Pop philo: Comment guérir un coeur brisé?

Al Green - How Can You Mend a Broken Heart © DR
Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, un philosophe planche sur une question existentielle de la pop.

Un coeur brisé l’est pour toujours. Du moins, c’était ce que Barry et Robin Gibb, les frères siamois des Bee Gees, avaient à l’esprit le jour où ils écrivirent How Can You Mend a Broken Heart. On était en 1971 -et la chanson fut propulsée à la première place du hit-parade. L’année suivante, Al Green en proposa une reprise sur Let’s Stay Together -une reprise extrême, gourmande dans la jouissance de sa tristesse, qui faisait passer le texte des frères Gibb pour une incantation vaudou. « Comment guérir un coeur brisé / Comment empêcher la pluie de tomber / Comment empêcher le soleil de briller?« , chantait Green.

Pas de doute, le complot était cosmique, à l’instar de l’amour lui-même. Être transi par l’amour, c’est repeindre l’univers entier à ses couleurs; et lorsque le rideau tombe sur l’histoire amoureuse, c’est la totalité de la création qui, soudain, prend un goût de cendre -ou, du moins, le devrait. Car, en réalité, il s’agit d’une manière comme une autre de faire en sorte que, même finie, l’histoire en question ne le soit pas tout à fait: une manière de la perpétuer dans un défi lancé au cosmos, alors qu’on sait qu’on s’en remettra. Mais ce n’est pas grave: en matière d’amour, de la même façon que pour tout ce qui importe dans l’existence, faire semblant est la meilleure manière d’atteindre un bout de vérité.

En jouant le coeur brisé pour l’éternité, en mesurant notre chagrin à l’inéluctabilité de la pluie qui tombe ou du soleil qui brille, on continue à vivre ce qui, pourtant, constitue la source de toute notre souffrance. Il faut exagérer: tel était le message que Al Green, étalant ses larmes à longueur de vocalises, tentait de faire comprendre à ceux qui l’écoutaient -et qui, à son instar, étaient en train de lécher leurs plaies sentimentales. Il faut exagérer, par fidélité à ce qu’on a aimé, et qui nous fait mal -qui nous fait mal précisément parce que cela ne nous fait pas tant mal que ça.

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En 1972, le chanteur soul Al Green sort l’album Let’s Stay Together, qui deviendra son premier gros succès. Avant même d’être reprise dans une BO de Pulp Fiction, la chanson-titre est l’exemple même de crooning moite que développera le futur révérend. Comme il le fait encore sur sa reprise des Bee Gees, longue plainte amoureuse miaulée pendant plus de 6 minutes.

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