Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#3): Cabbage, Courtney Marie Andrews, Foxygen…

Cabbage © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Héritiers de la Fat White Family, les Mancuniens de Cabbage secouent la scène rock british avec une compilation de leurs trois derniers EP. Dans cet article également, nos critiques des albums de Michael Chapman, Tim Cohen, The Stray Trolleys, Foxygen, Courtney Marie Andrews, Wayne Shorter, Daniel Erdmann, Yonathan Avishai et Max Roach.

Cabbage – Young, Dumb and Full of…

ROCK. DISTRIBUÉ PAR SKELETON KEY. ****

Surnommée Cottonopolis ou encore « ville des entrepôts » à l’ère victorienne, Manchester n’a pas joué un rôle prépondérant que dans la révolution industrielle et l’histoire footballistique. Elle a aussi depuis le milieu des années 70 marqué de son empreinte électrique et indélébile celle de la musique et du rock britannique… Buzzcocks, Joy Division, New Order, The Fall, Happy Mondays, Smiths, Stone Roses, Charlatans, Oasis, Chemical Brothers… La liste est longue. L’héritage pesant. Tellement écrasant qu’ils sont rares ces derniers temps à avoir ajouté leur nom au panthéon.

Pourtant, présenté comme le groupe le plus excitant de la ville, Cabbage semble en mesure de venir gribouiller le sien au bout du répertoire depuis un peu trop longtemps tenu en suspens des plus rock’n’roll gloires locales. Avec Young, Dumb and Full of…, premier album qui en a autant dans la caboche que dans le falzar, Cabbage vient de mettre un joli coup de pied dans la fourmilière (genre frappe de mule) et de secouer le cocotier d’une scène anglaise qui aime un peu trop se regarder le nombril.

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Cabbage, pour être précis, vient de Mossley, petite ville du Lancashire peuplée de 10.000 habitants et située à une quinzaine de kilomètres de la tentaculaire Manchester. « I wanna fight for my country, just like the old boys and Nazis. » La première punchline de l’abum, celle du titre d’ouverture Uber Capitalist Death Trade, donne le ton. Fils caché de The Fall, cousin mancunien de la Fat White Family (ajoutez-y un peu de Clash, de Libertines, de Black Lips…), Cabbage n’a ni sa langue ni sa guitare en poche. Cabbage est un groupe en colère. En colère contre la fermeture des pubs. Contre son gouvernement. Contre les choix politiques et les coupes budgétaires qui ont bousillé l’initiative bénévole venant en aide aux toxicomanes et aux récidivistes pour laquelle l’un d’entre eux, le chanteur et parolier Lee Broadbent, travaillait.

Compilation de leurs trois derniers EP’s, tous dévoilés en 2016, Young, Dumb and Full of… s’en prend à la famille royale, Kim Jong-un, Rupert Murdoch, la NHS et The Sun. Chante la nécrophilie à Buckingham Palace. Et, « Death to Donald Trump », hu(r)lu(r)le en guise de refrain un appel à la mort du Président américain.

Certes, Cabbage dézingue aussi le These Boots Are Made for Walkin de Nancy Sinatra et revendique avec humour son appartenance. « I’ve had a pint with every person who’s ever played in The Fall » (Tell Me Lies about Manchester). Mais avec Free Steven Avery (Wrong America), il appelle encore à la libération de cet Américain emprisonné à tort pendant 18 ans pour viol. Innocenté par test ADN. Et retourné derrière les barreaux pour le meurtre d’une photographe. Ce type étrange au coeur de la série documentaire Making a Murderer. En attendant le support physique, qui ne devrait tarder, iTunes et Spotify vous feront découvrir votre nouveau groupe préféré… Le (no) futur du rock anglais. (J.B.)

Tim Cohen – « Luck Man »

POP. DISTRIBUÉ PAR SINDERLYN/KONKURRENT. ***(*)

Derrière sa grosse barbe de chasseur d’ours, Tim Cohen cache un coeur tendre et une âme sensible. Il a beau avoir repris Suzanne lors d’un récent hommage à Leonard, Tim n’a pas le moindre lien de parenté avec le regretté singer/songwriter canadien. Leader des Fresh and Onlys et de Magic Trick, Tim est de San Francisco. Il a déjà roulé sa bosse avec un tas de groupes (Black Fiction, Amocoma, Sonny & The Sunsets…) et signe avec Luck Man un joli disque qui revendique l’influence de Van Morrison, rend hommage au réalisateur de comédies adolescentes John Hugues (The Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller…) et adresse un clin d’oeil aux Smiths de Morrissey (une chanson s’intitule Meat is Murder). De la pop chaude, lumineuse et gentiment psychédélique. Entre Love et Belle and Sebastian. (J.B.)

The Stray Trolleys – « Barricades and Angels »

POP. DISTRIBUÉ PAR CAPTURED TRACKS/KONKURRENT. ***(*)

Singer, songwriter, poète, auteur et chroniqueur, Martin Newell, 63 ans, n’a jamais caracolé en tête des charts mais reste considéré comme l’un des pionniers de la cassette culture. Dans la foulée de Burger Records qui l’a réimmortalisé l’an dernier sur bandes magnétiques, le label new-yorkais Captured Tracks (Mac DeMarco, Juan Wauters) a pris l’excellente initiative de rééditer en vinyle et CD le seul et unique album de ses Stray Trolleys. Enregistré en 1979 et 1980 même si seulement sorti en 1982, soit deux ans après la séparation du groupe, Barricades and Angels ne passionne pas de bout en bout (ah, ce saxo eighties façon Joe le Taxi) mais charme même par ses défauts. Bâtit un pont entre les Beatles et la pop indé des années 80 et 90. Et préfigure de 20 ans les Shins. Vieux, Frais, mélodieux et lo-fi.

Foxygen – « Hang »

POP. DISTRIBUÉ PAR JAGJAGUWAR/KONKURRENT. ***

Recycleurs patentés, pillards décomplexés, les Américains de Foxygen, enfants du rock et du soleil, ont l’emprunt facile et le clin d’oeil appuyé. Fini Lou Reed, les Modern Lovers, les Kinks, les Saints, les Rolling Stones… Au bac aussi les expérimentations sonores d’…And Star Power. Sam France et Jonathan Rado se la jouent désormais crooners et grands arrangements. Pop et grandiloquents. Frank Sinatra, Elton John, David Bowie… On reconnaît un plan de Curtis Mayfield. Croit entendre la BO d’une comédie musicale des années 50. Hang est un disque surprenant. Un album enregistré avec un orchestre symphonique de plus de 40 musiciens, un coup de main de Steven Drozd (Flaming Lips), de Matthew E. White et des Lemon Twigs. Bien fait mais terriblement kitschounet… (J.B.)

Michael Chapman – « 50 »

FOLK. DISTRIBUÉ PAR PARADISE OF BACHELORS. ****

Sur son site, Michael Chapman raconte comment tout a commencé: « Par une nuit pluvieuse de 1966, je me suis retrouvé dans un pub, quelque part dans les Cornouailles. Comme je n’avais pas un centime sur moi, mais que je ne voulais pas me retrouver dehors sous la drache, j’ai proposé de jouer un petit set d’une demi-heure à la guitare. » Depuis, Chapman n’a pas arrêté. Cinquante ans de carrière n’en ont pas fait une mégastar internationale: le musicien anglais a le culte discret. Contemporain de Bert Jansch et autre John Martyn, autres héros folk-jazz British, Chapman aura marqué néanmoins aussi bien Bowie (le son d’Hunky Dory doit beaucoup à l’album Fully Qualified Survivor) qu’Elton John ou même Thurston Moore de Sonic Youth: « Ses doigts galopent sur sa guitare acoustique, de la même manière que Kandinsky virevolte avec son pinceau. »

Six ans après la lamentation noisy expérimentale de The Resurrection And Revenge of The Clayton Peacock, Chapman revient avec 50. Référence à ses cinq décennies de musique, le disque propose une dizaine de morceaux, dont trois inédits, les autres consistant en des réinterprétations d’anciens titres, souvent obscurs. Pour être clair, on est loin de la célébration best of. En réalité, comme le faisait remarquer le Mojo, 50 fait bien plus penser aux augures funestes de Blackstar ou I Want It Darker. 50 est aussi présenté comme son album « américain ». Produit ici par Steve Gunn, Chapman, 75 ans (et la voix éraillée qui va avec), rumine en effet un folk des grands espaces (That Time of the Night), qui semble souvent annoncer la fin. Sur Memphis In Winter, par exemple, il grince: « Il paraît que Jésus sauve/Mais je n’ai rien vu de tout ça ici-bas. » Aussi sombre que majestueux. (L.H.)

Courtney Marie Andrews – Honest Life

FOLK. DISTRIBUÉ PAR V2 RECORDS. ****

Le 12/03 à l’Ancienne Belgique.

Coup de coeur pour cette folkeuse américaine de 26 ans qui ramène à la dignité vocale supérieure de Joni Mitchell et Joan Baez.

Courtney Marie Andrews a habité dans nos régions, en 2014/2015, multipliant les premières parties ou les duos avec l’Anversois-fasciné-par-l’Amérique, Milow. C’est précisément à cette époque que le mal du pays, accentué par un vague à l’âme amoureux, s’installe dans sa psyché d’immigrée musicale. Il faudra donc en faire des chansons, celles d’Honest Life, et revenir à la maison pour trouver la juste mesure biographique: Courtney repartie chez Obama délaisse la chaleur exagérée de son Arizona natal au profit de l’État de Washington. Dans cette région du nord-ouest américain, six fois la Belgique, la jeune femme expérimente les forêts sans fin et Seattle, ville proche du Pacifique à la croissance boulimique. Ici, la géographie boisée s’immisce littéralement dans des histoires qui, de fait, sentent parfois le sapin, comme Table for One, sur la nécessaire acceptation de la solitude et de la vulnérabilité inscrites dans la vie.

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Il faut détailler l’origine du plaisir: Courtney a ce grain de voix qui, à lui seul, incarne une moisson. Ses aigus renvoient à la pureté stylisée de Joni Mitchell et à l’élégance de Judy Collins alors que l’usage récurrent du vibrato ramène à l’implication quasi-religieuse de Joan Baez dans les tumultes des années 60. C’est précisément cette madeleine-là qu’on mange en temps réel avec Courtney: l’impression d’arpenter des histoires d’autant plus substantielles que portées par une voix déchirante. La vibration folk country -les deux mamelles du disque- nettoie les scories sentimentales et défie les lourdeurs d’époque. Curieusement, les manières sixties du chant ne datent jamais la musique, fabriquée par une artiste qui compose depuis l’âge de quatorze ans, pour ce qui est déjà son sixième album. On peut gloser sur l’americana, ses vieilles dentelles sans cesse raccommodées et ses obsessions de la mélancolie friable, la résilience décrite dans How Quickly Your Heart Mends incarne un produit durable. Sur des arrangements chauds -pedal steel, orgue, piano- Courtney déploie cette voix qui calme les douleurs et pousse des histoires sur la conscience d’être vivant, ses atours malaisés ou ses bouffées de joie. Comme toute musique propulsée par le spleen, celle-ci confirme que le doute reste un moteur énergétique d’envergure, magnifié dans Irene -dans un monde juste, un tube obligatoire- et la conclusion Only in My Mind, où l’écrin vocal se double de cordes fraternelles. Pour un album qui, en dépit de ses fissures, vous veut indéniablement du bien. (Ph.C.)

Daniel Erdmann’s Velvet Revolution – « A Short Moment of Zero G »

JAZZ. BMC CD 239 (PIAS). ****

Sax ténor (l’Allemand Daniel Erdmann), violon (le Français Théo Ceccaldi), vibraphone (l’Anglais Jim Hart): l’association de ces instruments provoque d’entrée la curiosité par ce qu’elle promet (de la musique acoustique) puis passionne avec ce qu’elle offre (un dialogue original aux timbres singuliers ouvert sur l’improvisation) auquel s’ajoute un ingrédient supplémentaire: les musiciens insufflent une dimension mélodique qui parfois traverse jusqu’au bout les onze titres (signés Erdmann) de ce très bel album. Lequel, par ailleurs et malgré son intitulé, voit son contenu singulièrement matérialisé par une prise de son rugueuse, certes, mais dont le grand mérite est de restituer à chaque instrument son véritable volume sonore. (Ph.E.)

Yonathan Avishai Modern Times – « The Parade »

JAZZ. JAZZ & PEOPLE JPCD816008. ***(*)

Produit par un label participatif, The Parade est le second opus de Modern Times, dont le trio (Avishai, piano, Yoni Zelnik, basse, Donald Kontomanou, batterie) a été augmenté du percussionniste cubain Inor Sotolongo et du saxophoniste et clarinettiste César Poirier. La Parade en question est celle des années jazz, lorsque la musique s’est emballée aux Etats-Unis, dans les Caraïbes mais aussi en Europe à travers une effervescence que racontent quatorze compositions originales qui, paradoxalement, proposent une musique le plus souvent intériorisée, privilégiant une gravité légère débarrassée de toute nostalgie déplacée -même si les fantômes de Gershwin et d’Ellington la traversent et qu’il lui arrive parfois d’exploser en un feu d’artifice percussif. (Ph.E.)

Max Roach – « The Complete Remastered Recordings on Black Saint & Soul Note (Volume 2) »

JAZZ. KEPACH MUSIC BKS 1044 (PIAS). **(*)

Second coffret Black Saint/Soul Note consacré à Max Roach, l’un des plus grands batteurs de l’Histoire du jazz et une des personnalités centrales des combats sociaux et antiracistes menés à travers elle dans la seconde moitié du XXe siècle. Si le premier reste incontournable, celui-ci est totalement décevant. À part Christmas Again, un hommage au poète Bruce Wright, le reste est constitué de quatre albums de son quartette régulier, mais dont deux d’entre eux se voient grevés d’un quatuor à cordes dont les interventions, aussi médiocres que les arrangements, se révèlent désastreuses dans ce contexte. (Ph.E.)

Wayne Shorter – « 5 Original Albums »

JAZZ. BLUE NOTE 4711099 (UNIVERSAL). ****(*)

La politique éditoriale de Blue Note (nous parlons du label originel qui a existé entre 1939 et 1967, année où Alfred Lyon le vend) n’était pas exempt de bizarreries. Les enregistrements restés non publiés en sont l’exemple le plus courant. C’est le cas de deux des 5 CD proposés ici. The Soothsayer (8) (McCoy Tyner, piano, Freddie Hubbard, trompette) et Et Cetera (8) (James Spaulding, alto, Herbie Hancock, piano) qui datent de 1965, ont dû, en effet, attendre la fin des années 70 avant de connaître une première édition. S’ils n’égalent pas tout à fait les meilleurs albums Blue Note de Wayne Shorter, ils nous paraissent (notamment) supérieurs au dense Schizophrenia (1967) (7) (Spaulding, Hancock, Ron Carter, basse), repris ici -et cela même si le label avait déjà publié trois LP du saxophoniste cette année-là! Ce petit coffret contient aussi deux des chefs-d’oeuvre (pas toujours reconnus comme tels à l’époque) de Shorter que sont Night Dreamer (1964) (9) (Lee Morgan, trompette, Tony Williams, batterie), album qui inaugurait sa collaboration avec Blue Note et, bien sûr, Adam’s Apple (10) enregistré deux ans plus tard en quartette (Hancock, Reggie Workman, basse, Joe Chambers, batterie), merveille contenant la version originale de Footprints que popularisera un peu plus tard le quintette de Miles Davis. (Ph.E.)

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