Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#16): Les Amazones d’Afrique, Joakim, Lamomali…

Les Amazones d'Afrique © Tiago Augusto
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Avec République Amazone, les plus grandes chanteuses d’Afrique de l’Ouest unissent leurs voix pour défendre les femmes et lutter contre les violences qui leur sont faites. À lire également, nos critiques des albums de Lamomali (M/Toumani Diabate), Orchestra Baobab, Noa Moon, The Black Angels, Joakim, Clark, Joey Bada$$ et Arca.

Les Amazones d’Afrique – « République Amazone »

WORLD. DISTRIBUÉ PAR REAL WORLD. ***(*)

Leur nom fait écho aux femmes combattantes, ces véritables guerrières, du royaume de Dahomey (dans l’actuel Bénin). Un corps de régiment au statut semi-sacré fondé au XVIIIe siècle et constitué de filles d’esclaves affranchies et entrées dans le harem du roi. Il y eut aussi celles de Guinée, un ancien orchestre de femmes militaires créé en 1961 à Conakry. Les Amazones, cette fois, se proclament d’Afrique et forment une dansante coalition de chanteuses militantes. En musique, elles veulent sensibiliser à la condition de la femme sur le continent africain. Promouvoir ses droits. Lutter contre les violences qui lui sont faites… Ces Amazones, qui sortent leur premier album sur Real World, le label musiques du monde de Peter Gabriel, sont le premier supergroupe féminin d’Afrique de l’Ouest. Imaginé par l’agence de production et de management 3D Family, le projet est d’abord une histoire de live et de lutte. De lutte pour « la liberté d’être femme, d’être musicienne, en Afrique et ailleurs« .

Entité mouvante, le collectif de divas ouest-africaines a beaucoup évolué au fil des concerts. Ses contours se redessinant en fonction des disponibilités de chacune. Oumou Sangaré s’est effacée pour se consacrer à son nouvel album personnel. Là où Mariam Doumbia (la moitié d’Amadou) ne participe qu’à un seul titre du disque. République Amazone est avant tout porté par les voix maliennes de Mamani Keita (ancienne chanteuse de Salif), de la jeune Rokia Koné et de la griotte et joueuse de kora parfois surnommée « la dangereuse » (à cause de l’emprise de sa voix) Kandia Kouyaté. Leurs voix mais aussi énormément la production de Doctor L alias Liam Farrell. L’ancien batteur de Taxi Girl, des Wampas et des Rita Mitsouko qui avait fomenté avec une partie du Staff Benda Bilili l’électrisant projet Mbongwana Star.

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Chanté en anglais, en bambara, en fon et en français, République Amazone s’ouvre sur le titre le plus excitant de l’album. Le « congotronien » Dombolo emmené par Angélique Kidjo. Soul, funk, dub, hip et trip-hop ou plus traditionnelle (mais toujours moderniste), l’ambiance ensuite est changeante, permet de croiser le timbre de la Nigériane Nneka et de Massan Coulibaly. Engagées jusqu’au bout de leurs ongles vernis, les Amazones d’Afrique ont créé une campagne de financement participatif sur la plateforme Generosity et reversent l’entièreté des bénéfices de leur single (I Play the Kora) à la Fondation du docteur Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes (celles victimes de violences sexuelles) au centre d’un documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman. « Nos maux et nos peines sont nos armes, et nous les femmes voulons les partager avec vous », chantent-elles tout en précisant que c’est l’une d’entre elle, Ellen Johnson Sirleaf, qui dirige aujourd’hui le Liberia. Girl power… (J.B.)

Lamomali – « Lamomali »

MUSIQUES DU MONDE. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***(*)

LE 30/06 À COULEUR CAFÉ.

Matthieu Chedid/M découvre physiquement l’Afrique en 2006, collabore ensuite avec Amadou et Mariam et dédie en 2009 l’un des titres de son Mister Mystère au Mali. Pays où la rencontre avec Toumani Diabaté, il y a maintenant une décennie, va alimenter le désir d’un album pleinement africain, concrétisé par Lamomali, qui vaut davantage que son jeu de mots. Le disque se présente sous forme d’un trio de base composé par M avec Toumani Diabaté et son fils Sidiki, maîtres de la kora, instrument cristallin et colonne vertébrale de l’aventure. Les onze titres évitent le simple parfumage exotique ou la réception de Nouvel An qui accueille avec bienveillance nos frères du Continent Noir. Sans pour autant éviter de refaire du M africanisé (Bal de Bamako) ou un mish-mash d’invités plus ou moins récurrents -la brillante Fatoumata Diawara en est- parfois rajouté en multipistes peu utile (L’Âme au Mali). L’entreprise va plus loin que le plaisir funky lorsque M questionne sa propre intimité, évoquant alors un Yves Simon aux merveilles du Sahel (Manitoumani, Une âme). Laissant l’album trouver son meilleur dans Le Bonheur: pas avec l’écueil d’un message universel divin bien cliché mais loin des schismes Nord/ Sud, lorsque la musique s’embarque dans un méta-opéra de synthèse. D’une culture européenne rejoignant son antique cousine black en un gospel baroque proche de l’innovation, en tout cas spirituelle. (PH.C.)

Orchestra Baobab – « Tribute to Ndiouga Dieng »

WORLD. DISTRIBUÉ PAR WORLD CIRCUIT/V2. ***(*)

LE 05/05 AU DEPOT (LOUVAIN).

Créé il y a pratiquement 50 ans par les musiciens d’une boîte de nuit populaire de la médina à Dakar et composé par de multiples ethnies présentes dans la société sénégalaise, Orchestra Baobab brasse les sonorités africaines et cubaines. Hommage à Ndiouga Dieng, l’un de ses chanteurs décédé l’an passé, son nouvel album, le premier en dix ans, signe le rajeunissement des cadres. Le fils du défunt, Alpha, chante les titres de son papa. L’Orchestra s’offre un jeune guitariste béninois. Rythmes chaloupés, cuivres exotiques. C’est en wolof ici qu’on danse la rumba et apprécie le cha-cha-cha… (J.B.)

Noa Moon – « Azurite »

POP. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ***(*)

LE 15/05 AUX NUITS BOTANIQUE, LE 24/05 AU REFLEKTOR ET LE 22/07 AUX FRANCOS.

Paru en 2013, le premier album de Noa Moon perpétue en format long son succès Paradise, sans vraiment y parvenir, peut-être pour cause de variété pop internationale à la Selah Sue déjà vue et entendue. Le second essai est-il plus personnel? En prenant davantage la mesure électropop -la bio cite entre autres James Blake-, la jeune Belge de 26 ans choisit une voie qui va plutôt bien à ses chansons, même si le duo de producteurs, Daniel Offerman (Girls In Hawaii) et Nicolas Quere, reste prudemment sur les rails. N’empêche, dans le feeling afro de Let It Shine, le dépouillement viscéral de Found Me ou le folk maraudeur de My City/Just a Song, l’intimité est là. Chantée à la première personne avec ses éventuels fantômes de l’âge adulte, incluant les pensées sombres et le reste. (PH.C.)

The Black Angels – « Death Song »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR PARTISAN/PIAS. ***

LE 19/09 À L’ANCIENNE BELGIQUE ET LE 30/09 AU LUXOR (COLOGNE).

Le revival psychédélique doit quand même pas mal à Alex Maas et à sa bande. Pour la musique des Black Angels et les disques enfumés qu’ils enchaînent depuis plus de dix ans maintenant. Mais aussi pour la mode des Psych Fest qu’ils ont lancée en 2008, depuis leur Texas natal… Enregistré entre Austin et Seattle, produit par Phil Ek (Father John Misty, The Shins, Fleet Foxes), leur nouvel album, avec son titre clin d’oeil au Velvet Underground (ils ont piqué son nom à sa chanson The Black Angels Death Song), démarre sur les chapeaux de roue (Currency, I’d Kill for Her) avant de rentrer méchamment dans le rang (I Dreamt excepté). Poussières d’anges. (J.B.)

Joakim – « Samurai »

ÉLECTRO. DISTRIBUÉ PAR TIGERSUSHI. ***(*)

Exilé à New York, le Français Joakim sort un nouvel album d’électronique sentimentale, marquée par la pop japonaise des années 80. Exotica d’école…

Joakim
Joakim© DR

Depuis le départ, Joakim occupe une place toute particulière sur la scène électronique française. Pas complètement à la marge, non, mais toujours un peu à part, à l’écart des grandes tendances. Jamais « hot », mais toujours « in ». Ou quelque chose dans le genre.

Sans doute est-ce dû à sa tendance à multiplier les décrochages, adorant jongler entre ses différentes casquettes, ses multiples activités et les genres. Tenant d’un éclectisme musical érudit, Joakim Bouaziz a toujours aimé varier les plaisirs, passant de la house au krautrock, ou de la new wave au disco, à la manière d’un cousin éloigné du label new-yorkais DFA. Il a d’ailleurs lui-même lancé son label, baptisé Tigersushi, auquel il a imprimé un même goût pour la diversité: on y retrouve aussi bien les rockeurs décadents de Poni Hoax que l’electronica de Principles of Geometry. Si l’on ajoute encore à son CV son boulot de producteur (il a réalisé le dernier album des Belges de Montevideo), ses remix, les musiques originales qu’il a composées pour le monde de la mode (Chanel, Balenciaga, etc.), ou encore sa collaboration avec l’artiste contemporaine Camille Henrot (la bande-son de la vidéo Grosse fatigue, en 2013), on comprendra que l’homme reste rarement longtemps au même endroit. Parfois, au sens littéral du terme. Il y a cinq ans, Joakim a en effet déménagé aux Etats-Unis, s’installant à New York.

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Après Tropics of Love en 2014, Samurai est donc son second album « américain ». Même si dans les faits, il est surtout marqué la pop électronique japonaise. C’est le principal fil rouge d’une suite de rêveries synthétiques cotonneuses, fortement influencées par les années 80. Un peu comme si Joakim se baladait à travers les rues et les avenues de Manhattan, tout en écoutant Ryuichi Sakamoto et le Yellow Magic Orchestra (Green Echo Mecha, Mind Bent ou encore Time Is Wrong et sa voix tremblante, comme plongée dans l’eau). Dans le genre, un titre comme Late Night NewCity est exemplaire: introduit par le bruit d’une rame de métro qui démarre, il commence par rebondir mollement sur une basse slapée, avant de faire de la place pour un piano à la Style Council et un saxo qui dégouline, plus eighties que ça, tu meurs -sans que cela ne passe pour une posture ironique. Cela ne veut pas dire que tout ici n’est que rondeur: Jocho, par exemple, avance en claudiquant, ballotté par les bruits de cloche, improvisant une ballade angoissée.

En cela, le trip n’est jamais monotone. Entre plan soft rock et synthés new wave, séquence funky naïve (Exile) et mélodie pop flottante (Numb), le résultat est à la fois confortable et complètement décontenançant. Au final, ce n’est peut-être pas ce que Joakim a fait de plus tranchant. Attachant, Samurai n’en reste pas moins son effort le plus cohérent, voire le plus consistant. (L.H.)

Clark – « Death Peak »

TECHNO. DISTRIBUÉ PAR WARP. ****

Anglais basé à Berlin, Chris Clark enchaîne les sorties avec une cadence soutenue, et ce depuis le début des années 2000. En 2014, un septième album éponyme lui apportait une nouvelle reconnaissance. Malgré cela, il faut bien avouer qu’il reste encore largement ignoré du grand public. Signé pourtant sur Warp, il ne bénéficie pas toujours de la même visibilité que ses camarades de label. Death Peak est pourtant une nouvelle preuve de sa maestria techno. Avec un goût toujours appuyé pour les humeurs sombres. Mais cette fois-ci, en simplifiant la démarche, allant plus vite à l’essentiel, ouvrant même ses charges électroniques à des éléments vocaux, à l’image de Butterfly Prowler, hymne rave aussi simple qu’irrésistible. (L.H.)

Joey Bada$$ – « All-Amerikkkan Bada$$ »

RAP. DISTRIBUÉ PAR PRO ERA. ***(*)

À l’heure où vous lirez ces lignes, il y a de fortes chances que vous soyez en train d’écouter en boucle le Damn de Kendrick Lamar. Ne serait-ce que pour vous faire une idée sur l’une des sorties les plus attendues de l’année (on en reparle dès la semaine prochaine), trustant les médias au point d’effacer toutes les autres. À ce propos, il serait dommage que les amateurs passent à côté du second véritable album de Joey Bada$$. Fidèle à son esthétique nineties, mais le propos désormais plus franchement politisé (le triple K du titre, clin d’oeil au Amerikkka’s Most Wanted d’Ice Cube), le jeune New-Yorkais réussit un disque concis, peut-être pas spectaculaire, mais foutrement attachant, gagnant en épaisseur au fil des morceaux. (L.H.)

Arca – « Arca »

AMBIENT. DISTRIBUÉ PAR XL RECORDINGS. ***(*)

Adoubé dès le départ par des têtes brûlées de la pop, telles Björk, FKA Twigs ou Kanye West, Arca n’a eu aucun mal à se retrouver propulsé au sommet d’une certaine hype arty. Dès lors, le producteur vénézuélien, Alejandro Ghersi de son vrai nom, n’aura de cesse pourtant de brouiller les pistes, poussant toujours plus loin les expérimentations. C’était surtout vrai de son deuxième album, intitulé très justement Mutant, aussi fascinant que repoussant. Deux ans plus tard, Arca revient avec un disque éponyme, qui baisse un peu la garde, laissant davantage de place aux émotions. Entre climats indus plombés et chants sacrés (Anoche), il donne à ses aventures électroniques une nouvelle dimension, toujours aussi déroutantes (Castration), mais moins rugueuses. (L.H.)

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