Serge Coosemans

Peï qui sue, le deodoroll du rock

Serge Coosemans Chroniqueur

Dop Saucisse, légende du punk bruxellois et « didji » rock à ses heures, prestait ce samedi soir au Dillens Bar devant un public pas forcément conquis. A une table, il y avait Serge Coosemans, qui a pris des notes, entre deux shots de vodka. SDRS03E2

Peï qui sue, le déodoroll du rock. C’est le souvenir de cette vieille fausse pub des Snuls qui résume selon moi au mieux la prestation de DJ Saucisse, alias Dop Massacre, ce samedi 12 avril 2014 au Dillens Bar. L’ex-Chainsaws, l’ex-Melody Massacre, « l’inénarrable barman de Dikkenek, le supporter du RWDM et l’aficionado de la Vespa », comme nous le vend sa bio, y était en représentation pour la deuxième date de son délicieusement pompeux « Back To The Roots Tour » (*) Au menu: deejaying approximatif, classiques glam et punk, rock crade, invectives en brusseleer et animations aussi bonhommes que complètement wtf, comme de pratiquer de l’air guitar avec une vraie guitare, pas branchée donc, ou de courir dans le public, un peu courbé, façon Galen de La Planète des Singes, avec sur la tête un casque de moto équipé de feux d’artifices. Allumés, bien sûr. Dop Saucisse appelle tout cela du « maftpunk » (« maft » = « cinglé »en patois local). Parfois, c’est monstrueusement drôle et enthousiasmant, comme quand il passe ses 45-tours au Laboureur ou à l’Excelsior sur ses platines Fisher Price à piles. Ce soir au Dillens, ce sera plutôt halve & halve, peut-être même un poil pénible sur la longue. Il n’y a pas foule et Saucisse va une bonne partie de la soirée désespérement essayer d’attirer l’attention d’un public qui ne lui est pas forcément acquis. Des bobos qui « ne connaissent rien à la bonne musique » et « qui écoutent trop la radio », si on en croit ses invectives. Sauf que ces gens ont plus envie de picoler que de bouger leurs popotins et que le son n’est peut-être pas non plus le plus accueillant de l’histoire du deejaying.

Notre rockeur de service joue en effet ce soir non pas sur ses fameux tourne-disques portables mais sur une vraie sono et la maîtriser m’a tout l’air d’être la cadette de ses saucisses. Ca va trop fort, pas assez fort, c’est trop criard, trop sourd, et tout le set est accompagné d’un abominable bruit de masse, cette bête erreur de DJ débutant d’autant plus désagréable que réparable en deux secondes. Saucisse s’en fout, trop occupé à suer comme Lindsay Lohan après deux jours sans alcool, boudiné dans sa chemise psyché et son slim noir. « Moi, je suis un didji heulde squoule », vient-il un moment nous dire à notre table. Il passe du rock sixties, du glam, du punk, en jouant du tambourin et en abusant de coups de sifflets. Il fait surtout danser une poignée de filles, dont un sosie de Françoise Sagan et un clône de Régine Deforges. On se dit que ce sont probablement d’anciennes figures du punk bruxellois et cela me rappelle notre conversation avec Diamond Dave Decat lors du dernier Focus Brolcast, où il nous disait que de nos jours, les concerts de hard-core ressemblent la plupart du temps à des reconstitutions historiques, genre « bataille de Waterloo rejouée pour vous ». C’est exactement pareil ce soir : nous sommes dans une boum de 1986, rejouée pour vous par les acteurs d’époque, forcément un peu défraîchis depuis. D’où un amusement un chouïa forcé pour ceux qui n’ont pas la nostalgie des eighties et vachement trop enthousiaste pour ceux qui ne s’en sont jamais remis.

Visiblement dépité de faire danser 10 personnes et pas une de plus, malgré son rock de bonne tenue, Saucisse se perd tout d’un coup dans une sélection de compilation Douwe Egberts (Blondie, Joan Jett, B-52’s…), avant de carrément patauger du côté de S’Express, Indeep et Boney M. Il appelle ça « nous punir » et cette idée d’entrer en guerre avec les gens présents va se poursuivre toute la soirée, nous épuisant à vrai dire petit à petit. Un moment, il prend même à partie l’un des nôtres et lui lâche « toi, t’es fâché parce que je ne passe pas Metallica, hein? » Sauf que mon potosse est fan de Sun Ra, de techno à faire vomir un bouc, de soul psychédélique et de jazz cosmique, pas de métal. Autant dire que s’il y a incontestablement des jours où Dop Saucisse massacre et c’est d’ailleurs en souvenir de ces soirs là que nous avons été tirés ici par de jeunes trentenaires italiennes devenues fans à vie après l’avoir vu démonter le Bazaar, ce soir, Dop Massacre a plutôt tendance à conforter sa réputation de grosse saucisse. Non mais est-ce vraiment le rôle d’un deejay de venir charrier les gens qui n’ont aucune envie de danser plutôt que d’assumer que ce sera une soirée « sans » et dès lors offrir le meilleur fond musical possible à la picole ambiante?

Sortir ce genre d’âneries fait partie du show de Dop Massacre mais relève aussi d’une façon que certains ont de s’emballer pour « leur » musique comme les hooligans s’emballent pour « leur » club de football. Il leur faut un storytelling romantique qui fait d’eux et des groupes qu’ils suivent à la fois des incompris et des individus qui se distinguent de la masse. Ils s’inventent un sens du combat, des rivalités, un déclin culturel ambiant et des ennemis puissants contre qui on ne peut plus gagner. Jadis, ces gens là conchiaient le prog rock et le disco, aujourd’hui ils crachent sur le rap et les radios commerciales. Le prog rock à la Marc Ysaye peut selon moi généreusement aller se faire foutre en Enfer mais si les labels Soul Jazz, Dirty ou Born Bad devaient un jour sortir une compile s’intéressant au genre, je pense que je l’achèterais les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes. C’est l’optique « consommateur décomplexé ». Plutôt que de trier à leur meilleure convenance dans la surabondance culturelle, Saucisse et ses semblables m’ont par contre davantage l’air de tenir de tenants d’un culte identitaire. Bien sûr, de sa part, il s’agit surtout de provocation et de blagues d’ivrognes à ne pas prendre trop au sérieux. C’est son second degré, son décalage, qui lui attirent la sympathie et des charrettes de jeunes fans amusés. C’est cela qui le maintient dans l’époque. Dès qu’il se prend un peu trop au sérieux, par contre, qu’il pontifie, qu’il s’imagine Apôtre du Bon Goût entouré de mécréants et d’infidèles, c’est foutu. On baille. D’autant que passer du no future à la nostalgie psychorigide, ce n’est pas très sérieux. Autre sujet de thèse à méditer: au fond, cette soirée, est-ce que c’était marrant parce qu’on a trop bu ou est-ce qu’on a trop bu parce que c’était marrant?

* (Dates à venir: 19/4: Laboureur, 22/4: Kultuurkaffee, 1/5: Piano Fabriek, 3/5: Aralunaires d’Arlon…).

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