Nos albums de la semaine (#17): Feist, Gorillaz, Mark Lanegan Band…

Feist © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Six ans après son dernier album, la Canadienne Feist revient avec Pleasure, disque aux accents folk dépouillés, et à la mélancolie lumineuse. À lire également: nos critiques des albums de Gorillaz, Mark Lanegan Band, Joe Goddard, Orval Carlos Sibelius, Let’s Get Swinging, Ella Fitzgerald, John Carter, Philémon et Alexi Tuomarila.

Feist – « Pleasure »

Pop. Distribué par Universal. ****

En concert le 14/08 au BSF, Bruxelles.

Il faut parfois l’absence pour réaliser à quel point certains artistes ont réussi à s’incruster dans la psyché collective. Feist, par exemple. Cela faisait six ans qu’elle n’avait pas réellement donné signe de vie. Mais il a suffi d’un seul single, Pleasure, pour retomber instantanément amoureux de sa voix. Pas besoin de teasing acharné, de coup marketing pétaradant: cette fois encore, la musique a suffi.

Feist a pourtant dépensé pas mal d’énergie à se faire oublier, depuis Metals, sorti en 2011. Déjà à ce moment-là, le disque pouvait donner l’impression de vouloir disparaître, peut-être effrayé de revivre le succès mastodonte de son prédécesseur The Reminder. En 2007, l’album en question avait enchaîné au moins trois tubes imparables, petites merveilles de pop alternative et sensible: My Moon My Man (boosté par le remix de Boys Noize), 1,2,3,4 (boosté par la publicité pour l’iPod nano) et I Feel It All. Dans la vidéo de ce dernier titre, Feist montrait notamment qu’une chanson pouvait être aussi simple, émouvante, et douce-amère qu’une course éperdue au milieu de feux d’artifice (habillé en pull marinière). Résultat: un vrai carton, best-seller, qui effraiera peut-être celle qui a commencé son parcours du côté indie-punk de la Force… En fait, même après être passée à autre chose, The Reminder a continué de poursuivre Feist, via la reprise aérienne de The Limit To Your Love par James Blake…

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Plus « abstrait » et méditatif, Metals avait ainsi cherché à botter en touche, fuyant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un tube potentiel. Mission réussie -même si Feist avait du mal à y planquer tout à fait son talent pour pondre des twists mélodiques capables de vous remuer le palpitant (The Bad In Each Other). Soit. Il fallait certainement ça, et quelques années encore en plus, pour retrouver une certaine sérénité et un certain sens du… plaisir.

Six ans plus tard, Pleasure sonne comme une déclaration d’intention. Un mantra censé guider celle qui a cru à un moment déserter la musique. Avec ce cinquième album, Feist retrouve ainsi le goût des choses simples. Compos folk décharnées, batterie discrète, bruit des doigts qui glissent sur les cordes de la guitare, comme, justement, sur Baby Be Simple ou I Wish I Didn’t Miss You qui sonne presque comme une démo. Plus loin, sur Get No High, Get No Low, on a presque l’impression d’entendre le vent souffler dans les rideaux… Pleasure n’est pas un album insulaire pour autant. Ici et là, la voix de Feist se fait collective. Sur A Man Is Not His Song, elle est par exemple rejointe par un choeur -avant de ponctuer le morceau par un bref sample des métalleux Mastodon (avec qui elle a déjà partagé auparavant un split single). Quant à Century, l’autre single de l’album, c’est Jarvis Cocker qui vient y ajouter son crooning distancié (« Those nights that never end/When you believe you’ll never see the sun rise again/When a single second feels like a century »). En soi, Pleasure ne chamboule pas fondamentalement l’univers de Feist. Mais avec ce nouveau disque, enregistré en trois mois à peine avec l’aide des habituels Mocky et Renaud Letang, elle retrouve une nouvelle fluidité. Un naturel même. En l’occurrence toujours aussi désarmant. (L.H.)

Gorillaz – « Humanz »

Pop. Distribué par EMI/Warner. ***(*)

En concert le 22/11 à Forest National, Bruxelles (début des préventes le 5/05 à 10h00).

Plus encore que ses deux prédécesseurs, l’album Plastic Beach avait montré en 2010 que Gorillaz n’était pas qu’une distraction. Lancé une décennie plus tôt, le cartoon band était autant une manière pour Damon Albarn de s’échapper de Blur, alors à la dérive, qu’un commentaire sarcastique sur l’état de la pop music, gangrenée notamment par les boys band artificiels de l’époque. Avec Plastic Beach, Albarn et son camarade Jamie Hewlett montraient cependant qu’ils étaient prêts à faire de Gorillaz une entité en soi. Y compris pour servir de véhicule à de préoccupations plus larges (écologiques dans ce cas-ci). Paradoxalement, c’est pourtant aussi à ce moment-là que le projet a failli capoter. Hewlett abandonnant le navire, Albarn ne donnait pas cher de la peau de Gorillaz. Finalement rabiboché, le duo n’a pas mis longtemps avant de ranimer la bête. L’actualité a fait le reste. Voyant Trump monter dans les sondages, Albarn a donné pour consigne à ses invités d’imaginer le scénario du pire: à quoi ressemblerait cette fameuse nuit, où tout bascule? Et de concevoir ainsi une sorte de disque « dance politique ». Façon Gorillaz évidemment. Plus que jamais, les participants se bousculent au portillon -de Grace Jones au rappeur Vince Staples, de Mavis Staples aux habitués De La Soul. Au risque de perdre le fil? Malgré le casting à rallonge, Gorillaz continue de sonner comme nul autre, avec cette manière assez unique de pratiquer la pop de biais. C’est sa force. Et, aussi par moments, sa limite. Sans que cela ne remette jamais vraiment en cause la pertinence du projet. Après tout, dans une époque où certains faits deviennent « alternatifs », un groupe virtuel comme Gorillaz a plus que jamais sa place… (L.H.)

>> (Re)lire notre interview fleuve de Damon Albarn.

Mark Lanegan Band – « Gargoyle »

Rock. Distribué par Heavenly Recordings. ***(*)

Le 29/06 à Rock Werchter.

Dinosaure de la scène rock ouest-américaine, Mark Lanegan enchaîne son quatrième album en cinq ans. Et c’est sans doute, depuis l’incontournable Bubblegum, ce qu’il a enregistré de plus convaincant. Dirigé par les claviers, nappé de touches électroniques et fomenté avec ses vieux comparses Josh Homme, Greg Dulli, Duke Garwood (en guests), le Britannique Rob Marshall et le producteur Alain Johannes, Gargoyle doit beaucoup à la qualité intrinsèque de ses chansons. Beehive a un petit côté The Jesus and Mary Chain. Emperor pourrait passer pour une reprise d’Iggy Pop. L’americana rencontre ici la sombre Angleterre des années 80. (J.B.)

Joe Goddard – « Electric Lines »

Pop. Distribué par Domino. ***(*)

Certains albums solo sonnent comme des tentatives de marquer son propre territoire, une manière de revendiquer une personnalité en dehors de son groupe de départ. Pour d’autres, ils ont surtout valeur de récréation, sans autre enjeu que d’assouvir ses propres fantasmes. C’est un peu le cas de Joe Goddard. Pour la seconde fois, il s’échappe de Hot Chip. Après Harvest Festival en 2009, Electric Lines est un nouvel exercice électro-pop-dance gourmand et décomplexé. Certes, l’un ou l’autre titre peut éventuellement se révéler anecdotique (Human Heart). Mais pour l’essentiel, le plaisir avec lequel Goddard jongle avec ses références disco-house favorites (l’excellent single Home) est hautement communicatif. (L.H.)

Orval Carlos Sibelius – « Ordre et progrès »

Distribué par Born Bad. ***

Artisan, avec Forever Pavot notamment, d’un vrai psychédélisme hexagonal, Orval Carlos Sibelius, qui nous avait bluffés en 2013 avec son album Super Forma, s’était ensuite attelé, entre grondements souterrains et éruptions volcaniques, à mettre en musique un film (Les Rendez-vous du diable) du géologue Haroun Tazieff. Axel Monneau (Poptones, Centenaire, Kimmo) nous revient avec un disque, Ordre et progrès, à nouveau marqué par les arrangements luxuriants des Beach Boys et de The Left Banke mais cette fois entièrement chanté en français. Soigné, débridé et rêveur certes. Mais ce n’est, malheureusement pour le Parisien, pas sa langue maternelle qui lui va le mieux au teint. (J.B.)

Divers – « Let’s Get Swinging: Modern Jazz In Belgium 1950-1970 »

Jazz. Distribué par Sdban. ****

Une double compilation pioche dans les grands noms du jazz belge des fifties-sixties. Résultat: une sélection qui donne des fourmis dans les jambes.

Nos albums de la semaine (#17): Feist, Gorillaz, Mark Lanegan Band...

Voilà une compilation qui tombe à point. Quitte à fêter cette année les 100 ans du jazz, autant en profiter en effet pour jeter un coup d’oeil à la manière dont on a pu le pratiquer par ici. Ce n’est pas un scoop: très tôt, le jazz américain a su trouver son chemin jusqu’en Belgique, parmi les premiers pays sur le Vieux Continent à s’intéresser au nouvel idiome musical afro-américain.

En courant sur une double décennie, Let’s Get Swinging tape large. Concoctée par le label Sdban, la sélection suit néanmoins une certaine logique. Elle est raccord avec le catalogue maison. Lancée par le DJ Stefaan Vandenberghe, l’enseigne s’est donné en effet pour première mission de creuser une histoire du groove à la belge. Après avoir par exemple sorti une première anthologie baptisée Funky Chicken, remis en selle l’organiste André Brasseur, ou, plus récemment, mis à l’honneur la carrière éclectique de René Costy, Sdban propose ici une toute première sélection purement jazz. Où l’objectif n’est pas tellement d’être exhaustif, ni représentatif. Mais bien de mettre l’accent sur la piste de danse, cherchant moins à faire plaisir aux spécialistes pointus -qui tiqueront probablement devant l’intitulé de la compilation- qu’aux amateurs de be bop/hard bop/cool juteux.

Orienté, Let’s Get Swinging pioche néanmoins dans la production de tous les cadors belges de l’époque. Hormis Toots, déjà largement célébré par ailleurs, ils sont à peu près tous là, à commencer par l’Anversois Jack Sels, qui jouera aux côtés de Dizzy Gillespie, et qui ouvre ici le feu avec le tribal African Dance (avant de réapparaître notamment plus tard avec Lucky Thompson). à Liège, c’est un autre Jacques, Peltzer, qui allume l’incendie, apparaissant à trois reprises (dont le standard Work Song, signé Oscar Brown Jr, repris entre autres par Nina Simone, et qui servira au Sing Sing de Nougaro).

Ces musiciens sont les héros d’une époque où le jazz devait batailler pour se faire entendre. Après la guerre, le virus swing que les big bands avaient contribué à répandre laisse en effet place à une autre esthétique. à New York, des formations plus modestes ont pris le relais, en proposant une nouvelle manière de jouer le jazz: plus libre, plus spontanée, plus virtuose aussi. Une partie du public lâche prise. La plupart des musiciens belges, fans de la révolution menée par Charlie Parker, Thelonious Monk ou encore Miles Davis, devront d’ailleurs partir bosser ailleurs, en France, en Angleterre ou directement aux états-Unis. C’est le cas par exemple du guitariste René Thomas ou du saxophoniste-flutiste Bobby Jaspar. On les retrouve côte à côte sur le morceau Bernie’s Taste, virée hard bop, tirée de leur effort commun From Rome To Comblain, sorti en 1962. Ailleurs, on retrouve encore Pol Sadi Lallemand, Francy Boland, un tout jeune Philip Catherine, ou même l’Américain Jon Eardley, exilé en Europe dès 1963, qui décédera du côté de Verviers en 1991.

De quoi réussir une compilation assez irrésistible dans le genre, qui montre que, si la Belgique n’a pas inventé la mèche jazz, elle a toujours très bien su comment l’allumer. (L.H.)

Ella Fitzgerald – « Ella 100 (100 Hundred Songs For A Centennial) »

Jazz. Verve 452075 (Universal). ****(*)

Ella, indiscutablement, l’avait. La voix, le sens du swing, l’art du scat, la reconnaissance des plus grands (Duke Ellington, Louis Armstrong, Count Basie) et une carrière qui s’est étendue sur six décennies. Disparue à 79 ans, il y a un peu plus de dix ans, Ella Fitzgerald fait ses débuts professionnels dans l’orchestre de Chick Webb en 1934 (à l’âge de 17 ans) après s’être fait remarquer à l’Apollo Theater lors d’un radio-crochet. Elle reprendra la direction de la formation à la mort de son mentor en 1939 avant d’entamer une carrière de soliste dans les années suivantes où sa popularité lui vaudra le surnom de The First Lady of Jazz. Elle ne prendra pourtant toute sa dimension qu’après sa rencontre avec Norman Granz, un impresario et producteur possédant son propre label (Verve) qui l’aidera à étoffer un répertoire dominé jusque-là par la ballade -son plus grand succès était alors une comptine enfantine, A-Tisket, A-Tasket. Cette anthologie en 100 chansons (et quatre disques) court de 1936 à 1966 et couvre la partie majeure de son répertoire. Malgré une enfance difficile, Ella a toujours été le côté solaire d’une pièce dont l’autre face était occupée par Billie Holiday. Toute comparaison entre elles est d’ailleurs sans fondement, tellement Ella Fitzgerald était l’incarnation d’un swing étranger au blues de Lady Day. (PH.E.)

John Carter/Bobby Bradford Quartet – « Self Determination Music »

Jazz. Flying Dutchman Jazz ClassicsCDGP 286 (Ace Records). ****

Le passage du vinyle au CD a longtemps condamné d’innombrables albums à la disparition pure et simple. C’est ce dont a souffert le second disque du quartette de John Carter/Bobby Bradford publié en 1969 par Flying Dutchman. Ressuscitée en 2015, cette perle permet de réentendre Carter à l’alto (qu’il abandonnera bientôt pour la seule clarinette) et de (re)découvrir combien l’influence d’Ornette Coleman sur le jazz créatif des années 60 et 70 a eu une ampleur comparable à celle de Miles ou de Trane. Bobby Bradford (qui succéda à Don Cherry chez Coleman) est en tous points à la hauteur de son partenaire sur les quatre titres d’une musique on ne peut plus déterminée (à prendre dans tous les sens du terme). Bref, incontournable. (PH.E.)

Philémon, le chien qui ne voulait pas grandir

Jazz. Suite 002 (www.suitethelabel.com). ****

Non, Les Chroniques de l’inutile n’est pas le nouveau nom du groupe Philémon, Le Chien Qui Ne Voulait Pas Grandir comme nous l’avions écrit de façon erronée dans une critique récente. Les deux formations (sept musiciens pour la première, six pour la seconde) ne possèdent, du moins si l’on se réfère à ces seuls disques, qu’un seul point commun: le guitariste Benjamin Sauzereau présent sur l’un comme sur l’autre. Et pourtant, malgré une instrumentation bien différente (ni basse ni batterie dans la seconde), il existe un air de famille entre elles même si Philémon est tourné vers une musique de chambre impressionniste (composée de sept titres de Sauzereau ou du saxophoniste soprano Matthieu Robert) dominée par les cordes. Délectable. (PH.E.)

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Alexi Tuomarila – « Kingdom »

Jazz. Edition EDN1090. ***

Disponible début mai, le nouvel opus du plus belge des pianistes finlandais est une production des Anglais d’Edition Records. Une forme de consécration pour Alexi Tuomarila, même si le disque se révèle très décevant. En effet, les compositions (signées par le pianiste ou ses partenaires, le bassiste Mats Eilertsen et le batteur Olavi Louhivuori) ne sont guère emballantes et, c’est le moins que l’on puisse dire, singulièrement desservies par la performance de la section rythmique. Si les solos de Tuomarila accrochent parfois l’oreille (cf. The Times They Are A-Changin’), ils n’en manquent pas moins, dans l’ensemble, de spontanéité et d’une véritable inventivité. (PH.E.)

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