Premiers extraits de la bio de Keith Richards: de l’Amérique ultra-conservatrice

© Reuters

Dans les premières pages de « Life » (Robert Laffont), en librairie depuis ce jeudi 28 octobre, le guitariste des Rolling Stones, Keith Richards, revient sur ses déboires avec la police de l’Arkansas en 1975. Et tance une Amérique ultra-conservatrice. Extrait.

Chapitre 1

Où il est question de mon arrestation par la police dans l’Arkansas pendant notre tournée américaine de 1975, et de l’embrouille qui allait s’ensuivre.

Qu’est-ce qui nous a pris de faire une pause-déjeuner au 4-Dice, une gargotte de… Fordyce, dans l’Arkansas, le jour de la fête nationale américaine? Ou n’importe quel jour, d’ailleurs. Comme si je ne connaissais pas les dangers du Sud bigot et réac, après dix ans passés à le traverser en voiture. Fordyce? Un trou perdu. Les Rolling Stones? Le gibier au menu de toutes les polices des États-Unis. En cet été 1975, le moindre flic de là-bas rêvait de nous coffrer pour débarrasser le pays de ces petits pédés anglais, tout en assurant son avenir professionnel par ce geste patriotique.

L’époque était violente, chargée de conflits. Depuis notre tournée STP (pour « Stones Touring Party ») en 1972, la chasse aux Stones était ouverte. Dans notre sillage, le Département d’État avait signalé une flambée d’émeutes (vrai), de désobéissance civile (vrai), et d’actes sexuels illicites (ne me demandez pas ce que ça veut dire). Et nous, pauvres baladins, étions censés en être les responsables. Nous incitions les jeunes à la révolte, nous corrompions l’Amérique et le gouvernement avait juré que nous ne remettrions jamais les pieds ici. Nixon en avait fait une question politique de premier plan. Il avait déjà déployé son talent ès coups tordus contre John Lennon, car il pensait que celui-ci pouvait menacer sa réélection. Quant à nous, notre avocat en avait été très officiellement informé, nous étions tout simplement le groupe de rock’n’roll le plus dangereux de la planète.

Les jours précédents, notre génial avocat, Bill Carter, avait désamorcé de main de maître les provocations montées de toutes pièces par les polices de Memphis et de San Antonio. Et voilà que Fordyce, un patelin de quatre mille deux cent trente-sept habitants dont le lycée avait pour emblème une sorte d’insecte rouge bizarre, semblait pouvoir remporter le pompon. Carter nous avait conseillé de ne pas traverser l’Arkansas en voiture, et surtout de ne jamais nous éloigner de la route principale. Il nous avait expliqué que l’Arkansas avait failli passer une loi interdisant le rock (j’aurais aimé voir ça: « Est bannie par le présent décret toute musique assourdissante et répétitive comportant quatre temps par mesure… »). Mais ça ne nous avait pas empêché de sillonner l’arrière-pays dans une Impala jaune toute neuve. Il n’y avait sans doute pas pire endroit pour faire du tourisme au volant d’une voiture bourrée de dope: une contrée de ploucs conservateurs qui détestaient tout ce qui ne leur ressemblait pas, à commencer par un groupe d’étrangers aux cheveux longs.

Avec moi, dans la voiture, il y avait Ronnie Wood, Freddie Sessler (un type incroyable, mon ami et presque un père pour moi, qui apparaîtra souvent dans cette histoire) et Jim Callaghan, notre responsable de la sécurité depuis de longues années. Nous avions décidé de parcourir en voiture les six cents kilomètres qui séparent Memphis de Dallas, où nous devions nous produire le lendemain, au Cotton Bowl. Jim Dickinson, le musicien du sud des États-Unis qui joue du piano sur Wild Horses, nous avait dit que les paysages du « Texarkana » valaient le détour. Et on en avait marre de l’avion. Le vol de Washington à Memphis avait été un vrai cauchemar. L’appareil avait fait un plongeon de plusieurs milliers de mètres, les gens s’étaient mis à hurler et à pleurer et Annie Leibovitz, la célèbre photographe, était allée donner de la tête contre le plafond de la cabine. Lorsque nous avions enfin atterri, les passagers avaient embrassé le tarmac. Pendant que nous étions ballottés, on m’avait vu me diriger vers l’arrière de l’appareil pour consommer certaines substances avec encore plus d’enthousiasme que d’habitude, car je ne voulais pas gâcher la marchandise. Un mauvais trip, à bord du vieux coucou de Bobby Sherman, le Starship.

On a donc pris la route et je me suis conduit comme un idiot. On s’est arrêtés devant le 4-Dice, une baraque au bord de la route, on s’est installés et après avoir commandé, Ronnie et moi, on s’est enfermés dans les toilettes, histoire de se mettre en jambes, si vous voyez ce que je veux dire. On planait totalement. On n’aimait ni la clientèle ni la nourriture, alors on est restés une bonne quarantaine de minutes dans les toilettes, à se marrer et à faire les cons. Dans le coin, ça ne se faisait pas. Ça a énervé les employés, ils ont appelé les flics. Quand on est sortis, une voiture noire sans plaques était garée sur le bas-côté. Dès qu’on a démarré, une sirène s’est mise à hurler et en moins de deux chacun de nous s’est retrouvé avec le canon d’un fusil à pompe sous le nez.

On était chargés comme des mules. J’avais une casquette en jean avec plein de poches bourrées de came. Les portières de la voiture étaient farcies de sacs de coke, d’herbe, de peyotl et de mescaline. Et maintenant, mon Dieu, comment allait-on se sortir de ce merdier? Ce n’était vraiment pas le moment de se faire serrer. C’était déjà miraculeux d’être en tournée aux States. Nos visas ne nous avaient été délivrés qu’avec une ribambelle de conditions, connues de tous les flics des États-Unis, fruit d’une interminable et pénible négociation de Bill Carter avec le Département d’État et le service d’Immigration, qui avait duré près de deux ans. Et la première des conditions était bien évidemment de ne pas se faire arrêter pour détention de drogue, ce dont Carter s’était porté personnellement garant.

À l’époque, j’avais arrêté la came dure, je m’étais mis clean pour la tournée. Et j’aurais pu laisser tout le matos dans l’avion. À ce jour, je ne comprends pas pourquoi j’ai pris le risque de trimbaler toute cette merde avec moi. On m’avait refilé tout ça à Memphis et j’avais du mal à m’en défaire, mais j’aurais quand même pu le planquer dans l’avion et prendre la voiture sans rien dans les poches. Pourquoi ai-je décidé de charger la voiture comme un dealer débutant? Peut-être me suis-je réveillé trop tard pour l’avion. Je me souviens d’avoir passé un bon moment à démonter les panneaux des portières pour y fourguer la came. Et le peyotl n’est même pas mon truc…

Dans les poches de ma casquette il y a donc du hasch, des cachets de Tuinal et un peu de coke. Je salue les flics en faisant un grand geste qui me permet de balancer des pilules et du shit dans les fourrés. « Bonjour, monsieur l’agent (grand geste), aurais-je commis quelque infraction? Je vous prie de m’excuser, je suis d’Angleterre. Est-ce que je conduisais du mauvais côté de la route? » Du coup, tu les prends à contrepied et en même temps tu te débarrasses de la dope que tu as sur toi. Mais il en reste encore plein.

Et puis les flics ont aperçu un coutelas sur le siège arrière. Par la suite, les salopards s’en serviront pour nous accuser d’avoir « dissimulé des armes ». Ils nous ont demandé de les suivre jusqu’à un parking situé quelque part sous le bâtiment de la municipalité. Chemin faisant, ils ont sûrement observé comment on continuait de balancer notre matos par-dessus bord.

(…)

Focus.be

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