aveugle, immature, excessif, sans recul ni distance. « Mais un public disqualifié par l’objet de sa passion, précise Segré. On n’utilisera pas ces termes si l’objet culturel est considéré comme noble. On ne reprochera jamais à quelqu’un par exemple de retourner sur les terres où a vécu Mozart… »

Chair pornographique

« Il est arrivé que des filles que nous avions embauchées pour une tâche ou l’autre disparaissent avec le chanteur pendant l’après-midi, explique Philippe Kopp de LiveNation. Mais je n’ai jamais vraiment croisé de groupie dans mon boulot. J’ai entendu des anecdotes. Des histoires de filles qui montent dans le bus, se font, pardonnez-moi l’expression, tirer sur la banquette du fond par les musiciens qui quand ils ont fini, les déposent sur le bord de la route à 150 kilomètres de là où elles sont montées. On a aussi régulièrement des fans qui s’arrangent pour rencontrer le chanteur et terminer dans son lit. Il y a des spécialistes parmi les artistes. Parfois des gens mariés avec enfants. Mais ce ne sont pas des filles qu’on voit revenir de concert en concert. »

« J’ai le sentiment que la carrière d’une Pamela Des Barres est exceptionnelle, reprend Gabriel Segré. Très peu de femmes sont entrées dans la garde rapprochée d’artistes pour quasiment devenir elles-mêmes des vedettes. La plupart n’étaient que des objets sexuels. Quelque part une chair pornographique. Et ça, ça n’a sans doute pas beaucoup changé. »

Si ce n’est que le hip hop et le sport ont sans doute remplacé le rock. « Dans Je suis le footballeur masqué, un joueur professionnel anonyme raconte la culture de son métier et son rapport aux filles. Il parle de groupies et de hiérarchie. Du fait que la plus grosse star de la plus grosse équipe sortira de boîte au bras de trois demoiselles, là où le remplaçant du FC Nantes s’en ira avec les restes. »

« La musique est moins bling bling qu’avant et il y a beaucoup plus d’argent immédiat dans le foot, remarque Philippe Kopp. N’importe quel joueur a une Porsche même s’il ne sait pas la conduire. »

« Dans le hip hop, il arrive souvent que le crew de l’artiste donne des pass backstage aux jolies filles qu’il repère dans la salle, confie-t-on du côté de l’Ancienne Belgique. Elles montent toutes à la fin du concert et on en voit la moitié redescendre cinq minutes plus tard après la vérification des cartes d’identité. » Histoire de s’assurer qu’elles sont majeures – prudents, ces rappeurs.

L’illusion de proximité

Dans le temps, les groupies mettaient le grappin sur leurs idoles à l’hôtel, à la sortie des salles de concerts, dans les bars ou en boîtes de nuit. Elles leur envoyaient par la poste des lettres amourachées. « Il y a de tout temps eu des gens totalement abordables et d’autres pas du tout. Certains dont on connaît toute l’intimité et d’autres qui disparaissent de la circulation dès qu’ils sortent de scène, analyse Segré. Ca dépend de la relation que chacun établit avec son public. Il faut toutefois réaliser que de nombreuses formes d’accessibilité comme les dédicaces envoyées aux fans ne sont que des leurres. Les artistes donnent à connaître une partie de leur vie privée, s’adressent au public comme s’il était proche. Mais ils mettent en fait en scène leur intimité et ce ne sont rien de plus que des plans com. »

Le star system et le travail de management se sont considérablement développés et professionnalisés au fil des années. Gagnant en efficacité dans leur capacité à feindre la proximité. Et ce notamment grâce aux nouvelles technologies de communication. « Les réseaux sociaux permettent de renforcer l’illusion. Avant, il y avait déjà les magas comme Podium et Salut les copains. Mais avec ces nouveaux outils, la vedette se présente comme une amie limite proche qu’on a l’impression de connaître. Hier, elle m’a dit qu’elle était triste. Qu’elle s’était engueulée avec son copain. J’ai vu des photos de ses dernières vacances… Mais elle ne donne bien évidemment à voir et à connaître que ce qu’elle veut. » Et ce en fonction de l’image, toujours l’image, qu’elle cherche à se fabriquer.

Plus ou moins accessibles que ceux d’hier les artistes d’aujourd’hui? « Est-ce qu’une adresse mail ou un compte Facebook permettent d’entrer en contact avec la vedette. Est-ce bien un compte personnel? Va-t-elle lire mon message? Est-ce fort différent de l’époque où on avait une adresse postale ou un numéro de téléphone et qu’on tombait sur un fan club? Il me semble qu’il y a en fait de plus en plus de filtres partout. Dans les années 80, les journalistes sportifs rentraient dans les vestiaires de l’équipe de France de foot. Même chose en politique, où l’on pouvait monter dans le bus ou l’avion et imaginer un entretien à l’arrache. Maintenant, c’est ultra verrouillé. Pour le grand public comme pour la presse. »

Tout le monde semble en convenir: les artistes sont de plus en plus distants. Font de moins en moins la fiesta après leurs concerts. En tout cas en public. « Les vedettes ne peuvent plus aller en boîte, se mettre une mine et danser sur la table, fait remarquer Gabriel Segré. Elles seraient dans le journal le lendemain. »

« Pas de feeling, moins de groupies »

A l’AB, mis à part l’histoire d’une fan qui a laissé une photo d’elle dénudée pour Bryan Ferry tout en l’invitant à la rejoindre après son concert, on n’a pas beaucoup d’anecdotes à raconter. « On a des filles devant les portes à 7 heures du matin le jour de certains gigs. Un public généralement très jeune qui n’a pas l’air d’atterrir ensuite dans le tour bus. Sinon c’est plutôt le genre de truc qu’on voit à un concert de Steel Panther (groupe de comedy rock et de glam métal hollywoodien) où des femmes montent déjà sur scène montrer leurs seins. »

« On a une technique de pass backstage qu’on a piquée à Van Halen, expliquait l’an dernier son chanteur Michael Starr dans le Washington Times. Quand on est sur scène et qu’on veut en donner un à quelqu’un, on a un code gestuel. C’est pointe, tire et fesse. Et on a deux mecs pour aller les filer. Comment fait-on pour qu’elles ne s’incrustent pas? On choisit les filles qui doivent prendre un train ou celles que la mère ou le petit ami attendent dehors dans la voiture. On doit aussi remercier Dieu pour Uber. On peut juste leur faire appel et dire: « Voilà, Uber est en bas… » »

Des groupies, Giacomo Panarisi s’en est inventées pour une pochette, en rollers moulées dans des T-shirts Romano Nervoso. « Il y en a de moins en moins, résume-t-il. Comme il y a de moins de moins de monde et de fête dans les backstage des concerts de rock. Avant, la groupie était attachée au groupe et à la musique. Aujourd’hui, c’est avant tout au fric et à l’image. Avec Hulk, on en a eu quelques-unes en Hollande. Elles nous suivaient sur plusieurs dates. La taille du pays facilitait les choses. Elles venaient se bourrer la gueule avec nous et plus si affinités. Ca collait à notre univers. Avec Romano, on est plus calmes. On est casés. On se drogue plus. Et on boit relativement normalement. Aujourd’hui, les groupies, c’est un public plus jeune. C’est pour Bieber et Timberlake. »

Panarisi se souvient d’une tournée en Hongrie au début des années 2000. « On a rencontré des filles. Elles semblaient nous prendre pour Lenny Kravitz mais elles se foutaient de nous et de notre musique, sourit-il. On l’a compris quand elles nous ont demandé de leur faire passer les frontières dans notre soute à bagages. »

Les groupes et le milieu de la musique ont changé d’après lui. « Le côté hippie a disparu. Maintenant, tout le monde est dans sa loge dans son coin avec son Smartphone… La salle de concert, c’est le job. Tout est plus carré. Les musiciens sont devenus des robots. Et comme les robots n’ont pas de feeling, il y a forcément moins de groupies. »

Les dangers, et il y en a d’autres, du monde moderne… « Faut faire attention. Une connasse met une photo sur Instagram et tu te fais griller. Tiens, tu étais en slip hier sur le bar du Rockerill… D’autant que tu peux vite donner à une image un sens qu’elle n’a pas. Tu as rien fait de mal, rien demandé à personne et tu as une journée de merde qui t’attend à la maison. » Dur dur la vie de rocker…

I’m With the Band: confessions d’une groupie

Que reste-t-il des groupies?
© Getty Images

AUTOBIOGRAPHIE | « Lorsque dans des talks-shows, des femmes coincées m’ont reproché d’être trop libre d’esprit et trop ouverte sexuellement, je leur ai répondu que j’étais désolée pour elles qu’elles soient passées à côté de cette période dorée et qu’elles n’aient pas couché avec Mick Jagger. Je ne pense pas que ce livre soit seulement un grand déballage sexuel. C’est l’histoire d’une jeune fille qui grandit dans le meilleur des mondes possibles. Une époque de confusion religieuse et sexuelle, de drogues, de danger et d’extase. »

Née à Reseda, Californie, le 9 septembre 1948, Pamela Des Barres est la plus célèbre des groupies. Celle qu’ils voulaient tous (ou presque) dans leur lit. Qui se faisait offrir des tickets d’avion par Led Zep. Et qui a inspiré à Kate Hudson le personnage de Penny Lane dans le Almost Famous de Cameron Crowe. Au bon endroit, au meilleur des moments, à Los Angeles, du côté de Sunset Strip, au milieu des années 60, Miss Pamela a fait des parties de jambes en l’air avec Jimmy Page, Noel Redding (Jimi Hendrix Experience), Keith Moon et Mick Jagger… Sniffé du Trimar avec Jim Morrison. Eté la protégée et la nounou du couple Zappa. Et s’est fait piquer cet étalon de Don Johnson par l’alors toute jeune Melanie Griffith.

Tour à tour maîtresse, confidente, muse, partenaire de défonce, Miss Pamela a vécu dans une position privilégiée (et plein d’autres) les heures de gloire du rock et elle retrace son tourbillonnant parcours sans tabou et avec beaucoup d’humour.

Si Pamela Des Barres (du nom de son ex-mari, chanteur de Power Station et de Detective) née Pamela Miller lui offrit une suite (« Another Little Piece of My Heart: a groupie grows up » en 1993), I’m With the Band publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1987 est à l’époque resté pendant trois mois dans la liste des best-sellers du New York Times. Présentée comme un journal intime (le livre contient d’ailleurs des extraits de ceux qu’elle tenait en son jeune temps), cette autobiographie est à la fois un appel à la liberté, le parcours sentimental et sexuel d’une délurée au coeur d’artichaut et une chronique rock’n’roll des années 60 et 70. Passionnant et croustillant.

  • I’m With the Band: confessions d’une groupie, de Pamela Des Barres, Éditions Le Mot et le reste, traduit de l’anglais (USA) par Julia Dorner, 432 pages. ****

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