Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#18): Mac DeMarco, Kasai Allstars, Juana Molina…

Mac DeMarco © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Désormais parti se dorer la pilule à Los Angeles, Mac DeMarco fait dans la sunshine pop sous Xanax. Chill, man… À lire également: nos critiques des albums de Juana Molina, Part Chimp, Kitchen People, Ho99o9, Kasai Allstars & Orchestre Symphonique Kimbanguiste, Joshua Abrams & Natural Information Society, Carl Craig et Actress.

Mac DeMarco – « This Old Dog »

Pop. Distribué par Captured Tracks/Konkurrent. ****

Le 17/08 au Pukkelpop (Hasselt) et le 11/11 à l’Aéronef (Lille).

Il a toujours eu l’air un peu à la masse, Mac DeMarco. Avec ses dents du bonheur, sa relax attitude, son humour potache et son allure débraillée. Il était déjà bien à l’Ouest. Le Canadien s’y est désormais installé. Quittant le Queens où il avait trouvé refuge pour ce soleil de Los Angeles qui lui va si bien au teint. La pop tranquille du Dude DeMarco, elle a ça dans le sang la plage, les barbecs au bord de la piscine, les grains de sable entre les doigts de pied et les cocktails bien tassés. Et ce n’est pas This Old Dog, son nouvel album, tout pépère, qui va y changer grand-chose. Ce disque, marqué de son propre aveu par James Taylor et Paul Simon, DeMarco l’a composé à la guitare acoustique (omniprésente) et l’a enregistré tout seul comme un grand. Seulement entouré de son pote Shags Chamberlain (Ariel Pink, Weyes Blood, The Avalanches…) pour le mixage.

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Il a juste l’air sympa comme ça, a priori, ce This Old Dog. Brossé dans le sens du poil. Pas méchant. Jamais mordant. Un peu anecdotique même. Mais c’est qu’on s’y attache. Marre du culte de la vitesse, de la course permanente contre la montre? Vous êtes au bon endroit. Mélodies ramollies, humeur take it easy, les chansons de DeMarco vivent au ralenti. Une espèce de manifeste de la slow life. Comme pour combattre le stress et revaloriser les vertus de la lenteur. Chez Mac, même les claviers, présents en masse, sont du genre fainéants et à la traîne. Et pour le coup, This Old Dog incite au farniente. L’ennui? Pas tant qu’une propension à se laisser aller. Micro-sieste avec un sourire niais et un petit filet de bave au coin des lèvres.

On sent l’influence de Jonathan Richman. Un petit côté Adam Green parfois. Le cousinage avec les bonnes vibes d’un Juan Wauters. Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, la musique de DeMarco rend la croisière moins chahutée. On ne peut plus chill, This Old Dog est le disque d’un dimanche en mode comatage dans le divan. Un album pour regarder ses plant(e)s pousser dans le jardin. À s’écouter au volant pour éviter les excès de vitesse. Mac fredonne tout en douceur les amours contrariées (One Another, Still Beating), met le sourire aux lèvres avec l’irrésistible Baby You’re Out et s’essaie avec Dreams From Yesterday aux couleurs chaloupées de la bossa-nova (il avait déjà tenté, dit-il, d’en enregistrer un album il y a quelques années)…

Le vilain garnement qui terrorisait tout le quartier de ses parents (il n’a pas écrit Freaking Out the Neighborhood par hasard) et se glissait les baguettes de son batteur dans des endroits inavouables semble pour l’instant avoir dressé le chien fou qui aboyait en lui. Ça ne devrait pas durer. (J.B.)

Juana Molina – « Halo »

Pop. Distribué par Crammed Discs. ****

Le 20/06 à De Roma (Anvers).

Ancienne vedette télé et humoriste argentine, fille d’une actrice et mannequin, Elva Chunchuna Villafane, et d’un chanteur de boléro et de tango répondant au doux prénom d’Horacio, Juana Molina nous a totalement envoûtés depuis la sortie en 2008 de l’étourdissant Un Dia sur le label Domino. Désormais signée chez les Belges de Crammed, la quinquagénaire de Buenos Aires s’enfonce dans la voie d’une pop expérimentale, électronique, libre et trafiquée. Elle n’en a pas rencontré le succès (en musique du moins) mais Juana l’exploratrice, c’est un peu la grande soeur sud-américaine de Björk et de Camille. Une drôle de sirène qui dans toute son étrangeté, avec son chant merveilleux et ses rythmes répétitifs, invite l’auditeur à s’échouer sur les écueils d’albums tournoyants. Dans une espèce de transe douce. D’élévation sonore et spirituelle. Molina, qui avait il y a quelques années participé à la grande aventure Tradi-Mods vs Rockers et travaillé avec les tradi-modernistes congolais, jongle ici avec les instruments et nous perd en espagnol dans le texte au milieu de ses incantations bizarres et guérisseuses. Parce qu’il y a une dimension rassurante dans ses mondes peu familiers. Étourdissantes, les chansons de Molina pénètrent lentement, insidieusement. Et se font parfois franchement entraînantes comme Cosoco, Cara de Espejo ou le jouette A00 B01 et ses sonorités de jeux vidéo. Si le monde était bien fait, le Halo de Juana serait de gloire. Une artiste à découvrir d’urgence si vous ne lui avez jamais laissé sa chance. (J.B.)

Part Chimp – « Iv »

Rock. Distribué par Rock Action. ****

Le 24/05 à Het Bos (Anvers) et le 15/10 au Trix (Anvers).

Huit ans après Thriller (rien à voir avec celui de Michael Jackson), cinq après leur séparation à l’amiable, les Londoniens écossais de Part Chimp étaient réapparus sur les routes l’an dernier pour une poignée de concerts sauvages et apocalyptiques. Voilà maintenant Tim Cedar et sa bande de bruyants énervés avec un nouvel album sous le bras. Disque encore une fois défendu par le label de Mogwai. Son lourd. Massif. Guitares furieuses et voix lointaine. Aucune fissure ne s’aventure dans l’immense mur du son. Noise, sludge, stoner, grunge (The Saturn Superstition) ou même post-rock (Rad Mallard)… Appelez ça comme vous voulez. Part Chimp vous crache à la gueule toute sa rage et son électricité. Décapant. (J.B.)

Kitchen People – « Trendoid »

Rock. Distribué par Oops Baby Records. ****

Quand tu rentres chez le graphiste et illustrateur Elzo Durt, même pour un petit quart d’heure, tu peux être sûr de ressortir en ayant découvert cinq groupes avec la furieuse envie de courir chez le disquaire. L’occasion, la dernière fois, de faire connaissance avec les magnifiques Australiens de Kitchen People. Originaire de Perth, masterisé par l’un de ses héros, en l’occurrence Mikey Young (Eddy Current Suppression Ring, Total Control), Kitchen People balance sur Trendoid douze brûlots nerveux et secoués. Douze hymnes teigneux et pleins de synthés qui auraient plu à Jay Reatard (Lost Sounds) et sonnent comme un super groupe formé par Devo et les Ramones. Mangez du kangourou, paraît que c’est bon pour la planète. (J.B.)

Ho99o9 – « United States of Horror »

Rock/rap. Distribué par Caroline. ***(*)

Le 19/08 au Pukkelpop (Hasselt).

L’heure de la révolution approche à grands pas et voilà la charge sonnée tout en testostérone par deux rappeurs afro-américains du New Jersey. « Your child will die because you let it happen. » « You are not born a racist. You are taught to be one. » Dans le livret de leur premier véritable album, le bien nommé United States of Horror, comme dans leurs clips aussi épileptiques qu’effrayants, theOGM et Eaddy évitent soigneusement la demi-mesure. Cousin de Death Grips et des Bad Brains, Ho99o9 rue dans les brancards, fonce au bélier dans une société gangrenée et éructe son malaise. Un hip-hop dur, sombre, énervé, violent, radical qui s’entrechoque avec un punk plutôt du genre hardcore. C’est pas facile à s’enquiller d’une traite mais ça fait du bien par où ça passe. (J.B.)

Kasai Allstars & Orchestre Symphonique Kimbanguiste – « Around Félicité »

World. Distribué par Crammed Discs. ****

La BO de Félicité fait danser entre la fiction musicale de Kasaï Allstars plus l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste, et l’âpre réalité de Kinshasa.

Nos albums de la semaine (#18): Mac DeMarco, Kasai Allstars, Juana Molina...
© DR

Précédé du Grand Prix du Jury à la Berlinale 2017, le long métrage du franco-sénégalais Alain Gomis, qui sort cette semaine en Belgique (voir l’interview et la critique), fait parler de lui pour son sens impressionnant du réalisme congolais. C’est-à-dire la capture de cette fameuse électricité kinoise croisant pauvreté endémique et plaisir acharné de vivre, comme si chaque jour était bien le dernier sur Terre. La trame du film est d’ailleurs inspirée de l’aventure vécue par la chanteuse de Kasai Allstars -formation kinoise qui rassemble des immigrés originaires de la province du Kasaï- Muambuyi, mise en demeure de trouver l’argent nécessaire pour soigner son fils, victime d’un accident de moto. Dans un pays où la sécurité sociale est un mirage intégral et la démerde, un sixième sens de survie obligatoire, Félicité est donc une course à la débrouille rythmée par la musique, carnet de bord qui colle à la peau du récit. C’est peu dire que ce double CD constitue aussi la vision sonore d’un synopsis au bord de la crise de nerfs: le producteur Vincent Kenis et le « séquenceur » Marc Hollander, ingé son et boss de la maison Crammed Discs, ont donc imaginé un premier disque composé de onze titres unis par des dialogues et sons ambient en lien direct avec la matière filmée. Et même si on ne pige pas un mot de lingala, on comprend vite que toute cette tension d’un Kinshasa saigné au quotidien ne s’échappe que par la seule porte autorisée, celle des musiques.

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Les titres du Kasai Allstars, à deux exceptions près datées de 2008, ont été composés pour le film sur la trame tradi-modern déjà connue où le likembe -ce « piano à pouce » artisanal électrifié- sonne plus que jamais comme l’ADN entre les guitares acides des années 60 et une forme de trance grigri intemporelle. Et c’est la force du contexte fictionnel rendu par le montage ambianceur: cette musique n’a jamais été portée d’aussi cinglante manière. Le travail sur le groove addictif de la RDC et les voix de Kasai Allstars qui expriment la fascination des Congolais pour le sacré amène aux trois morceaux signés par l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste. Cet ensemble rassemblant jusqu’à 200 chanteurs et musiciens amateurs interprète les compositions de l’Estonien Arvo Pärt, contemporain fameux lui aussi marqué par le mysticisme. Entre l’octogénaire nord-européen et le sang bouillant du Congo actuel, une grâce, indépendante des races et des cultures, irrigue ce qui ressemble à une formidable ligne d’espoir et de diffusion émotionnelle. Ce que tente de faire le second disque du projet, collection de dix remixs qui, pour faire vite, ne dépasse jamais l’intensité de la matière brute originale. (Ph.C.)

Joshua Abrams & Natural Information Society – « Simultonality »

Expérimental. Distribué par Eremite Records. ****

Bassiste à l’origine, Joshua Abrams s’active sur la scène musicale de Chicago depuis une quinzaine d’années. Il a monté pas mal de groupes et joué aux côtés de Tortoise, Damo Suzuki ou encore The Roots. Abrams s’accompagne aussi d’un guembri, sorte de luth à trois cordes originaire d’Afrique, dont les sonorités caractéristiques se font entendre ici, entre percus, orgue et autre autoharpe à l’oeuvre dans cinq compos voyageuses. C’est qu’il y a sur cet album totalement inclassable autant de free jazz (2128oe au déroulé « coltranien ») et de jazz à la trame répétitive (Maroon Dune) que de krautrock à la Can (Ophiuchus) ou d’orientalisme (St. Cloud). (D.S.)

Carl Craig – « Versus »

Électro. Distribué par Infine Music. ****

à l’origine, Versus est un concert donné en 2008 à la Cité de la Musique (Paris) par Carl Craig, Moritz von Oswald, le pianiste Francesco Tristano et François-Xavier Roth à la tête de l’orchestre Les Siècles. à voir sur YouTube… Tout comme son camarade Jeff Mills, l’autre wizard de la seconde vague techno de Detroit, Craig travaille alors sur la rencontre entre électronique et classique/contemporain. Neuf ans plus tard, voici, non pas le live, mais la plupart des mêmes titres encore retravaillés et toujours joués comme en 2008. Sandstorms et son intro wagnérienne l’attestent: le mélange donne une nouvelle dimension à la grande musique et une autre profondeur au chant des machines. (D.S.)

Actress – « AZD »

Électro. Distribué par Ninja Tune/PIAS. ***(*)

Au fil de ses albums -celui-ci est son cinquième-, on se dit que l’inspiration nourrissant Darren J. Cunningham échappe au commun des mortels. L’Anglais ne puise dans la house et la techno que les boucles, pas les montées vers le climax, et sur X22RME, Untitled 7 ou Fantasynth, les noie dans un brouillard de textures ou les parasite de touches abstraites. Quand il ne reprend pas à son compte l’afro-futurisme du défunt performeur new-yorkais Rammellzee (samplé sur CYN), c’est pour accoupler un extrait du Requiem de Gabriel Fauré au signal d’un modem 64k (Fauré in chrome). L’art d’Actress, dirigé par le matériel vintage qu’il accumule, est un jeu inventif et… frustrant! (D.S.)

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