Pourquoi l’Islande cartonne en musique

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Explosions in the sky islandais, For A Minor Reflection vient de sortir son deuxième album. Voyage au pays des volcans, de Björk et de Sigur Ros.

« Si l’Islande est incroyable, ce n’est pas à cause de ses paysages et de ses geysers. Mais parce que le premier ministre a son numéro dans le bottin, parce que la moitié de la population croit aux elfes et parce que le pays consomme chaque année plus de 600 tonnes de feu d’artifices. » La compagnie aérienne Icelandair donne d’emblée le ton. Bienvenue sur les terres de Björk, du Blue Lagoon et des beuveries qui ne terminent jamais.

Pourquoi en pleine crise du disque, à l’heure où les majors ne mettent plus la main au portefeuille que pour les stars du marché, un label indé comme Rough Trade envoie des Belges faire les gugusses dans le grand nord pendant trois jours pour rencontrer un groupe de post rock? « La faute au volcan, explique Gis Von Ice, le manager de For A Minor Reflection. L’éruption a constitué une telle catastrophe pour le pays, dont le tourisme est la vache à lait, que le gouvernement a débloqué énormément de fonds pour relancer l’économie. Notamment en soutenant financièrement ses groupes. »

L’éruption d’Eyjafjoll est un peu le deuxième coup d’assommoir pour l’Islande que le gouvernement annonçait purement et simplement ruinée fin 2008. Le dépôt de bilan de l’Etat a été évité grâce aux aides venues de l’étranger mais les banquiers islandais et leur capitalisme casino ont mis des milliers d’épargnants sur la paille.

Si la belle époque, The Good Days comme on l’appelle dans ce petit paradis terrestre, est révolue, vendredi et samedi à Reykjavik, c’est toujours fête, bière et débauche. Il ne fait pas super chaud l’été en Islande. La nuit cependant est courte. Très courte. Trois ou quatre heures tout au plus. Et pas bien sombres d’ailleurs. Les filles comme les garçons en profitent. Fêtent le week-end à coups de demi-litres de Viking…

On passe devant l’appartement, discret, de Jonsi, le chanteur de Sigur Ros. Même que son nom est écrit sur la sonnette. Il est 2 heures du matin et il y a déjà beaucoup d’imbibés au Kaffibarinn. Le bar le plus célèbre du pays, pour beaucoup découvert dans le film 101 Reykjavik avec Victoria Abril et dont Damon Albarn a composé la bande originale. Le leader de Blur a d’ailleurs eu des actions dans ce café trendy au-dessus duquel trône un sigle très métro londonien.

Strip poker

En Islande, où tout le monde semble se connaître (« ma copine, là, c’est la demi-soeur de Björk »), rien ne se passe vraiment comme ailleurs. Si certains membres de For A Minor Reflection se sont rencontrés il y a quatre ans après une fête d’étudiants imbibée autour d’une bonne gueule de bois (jusque-là rien de plus normal), il est quand même déjà moins courant que la soirée se soit terminée en tenue d’Adam avec un strip poker. A fortiori quand on parle d’un groupe à la Explosions in the sky/Godspeed You! Black Emperor.

« Il y a probablement un lien entre notre musique et l’isolement, le climat, le fait qu’on n’ait droit qu’à quelques heures de lumière pendant une bonne partie de l’année, analyse le guitariste Guofinnur Sveinsson. En même temps, on ne compte pas énormément de groupes de post rock en Islande. »

Son premier album, Reistu ig vin sólin er komin á loft (Lève-toi et brille, le soleil revient), sorti il y a trois ans et écoulé à quelque 4000 exemplaires, For A Minor Reflection l’avait enregistréà l’arrache en six heures dans un petit garage de Kopavogur pour cinq casiers de bière… Il a bossé sur le deuxième au Sundlaugin. Le studio de Sigur Ros. Une ancienne piscine reconvertie en lieu d’enregistrement sur lequel il a eu droit à une belle petite ristourne.

Sigur Ros a donné plus d’un coup de pouce à ses compatriotes. Quand il ne prétendait pas que For A Minor Reflection possédait un plus gros potentiel que Mogwai (« une bonne pub »), il embarquait les gamins avec lui sur la route pour une tournée européenne fin 2008. Jonsi et sa bande ont toujours mis un point d’honneur à soutenir les artistes locaux. Et Kjartan, l’un des guitaristes de For A Minor Reflection, n’est autre que le demi-frère de Georg Holm, le bassiste de Sigur Ros…

« Ils ont énormément d’expérience, connaissent bien le milieu et sont de bons conseils », marmonne Guffi, pas très bavard sur le sujet. For A Minor Reflection ne tient pas à entrer dans la case « krutt » (terme intraduisible que les Anglais remplacent par « cute »), utilisé pour décrire un romantisme islandais fantasmagorique et quelque part naïf. Une génération d’artistes introvertis, timides, qui se regardent les pieds embarrassés et dont Sigur Ros est, à tort quand on a pu rencontrer le loquace et plutôt rigolo Jonsi, considéré comme le porte-drapeau.

A Reykjavik, il semble aussi difficile de trouver un type qui ne bosse pas dans la musique que de débusquer un gars qui ne parle pas anglais. « En Islande, tout le monde joue d’un instrument, se prend pour un DJ le week-end ou bosse dans la technique », raconte un rasta blond en nous proposant d’aller le voir en concert le lendemain.

L’histoire de la scène islandaise, c’est dans le fond la même que celle de toutes les grandes villes et les patelins paumés des Etats-Unis et d’ailleurs. Celle de gamins qui s’emmerdent sec. Qui trouvent refuge dans la musique. Et sont juste un peu (beaucoup) plus coupés du monde que tous les autres. « L’Islande a toujours compté beaucoup de musiciens, de poètes. Ce n’est pas propre à notre génération », remarque Guffi. « Jusqu’en 1986, nous n’avions pas de télé le jeudi, se souvient Grimur Atlason, fameuse armoire à glace, manager du festival Iceland Airwaves. La chaîne publique était en congé. Comme pendant tout le mois de juillet. Puisque nous n’avions accès à aucun autre canal, fallait bien penser à s’occuper. »

Surtout quand on sait que les gosses islandais ont pratiquement quatre mois de congé sur l’année. « Vivre ici est parfois déprimant, reprend le guitariste de For A Minor Reflection. Nous avons énormément de temps libre et l’art en général permet de combler les longues journées d’hiver. Quand il fait noir et froid dehors. Beaucoup, je pense, perçoivent la musique comme une opportunité de quitter notre petite île. Le fait que Björk soit devenue une telle icône sur laquelle tous les regards se sont braqués a évidemment renforcé cette idée qu’on pouvait réussir hors de nos frontières. » Sentiment que cultivent aussi les carrières des GusGus et autre Emiliana Torrini.

Si les artistes islandais parviennent si souvent à percer à l’étranger, c’est sans doute déjà dû à leur personnalité qui ne souffre pas du lissage de l’industrie. L’Islande ne constituant pas le terrain de jeu favori des majors (pas assez rentable), les musiciens se tournent rapidement vers des structures indés, davantage synonymes de liberté. « Il y a sans doute aussi un petit côté exotique enneigé, termine Andri, le batteur. Venir de Reykjavik semble maintenant intéresser pas mal d’auditeurs avant même qu’ils aient entendu notre musique.  »

Qu’à cela ne tienne. Enregistré avec Scott Hackwith, producteur californien qui a collaboré avec les Ramones et Iggy Pop, bossé comme caméraman sur le Fight Club de David Fincher, Heading Towards Chaos ne devrait pas laisser de glace.

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Dernière en date des sorties islandaises, Heading Towards Chaos, de For a Minor Reflection, distribué par Rough Trade.

Julien Broquet, en Islande

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