Pour en finir avec le gros cliché du puits de dangers

Chasse au cougar annulée faute de météo rance, notre chroniqueur s’est rabattu sur des films de clubbing. Pour se rendre compte que seuls les Britanniques savent de quoi ils parlent au moment de filmer la nuit. Sortie de route, track #33.

Samedi, j’avais entendu parler d’une fête un peu mystérieuse au fond des bois et puis l’idée de la semaine, c’était surtout d’aller croquer le Quartier du Châtelain à l’occasion des Puces Nautiques de dimanche, annuelle manifestation ixelloise que plusieurs amis comparent en grande connaissance de cause à l’ouverture de la chasse au cougar. Le ciel s’est couvert, la température a chuté net, je me suis mis à cailler. Et puis, il n’a plus arrêté de pleuvoir. De la flotte sur l’humus, de la flotte sur une brocante, ce n’est déjà pas mon idée du plaisir. Une cougar sous la pluie, cette rivière de rimmel jusqu’aux orteils, encore moins. On comprend dès lors pourquoi j’ai plutôt vite été m’acheter des pizzas, des pots de crème glacée, des sodas et tout ce qu’il faut pour survivre à un week-end de crotte sans remettre le nez dehors. Tout cela et quelques films. Des films de clubbing. Histoire de tout de même avoir quelque chose à raconter en rapport avec le pitch de cette rubrique.

Si on en croit le journaliste Didier Lestrade, qui écrivait en janvier dernier pour la revue Minorités un article assez marrant sur l’« incompatibilité entre clubbing et cinéma », les gens du cinéma n’ont pour ainsi dire aucune culture club. Hollywood, la France, les pays de l’Est et l’Asie entretiendraient même la mauvaise réputation du clubbing en dépeignant le plus souvent dans leurs films les discothèques comme de véritables « puits de dangers ». Dans une majorité de films, le club n’est pas un endroit où se détendre et se faire plaisir, c’est plutôt un cloaque de non-droit où traquer drogues, gens à flinguer, informations malhonnêtes et disquettes à 3 millions de dollars, tout cela le plus souvent « sous des lumières toujours trop fortes, même pas belles, une sono finlandaise, 10 tueurs de 135 kgs chacun, les cheveux rasés, en costard avec des uzis, et un patron de boîte fourbe et très pervers qui décide de tout à partir de son bureau avec une grande baie vitrée qui surplombe le club (…) ». Bref, c’est là que les innocents se font tuer par des balles perdues lors des gunfights entre le héros qui fend « la foule en diagonale » et les « dealers qui boivent de la vodka ».

Didier Lestrade parle surtout de cinéma mainstream dans son papier. J’ai personnellement le souvenir de quelques films plus indé qui se montraient quant à eux nettement plus réalistes par rapport à la culture club. It’s All Gone Pete Tong ou Berlin Calling, par exemple. On pourrait me répondre que quelques soient leurs qualités quasi-documentaires, ils n’en demeurent pas moins fondamentalement une histoire de DJ anglais qui devient sourd pour l’un et celle d’un DJ allemand qui devient fou pour l’autre. Cela suite à leurs consommations excessives de drogues et d’alcool. Bref, là encore, ces films parlent de gens qui ont du mal à remonter à la surface du « puits de dangers ». Bien sûr, ce ne sont jamais que des histoires de chute et de rédemption. Des canevas de base qui marchent tout autant avec un DJ sourd ou zinzin qu’avec un cow-boy gaucher ou un patron de presse mort dans d’étranges circonstances.

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Lestrade écrit encore qu’au cinéma, le club est « toujours montré sous l’angle du fait divers et jamais pour montrer sa signification sociale. » Il a presque raison: presque non pas du fait qu’il existe de tels films plus sociaux, même en Amérique (tous cités, d’ailleurs: Saturday Night Fever, Cruising et Boogie Nights…). Mais presque parce qu’il existe un cinéma national qui réussit pour ainsi dire systématiquement ses scènes de club. Un pays où quand il faut un endroit glauque pour faire évoluer l’action, le scénariste ne pense pas automatiquement à une discothèque, décor qu’il préfère au contraire souvent garder pour les dénouements heureux, les instants de répits et d’amusement entre amis. Ce pays, c’est l’Angleterre. Bien sûr, de Saturday Night & Sunday Morning (en 1960!!!) à la série Skins, ce qui se passe à l’écran, dans les pubs et les clubs, n’est pas toujours très joyeux. N’en demeure pas moins que la discothèque est chez les Anglais le plus souvent représentée comme un lieu de rencontre sociale plutôt banal, qui ne tient pas plus du « puits de dangers » que la laundrette du coin ou le Fish & Chips. On y voit des gens danser, bien ou mal, mais sans mimer le coït comme chez les Américains et habillés comme les gens s’habillent vraiment et non pas en latex avec des colliers de chiens. Soul et rock (dans Quadrophenia) ou house (24 Hour Party People, Human Traffic…), la musique est celle de la vraie vie nocturne et non pas du métal industriel uniquement destiné à surligner le côté pseudo infernal du décor, comme c’est trop le cas dans beaucoup de thrillers hollywoodiens. Dans le cinéma anglais, un bar, une disco, un pub, c’est là où se rencontrent les gens, tout simplement. Ce n’est évidemment pas un hasard que seul le cinéma britannique semble avoir assimilé cela. Après tout, c’est en grande partie au Royaume-Uni que la culture club s’est à ce point banalisée qu’elle est depuis longtemps une véritable industrie avec pignon sur rue; générant ses méga-events presque familiaux, ses charters spéciaux pour les Baléares, ses DJ’s payés comme des footeux et ses magazines spécialisés lus de 14 à 54 ans. Autant dire que dans la dramaturgie britannique, une discothèque est un décor à peu près aussi anodin et neutre qu’un fast-food aux États-Unis ou une fromagerie en France. Et je crois bien que c’est une bonne chose. Pour la qualité des films, du moins.

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Serge Coosemans

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