Quand musique et cuisine font bon ménage

The Vegetable Orchestra © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Amateurs de bonne chère, cuisiniers patentés et gourmands illuminés peuplent l’industrie du disque. Quand les musicos passent à la casserole…

Beaucoup de stars ouvrent des restaurants dans lesquels elles ne mettent jamais les pieds mais les liens entre la musique et la bouffe sont bien plus étroits qu’un nom vendeur, ou à tout le moins connu, sur une porte pour fourguer des menus. Du Vegetable Orchestra, groupe autrichien qui fabrique ses instruments avec des légumes et termine ses concerts en préparant de la soupe pour le public, à Matthew Herbert et son Plat du jour, réflexion sur la nourriture industrielle et ses méfaits réalisée à partir de sons propres à l’art culinaire, en passant par Alex James, le bassiste de Blur converti en gentleman farmer qui élève des bêtes, produit des fromages (l’un d’entre eux s’appelle le Blue Monday en hommage à New Order) et a créé avec Jamie Oliver un festival où les chefs succèdent sur scène aux popstars pour des cours de cuisine en plein air, les exemples se bousculent aux portes des cuisines.

Action Bronson
Action Bronson© DR

Action Bronson était chef avant de se faire un nom comme rappeur et Charles Bradley, roi du petit boulot, a passé la majeure partie de sa vie dans des cuisines. « L’histoire de Kelis [lire son interview et la critique de Food dans le Focus du 18 avril] n’a rien d’inédit, note Stéphane Davet qui écrit sur la musique et la gastronomie dans les colonnes du Monde et de revues spécialisées (Saveurs, Gmag). C’est même presque une tradition dans la musique noire américaine. En soul déjà, on peut trouver des exemples d’artistes ayant écrit des livres de cuisine et présenté des émissions culinaires. Patti LaBelle, pour ne citer qu’elle, a signé plusieurs best-sellers dans les années 90. Ce n’est pas un hasard si on parle de soul food et de soul music: elles sont étroitement liées. À la Nouvelle-Orléans, la musique est souvent connectée à des cérémonies et des événements à la fois festifs et alimentaires. Ne serait-ce qu’après l’église, on se retrouve souvent pour manger ensemble. »

Le hip hop n’échappe pas vraiment à la règle. 2Chainz a accompagné son dernier album B.O.A.T.S. II: Me Time, d’un cookbook comme on dit chez lui. Questlove de The Roots a ouvert (et déjà fermé) avec Stephen Starr un restaurant de poulet frit, Hybird, dans le quartier new-yorkais de Chelsea. Un KFC haut de gamme dont il aurait bien fait une chaîne… Tandis que Coolio s’est reconverti dans la réalisation d’une Websérie culinaire, Cookin’ with Coolio. Il a même, avant de se raviser, pensé vendre aux enchères l’exploitation des droits de ses 123 titres pour financer sa collection de livres de cuisine. Quelques citations de son premier recueil? « Tout ce que je cuisine a meilleur goût que les seins de ta mère » ou « Laisse les oeufs cuire quinze minutes dans l’eau bouillante comme une suédoise sexy dans un sauna naturel… » Ghetto style.

Cookin with Coolio
Cookin with Coolio© DR

« Autant les musiciens noirs américains sont restés proches de la culture culinaire, autant la tradition rock en est longtemps restée éloignée. Le rock est un mouvement plus individuel, plus jeune, avec une vraie rupture générationnelle. Il se coupe des cultures communautaire et familiale qui constituent les racines de la cuisine. Les rockeurs ont longtemps été plus intéressés par la drogue et la qualité de leur herbe que par la bouffe. »

Eating with Franz Ferdinand…

Eating on tour with Franz Ferdinand
Eating on tour with Franz Ferdinand© DR

Le rapport à la nourriture a changé ces dix dernières années. Les milieux branchés et parmi eux le gotha musical ont redécouvert la cuisine. En 2006, Alex Kapranos a sorti un ouvrage culinaire, Sound Bites: Eating on tour with Franz Ferdinand, compilant notamment ses chroniques dans le Guardian. On y parle avec humour des joies d’un magasin à Donuts dans un quartier polonais de Brooklyn comme de testicules de taureau goûtés à Buenos Aires… Stéphane Davet, lui, a sorti chez Flammarion en 2010 le livre Bande Originale: 175 recettes, 1 heure de musique, la rencontre de Chilly Gonzales et du chef Pierre Gagnaire: des petits plats en horaires décalés inspirés par la personnalité du premier et un CD instrumental nourri par la cuisine et le caractère du second. « Connaître les bons restos et s’y retrouver est devenu un signe de branchitude. Le visage des restaurants de qualité a également changé. Ils ont abandonné le cérémonial du gastronomique, et sont devenus plus accessibles et décontractés. Ça favorise l’accès à une population jeune et bohème et lui permet de prolonger le lien social hors des boîtes de nuit et des salles de concert. »

Le renouveau de la bonne bouffe est aussi dû à la cote en hausse des produits bio, à l’avènement du fooding et de la bistronomie. « Il est lié à toute une série de chefs particulièrement branchés musique et qui connaissent très bien le milieu. Des mecs de 20-30 ans comme Inaki Aizpitarte du Chateaubriand qui a eu une vie assez rock’n’roll et écoute les Eagles of Death Metal en cuisinant. Le 15 mai par exemple, François Hadji-Lazaro sera en concert au Trianon avec Pigalle mais aussi des vignerons et cuisiniers comme Camdeborde, Breton et Faucher… « 

Chef du Septime, l’un des restaurants les plus courus de Paris où ont par exemple été manger Beyoncé et Jay-Z, Laurent Grébaut est fan de hip hop et a été grapheur dans le métro. Passion qui lui a valu des amendes et des perquisitions. « La musique doit parfois inspirer la cuisine de ces chefs. S’il aime, aussi, le rock old school, Pierre Gagnaire a par exemple un style assez proche des improvisations du jazz », commente Davet.

Aux Etats-Unis, Kerry Simon, baptisé le « rock’n’roll chef » par le magazine Rolling Stone et exception qui confirme la règle, a dirigé sa première cuisine dans les années 80 au Plaza Hotel. Il a installé une table dans sa cuisine et les musiciens ont commencé à venir y manger. David Crosby, Debbie Harry et même David Bowie… « Il a été choqué mais Iman s’était occupé de la réservation. Il est venu avec. »

Dans un autre genre, tout récemment, le chef Kyle Hanley a élaboré un menu dix plats inspiré par les textures et couleurs de Kid A et l’a servi le 19 février dernier au Detroit’s Elizabeth Theatre: granité de tomate (Tree Fingers), bouillabaisse (In Limbo) et lotte pochée à l’huile et asperges blanches (How to Disappear Completely)… 125 dollars le souper Radiohead.

Du rock au rap en passant par le punk, la bouffe, plus ou moins ragoûtante, s'est glissée dans nombre de pochettes de disques parfois devenues mythiques. La preuve par neuf, de la banane d'Andy à la boîte à pizza du défunt Grateful Dead Jerry Garcia.
Du rock au rap en passant par le punk, la bouffe, plus ou moins ragoûtante, s’est glissée dans nombre de pochettes de disques parfois devenues mythiques. La preuve par neuf, de la banane d’Andy à la boîte à pizza du défunt Grateful Dead Jerry Garcia.© DR

Turntable kitchen et Pizza Underground

On a longtemps mal mangé dans les meilleurs festivals mais sur cet aspect-là aussi la situation évolue. L’an dernier, même Rock Werchter, temple du hamburger et des frites mal cuites, possédait son bar à huîtres. Le Paléo à Nyon est en la matière l’un des pionniers. Il présente depuis des années une quarantaine de cuisines du monde. « Le patron Daniel Rossellat, qui est aussi le maire de la ville d’ailleurs, a écrit au Gault et Millau. C’est un passionné de bouffe. Il présentait des vins dans son festival alors qu’on en était encore en France aux merguez et aux saucisses… »

Le rapprochement entre ces deux formes artistiques que sont la musique et la cuisine est particulièrement visible sur la toile. Le Web y participe d’ailleurs à sa manière. Podcast hebdomadaire, Food is the New Rock parle musique avec des chefs et évoque la cuisine avec des musiciens. Le site eatingthebeats.com propose des plats inspirés par des groupes de rock indie. Steve Albini (Shellac) tient un blog où il partage les secrets des petits plats préparés pour sa femme. Matt Ward et Jim James, le leader de My Morning Jacket, en ont créé un dédié à la crème brûlée: www.cremebrulog.com. Quant à Turntable Kitchen, créé à San Francisco par Matthew et Kasey Hickey, il parle à la fois nourriture et musique. Entre les recettes, les interviews et les critiques de disques, le couple propose des bandes originales idéales pour accompagner vos plats préférés, recommandant par exemple Vetiver et autre folk bucolique pour votre poulet pommes de terre rissolées. Pour 25 dollars, il vous envoie aussi chaque mois sa Turntable Kitchen Pairings Box… Une boîte comprenant un 45 tours de chansons originales, une mixtape digitale, des recettes et des ingrédients secs.

Les liens entre musique et nourriture sont parfois insoupçonnés ou à tout le moins farfelus. Un bloggeur japonais a eu la curieuse idée de revisiter des pochettes de disques (Let it Come Down de Spiritualized, Pinkerton de Weezer ou encore Takk… de Sigur Ros) avec des aliments.

Andrew WK s’est fait fabriquer une guitare en forme de pizza et Macaulay « J’ai (encore) raté l’avion » Culkin adapte avec The Pizza Underground des chansons du Velvet en mode Margherita et quatre saisons… On est désormais bien loin de l’activisme et du Meat is Murder d’un Morrissey.

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Dans le Focus de cette semaine, l’interview de Kelis autour de son nouvel album Food.

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