Critique | Musique

Nos albums de la semaine: Mathieu Boogaerts, Kate Tempest, Xylouris White…

Mathieu Boogaerts © Thibault Montamat
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Adepte d’une chanson délicatement minimaliste, Mathieu Boogaerts laisse percer une mélancolie encore jamais entendue chez lui. Avec également nos critiques des albums de Liset Alea, Xylouris White, Marching Church, Kate Tempest, Pablo Moses, Steve Hauschildt et Powell.

Mathieu Boogaerts – « Promeneur »

CHANSON. DISTRIBUÉ PAR TÔT OU TARD/PIAS. ***(*)

Mathieu Boogaerts adore le mot « fou » (qu’il prononce « fouh », tel le bruit du bolide qui passe en coup de vent). Exemple: « C’est fou comme le temps passe vite. » Vingt ans en l’occurrence. Deux décennies que Boogaerts est apparu sur la scène française. C’était avec l’album Super, et le single Ondulé. Depuis, le bonhomme a continué à tracer sa route dans son coin. Sans connaître le succès retentissant qui lui aurait permis par exemple de remplir des Zenith. Mais avec une constance qui lui a amené une fan base solide, ainsi qu’une reconnaissance du métier (il a écrit pour Vanessa Paradis, Camelia Jordana, Luce…). En février dernier, il a ainsi fêté ses 20 ans de carrière à la Philharmonie de Paris. Par ailleurs, en septembre, la « jeune » génération lui a rendu hommage à travers un disque de reprises (avec notamment Nicolas Michaux, reprenant Jambe, et Témé Tan transformant Bandit en petite bombinette funky). Compilé par le collectif La Souterraine, 10 ritournelles autour de Mathieu Boogaerts montre ainsi à quel point les chansons de Boogaerts, sous leur apparente délicatesse, sont solidement charpentées.

C’est bien là le tour de magie de Mathieu Boogaerts. Réussir à glisser des morceaux qui, tout en donnant l’impression de tenir à deux fois rien, parviennent à retenir l’oreille et à s’y incruster durablement. Musicalement minimaliste, Boogaerts a la fantaisie légère et attachante, et cet art de jouer les grands naïfs.

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Le titre de son nouveau disque, le septième, semble encore le confirmer: globe-trotter invétéré, Boogaerts est bien ce musicien qui chante comme il se balade, Promeneur faussement dilettante de la scène française. Cette fois, il a décidé de partir s’isoler dans les montagnes. L’essentiel des morceaux a été enregistré dans une ancienne bergerie, plantée à côté du mont Ventoux. Trois micros, une simple guitare: rien de plus. Ce n’est que plus tard que seront ajoutés deux, trois éléments supplémentaires. Comme une guitare électrique, un petit clavier-piano, un bongo, et puis, surtout, trois violons. Est-ce la raison pour laquelle Promeneur sonne plus mélancolique qu’à l’habitude?

Clown lunaire mais rarement triste, Mathieu Boogaerts laisse percer ici une mélancolie rarement entendue chez lui. Dans Chhh, par exemple, celui qui chantait « Montre-moi ta flamme, montre-moi tout » (Avant que je m’ennuie) se demande désormais si « la vérité à dire est bonne? », avant de conclure « Nan, rien n’sera jamais plus comme avant/Et avant, c’était mieux que maintenant ». Peut-être que le brouhaha du monde a quand même fini par atteindre l’île déserte que s’était inventée Boogaerts: « Toi, pourquoi t’es méchant? […] Je pleure, je meurs de peur […] Tu penses vraiment qu’y a pas de la place pour nous deux, sur la Terre » (Méchant). Plus loin, la sentence est encore plus explicite: « C’est quoi la raison/que j’tombe dans le trou/j’aimerais le savoir […] Sauvez-moi/Que la lumière soit » (L’enfer).

Mathieu reste cependant bien Boogaerts, qui termine sa promenade, un peu K.-O. certes, mais toujours volontaire: « Tout est merveilleux ici/N’est-ce pas un peu le paradis » (Merci). Après tout, un peu d’autopersuasion n’a jamais fait de mal… (L.H.)

Liset Alea – « Heart-Headed »

POP. DISTRIBUÉ PAR V2 RECORDS. ***(*)

Née à Cuba, devenue Parisienne, elle a vécu à New York, Amsterdam, Londres et au Costa-Rica. Voyageuse, comme ses collaborations éclectiques égrenées depuis la fin des années 90, notamment avec Nouvelle Vague. Marc Collin, du groupe français, produit ce premier solo qui débute par un Jerusalem réminiscent de Lana Del Rey, même si au fil de l’album, Liset joue moins de théâtralité que de féminité. Sans éviter complètement le rétroglamour (superbe Warrior), la voix rayée renoue avec les vieux rêves cubains (Tidada) et des ballades chargées de mélancolie (Alexander). Ou peut-être, de fantômes nés des multiples vies déjà empilées avant 40 ans. (Ph.C.)

Xylouris White – « Black Peak »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR COOPERATIVE/PIAS. ****

Né de la rencontre entre le luthiste crétois George Xylouris et le batteur australien des Dirty Three Jim White (mariage accéléré par un festival ATP curated by Nick Cave), Xylouris White (tu as suivi?) réussit avec son deuxième album, Black Peak, un solide disque de folk rock d’avant-garde. Sept titres mêlant tradition et modernité pour un projet qui a autant sa place à Dour ou au Pukkelpop que dans les grands rassemblements des musiques du monde. Produit par Guy Picciotto (Fugazi) et bénéficiant sur Erotokritos d’un petit coup de main de Bonnie Prince Billy, Black Peak mène l’improbable tandem vers les sommets. Xylouris White light, Xylouris White heat… (J.B.)

Marching Church – « Telling It Like It Is »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR SACRED BONES/KONKURRENT. ***(*)

Le 17/11 au Trefpunt (Gand).

Frontman des violents mais dispensables Vikings d’Iceage, Elias Bender Ronnenfelt prenait l’an dernier la tangente le temps de s’enregistrer un album insomniaque et fiévreux, This World Is Not Enough, sous haute influence nickcavienne. Disque qu’il ne défendit d’ailleurs quasiment pas sur scène. Le Danois ressort déjà la bouteille d’Aquavit pour Telling It Like It Is, mis en boîte avec des musiciens nordiques croisés dans les rangs de Lower et autre Hand of Dust. Un peu de Tom Waits par-ci, une pointe de dEUS par-là. Le nouveau Marching Church avec ses touches cabaret et ses odeurs de cendrier froid emmène dans des bars de nuit aux couleurs blafardes et s’achève sur un Calenture qui sonne comme du Rolling Stones bourré. Une église pas vraiment au milieu du village. (J.B.)

Kate Tempest – « Let Them Eat Chaos »

SPOKEN WORD. DISTRIBUÉ PAR FICTION. ****

En concert le 11/11 au Reflektor, Liège et le 12/11 au Sonic City, Courtrai.

Sur son second album, la jeune poétesse londonienne se branche à nouveau sur l’électronique pour raconter le chaos du monde actuel. Noir, c’est noir…

Nulle part comme en Angleterre le médium pop aime se frotter à la chose politique. De Billy Bragg à The Clash, des Specials à Blur… Même la scène dance, tout occupée soit-elle à provoquer l’extase, n’a jamais été complètement frivole: depuis les idéaux communautaires de la scène rave, en passant par les prises de position de groupes comme Massive Attack.

A 30 ans, Kate Tempest est l’une des dernières arrivées dans cette longue tradition locale. En 2014, son premier album, Everybody Down, avait déjà fait forte impression -au point de se retrouver dans la liste des nominés au Mercury Prize (remporté cette année-là par les Young Fathers, autre entité à haute teneur socio-politique). Depuis, celle qui est aussi poétesse (elle se dit autant fan du Wu-Tang Clan que de William Blake) et auteure de théâtre a gagné le Ted Hugues Prize (récompensant chaque année, en Angleterre, le travail de poésie le plus novateur) et publié un premier roman (The Bricks that Built the Houses). Aujourd’hui, elle sort un second album qui radicalise encore un peu plus le propos. Kate la Tempête.

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Sombre, électronique (il est à nouveau produit par Dan Carey), Let Them Eat Chaos est d’abord un disque foncièrement nocturne. Kate Tempest y raconte les états d’âme de sept personnages, captés au milieu de la nuit. Il est très précisément 4 heures 18 du matin. L’heure à laquelle l’obscurité est d’encre: plombée par la fatigue de la veille, pas encore éclairée par les éventuelles promesses du lendemain. A travers les différents protagonistes de son récit, Tempest brasse ainsi les tourments du monde actuel, n’épargnant rien, ni personne. Elle constate le dérapage des élites de plus en plus déconnectées, la toute-puissance de la finance, l’imminence de la catastrophe climatique, le délitement du lien social, l’apathie générale (« even the drugs have got boring« )… L’un des morceaux-charnières du disque s’intitule Europe Is Lost, sorti en single l’an dernier, bien avant donc le cataclysme du Brexit. Il y a un peu plus de 35 ans, les Clash chantaient « London is drowning » (London Calling). Aujourd’hui, Tempest confirme: « The water levels rising! The water levels rising!« 

Avec son accent cockney et son goût pour les beats électroniques, entre post-grime et garage, Kate Tempest fait forcément penser au The Streets des débuts. L’humour fendard en moins. C’est aussi un peu la principale limite de l’exercice: à côté de certains traits d’ironie bien tapés (« The squats we used to party in, are flats we can’t afford« , dans Perfect Coffee), Kate Tempest a parfois la sentence un peu lourde. Toujours moins, cela dit, qu’une époque où la caricature semble être devenue la norme. Après tout, si 2016 a pu souvent donner l’impression d’aligner tous les éléments du prochain Armageddon, Let Them Eat Chaos n’en est encore qu’un miroir atténué. Noir, il ne baisse d’ailleurs pas pour autant les bras. « I’m pleading with my loved ones to wake up and love one another« , répète-t-elle en toute fin de disque. L’espoir et le volontarisme, malgré tout… (L.H.)

Pablo Moses – « The Revolutionary years 1975-83 »

REGGAE. DISTRIBUÉ PAR SOCADISC. ****

Avec le triomphe des Wailers de Bob Marley mais aussi l’avènement de Burning Spear, Culture, Tapper Zukie, Augustus Pablo, Big Youth, Junior Murvin et beaucoup d’autres, les seventies constituent la période matricielle du reggae-dub jamaïcain. Compilé sur ses quatre premiers albums, Pablo Moses s’inscrit dans la veine roots où le chaloupement fondamental laisse à la basse le maître mot sur des claviers volontiers pimpants et la fameuse guitare en cisaille: la voix n’a plus qu’à glisser sa béchamel naturelle et tailler des croupières à Babylone. La sensualité du reggae et ses convictions ici totalement rastafaris, justifiant l’expression « main de fer dans un gant de velours »: les aficionados retrouveront les classiques de Moses –Give I Fe I Name, A Song, Revolutionary Step- les autres suivront leurs hanches. (Ph.C.)

Steve Hauschildt – « Strands »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR KRANKY/KONKURRENT. ***(*)

L’Américain, ex-Emeralds, est un véritable artisan de l’électro expérimentale. Dixit sa bio, mais on ne dira pas le contraire! Vivant à Cleveland, il explique s’être inspiré, entre autres, d’une rivière locale qui a pris feu plus d’une dizaine de fois jusqu’aux années 60, polluée par les rejets de l’industrie locale. L’eau et l’huile n’ont jamais fait bon ménage! Sauf dans cette ambiant assez nineties, un peu à la Global Communication et, à une ou deux compos près, quasi sans beat. Les nappes de synthés de Horizon of Appearances 2 évoquent même des images de va-et-vient maritime. Avec A False Seeming, le mouvement gagne en amplitude mais des textures discrètement plus abrasives, comme un léger bruit blanc, lui évitent la grandiloquence. (D.S.)

Powell – « Sport »

ELECTRONICA. DISTRIBUÉ PAR XL RECORDINGS. ***

Dès l’introduction, Powell ne fait pas mystère de ses intentions. Sport démarre avec FiT_17, stridence qui agresse directement l’oreille –quelqu’un peut-il rebrancher la bonne prise?! Producteur et DJ anglais, ayant déjà commis une série d’EP, Oscar Powell adore provoquer (comme il l’a fait par exemple en charriant l’ayatollah rock Steve Albini, et en publiant leur échange de mails sur des grands panneaux d’affichage dans les rues de Londres). C’est l’un des principes de base de ce premier album, entre fulgurance techno malsaine et morve punk, ne laissant jamais l’auditeur tranquille très longtemps. Ereintante, l’écoute de Sport tient parfois de l’épreuve. Mais pour le même prix, elle se révèle aussi bizarrement comme une expérience intrigante, aventureuse. (L.H.)

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