PNL, rap autiste

© DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

On les adule ou on les déteste. Avec la sortie du nouveau Dans la légende, les rappeurs français confirment en tout cas la hype, chamboulant le paysage hip hop hexagonal.

Vendredi dernier, dans une grande enseigne culturelle du centre-ville de Bruxelles. En moins de dix minutes, ils sont au moins cinq à avoir déboulé dans ce coin du magasin, celui, de plus en plus rachitique, où sont rangés les CD -un vrai cimetière des éléphants. On a dû probablement leur indiquer le chemin: pas sûr que les ados -aucun ne doit avoir 20 ans- n’avaient dépassé auparavant le rayon jeux vidéo ou smartphones… Ils sont là pourtant, et ont un but en tête: mettre la main sur le nouvel album de PNL (pour Peace and Lovés), intitulé Dans la légende, le jour même de sa sortie officielle. Las, il faudra revenir, les exemplaires ne sont pas encore arrivés dans les bacs. En attendant, on aura récolté un indice supplémentaire sur le « phénomène » PNL. Les autres se trouvent dans la presse française. Ce même jour, le duo formé par Ademo et N.O. S faisait la couverture de Libération. Le titre: « La fascination PNL« . Celle pour un rap planant, drogué, vaguement autiste. Moins de deux ans après son apparition, elle n’a pas faibli. Que du contraire. Avec le temps, elle a même réussi à toucher des publics très différents. Autant les téléspectateurs de Cyril Hanouna que les lecteurs des Inrocks. À la fois le public des banlieues et celui, branchouille, du Palais de Tokyo (où PNL a donné son premier « concert » officiel). Lors des manifestations contre la loi travail en France, et le mouvement Nuit Debout qui a suivi, des pancartes ont même commencé à reprendre l’un des titres les plus fameux du groupe: Le Monde ou rien. On évitera pourtant de parler d’unanimité. À l’enthousiasme des uns répond l’incompréhension des autres, qui voient dans PNL une apologie gogole du vide sous vocoder, ou encore une arnaque pour bobos en recherche de frissons « cailleras ». Là où il y a fascination, il y a aussi répulsion…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Au départ, il y a une première mixtape baptisée QLF (pour Que la famille), en mars 2015, puis dès le mois de septembre suivant, Le Monde Chico. Il n’a pas fallu davantage pour provoquer l’emballement. Sur YouTube, par exemple, les statistiques des vidéos du duo se sont rapidement affolées (le compte officiel a désormais dépassé les 300 millions de vues…). Monomaniaques comme peuvent l’être leurs musiques, les clips de PNL sont toujours un peu les mêmes, avec leur esthétique léchée et planante, entre scènes de banlieues et grands espaces (Islande, Tanzanie…), filmés au drone, façon Yann Arthus-Bertrand.

Silence médiatique

À la maîtrise du visuel vient s’ajouter celui du mystère qui entoure le projet. De PNL, on ne sait en effet pas grand-chose. Originaires de la cité des Tarterêts, dans l’Essonne, à une trentaine de kilomètres au sud de Paris, Tarik (alias Ademo, 29 ans) et Nabil (N.O. S, 27 ans) seraient frangins. Une mère d’origine algérienne, absente. Un père d’origine corse, décrit comme un gangster. Nabil aurait lui-même un passé de petit dealer, qui l’aurait fait passer par la case prison, avance Le Monde, dans le long article de quatre pages qu’il a consacré au duo, dans son supplément du week-end dernier. Les principaux éléments biographiques (leur nom de famille?) restent cependant flous. Omniprésent sur les réseaux sociaux, le binôme ne donne en effet aucune interview (au point que certains se demandent: PNL existe-t-il vraiment ou n’est-il qu’une créature inventée de toutes pièces par l’industrie du disque, une sorte de Milli Vanilli du rap?). Cette défiance envers les médias n’a souffert qu’une seule exception: l’été dernier, les deux rappeurs ont fait la couverture du magazine américain Fader. Même là pourtant, la journaliste ne pourra pas interroger directement le duo, devant se contenter de les observer –« Les frères remballant jusqu’aux questions les plus banales -vanille ou chocolat? où sortez-vous ce soir? avez-vous des petites amies?- en faisant remarquer qu’elles constituent déjà une interview », explique la journaliste…

PNL - Dans la légende.
PNL – Dans la légende.© DR

Si jouer de l’absence et du mystère pour créer le buzz n’est pas une tactique neuve (voir Daft Punk), elle reste culottée. Surtout dans un monde gavé d’info, où tout devient rapidement public. Aussi maligne soit-elle, la manoeuvre ne dit cependant rien des secousses qu’a provoquées PNL sur la scène rap française. Elle n’explique pas, par exemple, comment des rappeurs au départ pas spécialement doués –« Je suis pas un rappeur, sans vocodeur je suis claqué », reconnaît Ademo sur Mowgli– ont réussi à créer leur propre monde. Un univers particulièrement codé, mélangeant aussi bien références gangster (Plus Tony que Sosa) que jeux vidéo (Kratos), mangas (Onizuka) ou dessins animés Disney (Simba, Mowgli…). Le tout débité dans une langue jusqu’ici inouïe, découpée, malaxée, au point d’être réduite par moments à de simples onomatopées (Da, Oh lala, Naha…). Sur le fond, le sujet principal des divagations de PNL n’est pas neuf: en gros, les errances de petits dealers de banlieue. Mais là où la plupart des autres rappeurs en profitent pour jouer les caïds, PNL préfère en dessiner un portrait nettement plus glauque. Le quotidien évoqué ici n’a rien de glorieux, plombé par l’ennui et le désenchantement. « Posté dans l’hall, les gens partent au taf/Peu stupéfaits de voir qu’en revenant, j’suis toujours là », raconte par exemple Ademo dans Porte de Mesrine.

Musicalement, PNL s’inspire de toute la vague cloud rap américaine: le duo noie ses histoires dans des nappes de synthés aussi sentimentales que baveuses, et fait tourner l’autotune à plein régime, jamais avare d’un effet kitsch. Et peu importe que les albums semblent avancer au ralenti, disques monochromes et léthargiques. Ce qui compte ici, c’est bien le jusqu’au-boutisme de la démarche. Il est particulièrement fascinant à observer -voir le non-concert donné cet été aux Ardentes, à Liège, pour l’une de leurs rares apparitions live. Exercice punk à sa manière, le rap de PNL se fout de tout, aussi bien des médias que du bon goût, prônant le No future à sa manière, en circuit fermé. Que la famille, qu’ils disaient… Tout le reste est secondaire. Y compris la question de savoir si le projet survivra à la hype. Pour l’instant, le duo trace, prend tout ce qu’il peut prendre. Pour le reste, pas certain que les frangins se fassent beaucoup d’illusion. Sur Le M, sorti l’an dernier, Ademo rappait déjà: « Le prends pas mal/Mais j’ai pas d’amour/Le public je m’en fous/je sais qu’il me lâchera. »

PNL, Dans la légende, QLF Records, ***(*)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content