Serge Coosemans

Paris dépassée par Bruxelles, la honte…

Serge Coosemans Chroniqueur

À Paris, Serge Coosemans a oublié de traquer ce troisième Summer of Love qu’il est le seul à nous prédire pour préférer boire des pinards et de la 1664 tiède au cours d’une tournée des Grands Ducs du XIe arrondissement. Sortie de route S03E28.

Mon amoureuse est branchée pinards. Le biodynamique, tout ça. Elle est capable de dire des choses comme « J’ai goûté un Chenin de oufs » et se passionne aussi pour le café, surtout le moins torréfié. Je n’ai pas cette sophistication. Moi, la vinasse, du moment que ça pète, que ça aide à faire glisser le steak et que ça génère un arrière-goût d’arbuste de la pampa, c’est bon. C’est pourquoi, ce samedi après-midi à Paris, je ronchonne tandis que ma belle me traîne à Oberkampf à la recherche de cavistes et de bars à vins qui lui ont été conseillés par d’autres nerds vinicoles. J’ai l’impression de perdre mon temps. Je voudrais plutôt traquer le troisième Summer of Love, ce qui n’est pas gagné, vu que les seules soirées du week-end que j’ai repérées sur un site consacrée à la nuit parisienne sont des events dub (djembés, chevreuils, l’horreur…) ou salsa (too much testosterone). Ma contrariété se transforme en franche mauvaise humeur devant La Buvette, minuscule bar à vin et cave à manger de la rue Saint-Maur. C’est propret, joli, bien tenu mais plein de connards. Des types avec des sneakers fluorescents qui font mal aux yeux, des barbes scientifiquement taillées et des tronches à jouer dans les films de Pasolini. Qui parlent haut, en anglais. Tip-top le genre de couillons qui fréquentent les bars à vins, de nos jours, et pas seulement dans le Paris pseudo-branché. On a exactement les mêmes ici. Ce sont les Sarkozy d’Hipsterland International, plus ou moins vides entre les oreilles, à fond dans le bling du moment. Jadis, ils auraient porté des gourmettes, refoulé le Men de Mennen et trouvé que la Heineken, c’était le top.

Des gourmettes et du Mennen, on en trouve justement à profusion une demi-heure plus tard au Moderne, à quelques rues de là. C’est un bar atroce, avec un flipper au thème médiéval qui fait beaucoup de bruit, des lambris pourris, des chiottes à la turque et une clientèle partagée entre semi-clochards et semi-bobos. Le service est approximatif mais terriblement prévenant, assuré par de vieux algériens bedonnants. On boit de la 1664 limite tiède, du pastis allongé à l’eau du robinet, et on se sent parfaitement bien au Moderne. Ce n’est pas étonnant. À Paris, le magazine Vice organise régulièrement des soirées qui connaissent un certain succès dans ce genre de « rades pourris ». Ils n’ont rien inventé. Le mariage de la hype décontractée et du lumpenprolétariat crasseux, on connaît ça très bien en Belgique. On pense à quelques adresses anversoises, gantoises, liégeoises, à des troquets bruxellois comme Le Coq, Le Laboureur, l’Union, le Daringman, sans oublier feu Le Gentleman, caberdouche quasi interlope et à priori terrifiant, sonorisé François (Claude, voire Frédéric), où venait s’achever à 7 heures du matin la branchitude tant bobo que punk et techno, sans pour autant chasser des lieux les habitués vissés au comptoir depuis 1965.

La 1664 et la bonne ambiance me font retrouver un certain entrain. Mort au Summer of Love, notre soirée parigote vire en tournée des Grands Ducs du XIe arrondissement (poke au Mary-Céleste, vraiment extra). On se retrouve après dîner au Pop In, semi-légendaire bar pop où officia jadis, si je ne m’abuse, le batteur des Zombie Zombie et d’Herman Düne, bôgosse dont les heures de travail correspondaient alors à des pics de présence de bonnasses célibataires. Tout cela est bien fini et c’est ce soir un sosie de Stéphane Guillon qui nous sert nos shots de vodka. Il a l’air d’en être conscient, imitant quelque peu le phrasé de l’humoriste martyr des années Sarko (rires). Bar que j’ai connu nettement plus bourré que ça (dans tous les sens du terme), le Pop In est ce soir relativement calme et clairsemé. Il n’en reste pas moins très sympatoche, avec New Order et Brian Jonestown Massacre dans la sono, des mecs marrants et deux japonaises caricaturales qui dansent les bras en l’air. Ça démarre bien, tout ça, sauf qu’à peine vraiment décidés à affronter une nuit de folie, c’est déjà le dernier verre! À 01h30! Un putain de samedi! Au bar, bouquet final avant la fermeture, dans un esprit de franche camaraderie, ça hurle en choeur sur Where Did You Sleep Last Night de Nirvana, anniversaire de la mort de Kurt Cobain oblige. Le serveur (pas Guillon 2, un autre) nous balance « heureusement qu’il n’est mort qu’une fois », puis, hop, buiten, c’est fini. Une grosse demi-heure plus tard, on est au lit, à manger des chips, complètement ivres et relativement frustrés par cet extinction des feux que même les scouts de 6 ans dépassent allègrement. Au même moment, à Bruxelles, jusqu’au bout de la nuit, il y avait Strictly Niceness avec Mad Mats, Shit Robot à Recyclart et Veronica Vasicka au Tag. Paris dépassée par Bruxelles, la honte. Summer of Love, my ass. Ça m’apprendra à décalquer certaines chroniques de la presse française, tiens.

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