Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#4): Aquaserge, Le Ton Mité, Bonobo, Vald…

McCloud Zicmuse (Le Ton Mité) © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Aquaserge et Le Ton Mité renouent avec la musique libertaire chérie par Marc Hollander, le boss de Crammed Discs qui publie leurs nouveaux albums. Dans cet article, également nos critiques des albums de The Proper Ornaments, Ty Segall, Julie Byrne, Gabriel Garzon-Montano, Bonobo, Vald, Vitalic et Little Slim.

Aquaserge – « Laisse ça être »

Le Ton Mité – « Passé composé futur conditionnel »

AVANT GARDE. DISTRIBUÉS PAR CRAMMED DISCS. ****

En intro, le chanteur d’Aquaserge: « Attends, laisse-moi…bon…bon ben…bon…ben bonjour. » Puis la délégation des cuivres pousse l’effort. « Déjà c’est mieux », grogne-t-il ensuite au funk rural qui roule sa bosse. « Faut que cela respire » et le morceau devient générique de l’ORTF 1968, voix aéroportées et remugles de sax, relançant une machine qui conclut ensuite les 5 minutes 37 façon jazz collégial repu. On est au cinquième titre de l’album d’Aquaserge et on a pigé les intentions de ce groupe français insulaire: se libérer du format chanson sans le renier et injecter une dose de jazz, d’acid-rock, de loufdingueries dans la tentation rock. Des références émergent, comme celle d’Albert Marcoeur « le Zappa français » qu’Aquaserge rejoint pour les textes un peu foutraques, un peu fâchés sur une société qui ne les enthousiasme pas. Euphémisme. Réinventant dans la carcasse de chaque morceau une grammaire où le son est un serpent à tête chercheuse se tortillant de plaisir, joyeux xylophones inclus. « Il y a une sorte de cousinage musical entre ce qu’ils font et la musique de mon groupe Aksak Maboul (et même celle des Tueurs de la lune de miel dans Tintin on est bien mon loulou, NDLR), des sources d’inspiration communes et un même goût des mélanges », explique Marc Hollander sur cette nouvelle signature rafraîchissante.

De l’autre recrutement, Hollander dit: « McCloud Zicmuse (l’âme de Le Ton Mité, NDLR) est un artiste hyper original, tout ce qu’il fait est à la fois drôle, poétique et surprenant, et son côté showman lunaire et extravagant ne doit pas masquer le fait qu’il est un compositeur et mélodiste délicat (…). Cet album a été « fait sur mesure » pour recueillir les impressions de McCloud durant et suite à son pèlerinage aux USA. » Américain installé en Europe, McCloud et son incarnation musicale, Le Ton Mité, circulent de fait dans un méandre de routes sans fin, un peu comme ces noeuds urbains qui donnent à Los Angeles vu du ciel l’apparence d’une planète complexe. Il le fait en pas moins de 50 plages de durée souvent minimale -de onze secondes à quatre minutes- en langue française ou anglaise additionnant les humeurs: pop, free, jazzy, nippone, pastorale, organique, zazou. Même si le disque est publié dans la collection de Crammed Discs Made To Measure, il n’en a pas l’habitude instrumentale: McCloud taille sa route de façon artisanale avec des paroles fruitées et un goût pour l’expérimental qui n’est pas factice. Désarmant, le disque l’est aussi pour sa capacité à susciter les émotions, nombreuses et versatiles, loin de tout conformisme. (Ph.C.)

The Proper Ornaments – « Foxhole »

POP. DISTRIBUÉ PAR TOUGH LOVE RECORDS. ****

LE 28/01 À LA MALTERIE (LILLE).

Coup de coeur en ce début d’année pour un disque pop et passéiste sorti sur le label Tough Love Records. Foxhole (traduisez par terrier de renard) est le troisième album des Proper Ornaments. Quatuor anglais marqué à l’acétate par la pop lumineuse des années 60, The Proper Ornaments est emmené par Max Oscarnold (TOY) et James Hoare (Veronica Falls, Ultimate Painting). Deux hommes qui se seraient selon la légende rencontrés dans un maga vintage alors que la petite amie du premier lui avait demandé de distraire le second pendant qu’elle piquait une paire de bottes. Lunettes de soleil, doigts de pied en éventail, éventuellement bords de piscine… Enregistré sur un vieux huit pistes, Foxhole sent le dimanche après-midi en Californie. La gueule de bois en peignoir, la tête dans le cul et les pieds dans l’eau. D’humeur relax, en mode « take it easy », The Proper Ornaments promène sur la terrasse son amour des Beatles et des Kinks, du Velvet, des Beach Boys et des Byrds. Baigne dans les mêmes ambiances que Real Estate et Ducktails, avec une touche britannique qui n’est pas sans rappeler Teenage Fanclub et Durutti Column. Rien de neuf sous le soleil. Exactement. Mais onze pop songs très joliment ciselées pour faire fuir les coups de blues et se sentir moins seul. Memories sonne comme du Harry Nilsson. Just a Dream semble avoir été envoyé de l’au-delà par Elliott Smith. Là où 1969 a le charme et la vibe molle du Beta Band. On ne pourrait rêver plus flatteuses influences. (J.B.)

Ty Segall – « Ty Segall »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR DRAG CITY/V2. ****

Aucun signe d’essoufflement. Après Emotional Mugger, disque hard glam sur lequel elle pétait des paillettes, et un album de Goggs, son supergroupe avec le chanteur d’Ex-Cult, la fourmi Ty Segall attaque 2017 avec la sortie de son dixième (ou pas loin) album studio. Intitulé Ty Segall, comme le tout premier de sa carrière, ce disque sonne le retour en forme du rockeur stakhanoviste. Et il s’y distingue dans toute sa diversité. Du très lourd (Break a Guitar), de l’urgent au refrain pop (Freedom), une envolée jazz (dans la pièce dantesque de plus de dix minutes Warm Hands), des ballades (Talkin ou le très Marc Bolan Orange Color Queen), une pépite (Papers) et du punk coupé en deux par des éclats de verre (Thank You Mr. K). Du Ty XXL. (J.B.)

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Julie Byrne – « Not Even Happiness »

FOLK. DISTRIBUÉ PAR KONKURRENT. ***(*)

« Follow my voice », murmure la fragile Julie Byrne en guise d’introduction à son deuxième album, le joli et délicat Not Even Happiness. On ne saurait donner meilleur conseil pour pénétrer l’univers bucolique et boisé de cette folkeuse nomade aujourd’hui basée à New York que de se laisser guider par ce timbre sincère et terriblement touchant, ces mots qu’on jurerait susurrés à notre oreille et qui nous emmènent au loin. Dans une Amérique qu’on aimerait aussi douce. Not Even Happiness donc ou neuf berceuses à s’écouter bien au chaud en regardant par la fenêtre entre du Alela Diane et du Vashti Bunyan. Plus propre et moins hanté que son prédécesseur Rooms with Walls and Windows certes. Mais d’une redoutable et sobre élégance. (J.B.)

Gabriel Garzon-Montano – « Jardin »

POP. DISTRIBUÉ PAR STONES THROW. ***(*)

EN CONCERT LE 19/02, À L’AB, BRUXELLES.

Voilà un disque qui fait du bien. Dès l’intro, tout en cordes lancinantes, le premier album de Gabriel Garzon-Montano fait la promesse d’une musique bienveillante et généreuse. Basé à Brooklyn, l’intéressé a notamment bénéficié d’un coup de pouce inattendu de Drake, via le sample de son morceau 6 8 par le rappeur (sur le titre Jungle). Le lien s’arrête cependant là. Même s’il a signé sur Stones Throw, label (en grande partie) hip hop, Garzon-Montano creuse plutôt une soul-pop sentimentale, louvoyant entre grooves déconstruits (Bombo Fabrica) et séquences funky (Crawl). Sensible sans être maniérée, la voix, elle, n’hésite jamais à s’épancher (Lullaby), participant pour beaucoup dans l’impression laissée par un disque qui ne cherche rien tant qu’à apaiser. Cultive ton jardin, qu’il disait… (L.H.)

Bonobo – « Migration »

ELECTRONICA. DISTRIBUÉ PAR NINJA TUNE/PIAS. ***(*)

EN CONCERT (COMPLET) LE 07/03, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

Quatre ans après le succès de The North Borders, Simon Green persiste et signe dans son electronica rêveuse, joliment mélancolique. Des voyages immobiles…

En cinq albums, Simon Green s’est contruit une discographie aussi cohérente que séduisante: une musique électronique downtempo, à la fois mélancolique et charnelle, combinant la chaleur de la pop et le goût de l’aventure du jazz, pas très loin du trip hop. Un groove chamallow qui a réussi à convaincre de plus en plus de monde. Black Sands, en 2010, avait fait le break. The North Borders, trois ans plus tard, a confirmé. Carton indé, le disque a emmené Bonobo dans une longue tournée mondiale, étalée sur une trentaine de pays, rassemblant quelque deux millions de spectateurs. Plus encore, c’est l’influence que Green exerce sur l’électronique qui est devenue prépondérante. Sans faire autant de bruit qu’un Diplo ou un Skrillex, mais avec un impact au moins équivalent. En témoigne le nombre de producteurs actuels qui citent le « modèle » Bonobo, en particulier sur la nouvelle scène française (de Fakear à Petit Biscuit).

Quatre ans après The North Borders, voici donc son sixième album. Il est intitulé Migration. Malgré son titre, ce n’est pas un manifeste politique à proprement parler. Et cela même si l’actualité semble si prégnante qu’il semble difficile d’y échapper et de ne pas se positionner. Discret, rare en interview, Simon Green préfère rester à hauteur de sentiment. S’il est question de migration, c’est de la sienne qui s’agit (l’errance des tournées, ou plus prosaïquement, son déménagement de l’Angleterre vers Los Angeles), ou celle de sa famille éclatée à travers le monde, et que seuls les deuils rassemblent encore. Avec en toile de fond la question clé: le foyer est-il l’endroit où l’on est, ou celui où l’on naît?…

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L’exemple le plus concret de nomadisme musical se trouve dans le titre Bambro Koyo Ganda, sur lequel figure le collectif Innov Gnawa, constitué d’expats marocains à New York. Ailleurs, le single Kerala -du nom de l’État du Sud de l’Inde- est introduit par ce qui ressemble à une kora africaine, avant d’être boosté par un sample de la chanteuse r’n’b Brandy. Comme pour mieux troubler les pistes, le morceau suivant, Ontario, change de continent, mais s’appuie sur des accords de sitar… Ailleurs, il est encore question de bruits d’ascenseur enregistrés dans l’aéroport d’Hong Kong, ou du son des hélices d’un bateau capté à La Nouvelle-Orléans. Largement instrumental, Migration laisse tout de même de la place pour la voix du Canadien Milosh, moitié de Rhye (enregistré dans un hôtel à Berlin), celle de l’Américaine Nicole Miglis (Hundred Waters), ou encore celle de l’Australien Nick Murphy (Chet Faker). Cosmopolite, on vous dit… S’il a la bougeotte, l’album reste très confortable. C’est son paradoxe: malgré la promesse du titre, Bonobo ne sort jamais vraiment de sa zone de confort, voyageant tout en faisant du surplace. À cet égard, Migration est à la fois le point d’orgue de sa discographie et une impasse. Un disque parfaitement exécuté (les huit minutes de bravoure de Outlier), sans que cette maîtrise n’étouffe toutefois les émotions.

Vald – « Agartha »

RAP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***(*)

EN CONCERT LE 18/03, À LA MADELEINE, BRUXELLES.

Après une série de mixtape (NQNT 1 & 2), et un « tube » déviant (Bonjour), Vald sort aujourd’hui ce qui est présenté comme son premier album officiel. Pas certain que cela ne change grand-chose pour le rappeur d’Aulnay-sous-Bois. Sinon de pouvoir pousser encore un peu plus loin le grand n’importe-quoi: horror rap (Totem), chanson d’amour (Je t’aime), vulgarités trash (Vitrine avec Damso), blague eurodance (Eurotrap) et autres délires potaches (Lezarman). Derrière l’ironie dépressive pour oreilles averties (« Gros, là, j’suis premier degré/J’ai raté ma vie si j’finis pas au trente-troisième »), Vald balance néanmoins quelque sentences bien senties (« La chatte de ta mère la Bretonne/est plus importante que celle de cent Maliennes »). Aussi épuisant et décousu que fascinant.

Vitalic – « Voyager »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR CAROLINE. ***

EN CONCERT LE 13/07, AU DOUR FESTIVAL.

Il a lâché ses premiers morceaux il y a près de 20 ans, a cartonné avec l’album OK Cowboy sorti en 2005. Vitalic, alias Pascal Arbez, est bien l’un des piliers « historiques » de la scène électronique française -dites French Touch. À cet égard, le temps passe, mais sa popularité semble intacte: le concert de cette semaine à l’AB a rapidement affiché complet. Il accompagnait la sortie de Voyager. Après les turpitudes techno de Rave Age, Vitalic revient ici à ses amours électro-disco-rétrofuturistes. Bourré de synthés eighties, Voyager cite aussi bien Moroder que Carpenter (El Viaje en ouverture), pioche du côté de la new wave (Sweet Cigarette) et se permet même une reprise de Supertramp (Don’t Leave Now). Sans surprise, mais avec le petit côté vicieux qui fait mouche.

Little Simz – « Stillness in Wonderland »

RAP. DISTRIBUÉ PAR AGE 101. ****

Petite séance de rattrapage. C’est qu’on s’en voudrait de passer sous silence le second album de Little Simz, sorti en décembre. Née Simbi Ajikawo, la rappeuse anglaise y prend en effet une nouvelle dimension. Le verbe fier, le flow consistant, Little Simz emprunte au récit d’Alice au pays des merveilles pour naviguer entre hip hop atmosphérique (LMPD, Bad To the Bone avec Bibi Bourelly) et groove jazzy (Doorways + Trust Issues). Un détour plus loin, elle se permet de zieuter encore vers la néo-soul (Shotgun, avec Syd) ou le r’n’b gouleyant (One In Rotation + Wide Awake avec SiR). Qu’au final, l’histoire de Lewis Carroll serve davantage de (mince) fil rouge que de véritable cadre narratif ne change pas grand-chose: Stillness in Wonderland est enthousiasmant de bout en bout.

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