Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#15): Rays, Dave Davies & Russ Davies, Jamiroquai…

Rays © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Rays, quatre rockeurs d’Oakland, jeunes mais pas trop, s’offrent un premier album branleur pour les fans de Parquet Courts et des Modern Lovers. À lire également, nos critiques des albums de Jamiroquai, Andrew Combs, The Courtneys, Wire, Dave Davies & Russ Davies, Bill Evans Trio, LABtrio, John Abercrombie Quartet et Dexter Gordon.

Rays – « Rays »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR TROUBLE IN MIND/KONKURRENT. ****

Ils sentent le kangourou et goûtent la Foster’s. Les rockeurs dégingandés de Rays ne viennent pourtant pas d’Australie. Mais d’Oakland, le vilain petit canard de la baie de San Francisco. La petite soeur asociale et dangereuse qui a longtemps affiché l’un des taux de criminalité les plus élevés du pays et où sont nés aussi bien les Black Panthers que les marches de protestation contre la guerre du Viêtnam. MC Hammer que Raphael Saadiq et Neurosis. Rays, dont il s’agit du premier album, fait dans un rock plutôt urbain, bancal, à la fois nerveux et détendu du slip. Plus vraiment des gamins, Stanley Martinez, Eva Hannan, Troy Hewitt et Alexa Pantalone ont usé leurs culottes sur les bancs underground de la scène locale au sein d’obscures formations garage et (post-)punk avec des noms d’adolescents rebelles genre Violent Change (« Changement violent »), Life Stinks (« La vie pue ») et Dadfag (demandez à votre père)…

Enregistré à San Francisco, à l’Electric Duck studio, en avril 2016, par l’artisan Kelley Stoltz (Thee Oh Sees, The Fresh & Onlys), cet esprit déglingué qui dans une autre vie triait les lettres des fans de Jeff Buckley, puis mixé et masterisé par Mikey Young de Total Control et des géniaux Eddy Current Suppression Ring, Rays est une épatante carte de visite. Une impeccable collection de tubes qui ne le seront sans doute jamais. Des hymnes électriques, bordéliques et nonchalants qui nous rappellent pourquoi on donnerait un rein (avec un seul, on s’en sortirait encore très bien) pour avoir vécu à New York dans les années 70. À l’ère du proto punk. Avant la première mort des Modern Lovers et avant que Jerry Harrison s’en aille exercer ses talents avec les Talking Heads.

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Les quatre Californiens de Rays sont donc un peu les Parquet Courts de la côte Ouest. Ils connaissent leur Jonathan Richman (et les claviers qui vont avec) sur le bout des doigts, ont beaucoup écouté le Velvet Underground, Television et les Buzzcocks, Wire, Pere Ubu et The Fall. Puis, ils ont aussi étudié le son du rock néo-zélandais et du catalogue Flying Nun. Secoué, bringuebalant, désarticulé, Rays joue dans la même cour que UV Race. Celle des sales gosses qui brossaient l’école, faisaient jamais leurs devoirs et fumaient des pétards dans les toilettes à la récréation. En onze morceaux qui franchissent rarement la barre des trois minutes (les plus courts sont souvent les meilleurs), Rays se montre tour à tour turbulent (Back Downtown, Drop Dead, Made of Shadows), glandouilleur (Attic, Over and Over) et joueur (Gambler). Après l’impeccable Chew de Paperhead, le label Trouble in Mind dégaine déjà son deuxième Top 10 de l’année. Un disque de beautiful losers pour célébrer l’éclatante victoire des perdants. (J.B.)

Jamiroquai – Automaton

POP. DISTRIBUÉ PAR VIRGIN/EMI. ***(*)

On ne peut pas dire que sa dernière sortie avait fait forte impression. En 2010, Rock Dust Light Star voyait Jamiroquai bégayer son acid-jazz grand public, sans grande inspiration, comme dépassé par les événements. Un disque poussif, somme toute. Certes, sous sa toque en fourrure, Jay Kay, leader et figure de proue du groupe, n’avait jamais prétendu révolutionner le cours du groove. Dix-sept ans après l’emblématique carton d’Emergency on Planet Earth, il semblait cependant avoir à peu près tout dit. Au point d’ailleurs de disparaître des écrans.

Sept ans plus tard, Jamiroquai est pourtant bel et bien de retour. Et, surprise, le groupe a retrouvé la forme. Malgré des premiers visuels sci-fi fluo et un titre d’album pas forcément engageants, la machine pop-soul-funk-house-disco a retrouvé des couleurs. Un titre comme Superfresh, par exemple, est aussi attendu qu’irrésistible, tandis que Dr Buzz semble ranimer la flamme acid-jazz des débuts. Jamiroquai balance une vibration funky-soul, comme seuls les Anglais en sont capables, tout à la fois élégante, référencée et ultra-efficace. Par ailleurs, le personnage de Jay Kay a beau à nouveau fanfaronner, il a cette fois davantage de raisons de le faire. Sans doute parce que l’époque a elle aussi changé. Titillé à ses débuts pour son revivalisme, critiqué pour piocher un peu trop lourdement dans un certain groove vintage (Stevie Wonder, sors de ce corps), Jamiroquai annonçait en fait la rétromania des années 2000. À l’époque où des Bruno Mars ou The Weeknd cartonnent en pillant l’héritage de Michael Jackson, le groupe anglais se pose ainsi aujourd’hui presque en précurseur. Appelez ça l’ironie de l’Histoire… (L.H.)

Andrew Combs – « Canyons of my Mind »

COUNTRY-FOLK. DISTRIBUÉ V2 RECORDS. ***(*)

Country-folk plutôt qu’americana? Parce que les références évidentes de ce troisième album du jeune texan installé à Nashville ramènent davantage aux seventies de Glen Campbell, Al Stewart, Jim Croce qu’aux émanations contemporaines à la Bon Iver. Peu importe la porosité des étiquettes, Combs marque surtout par son écriture de chansons immédiates, voire carrément somptueuses comme Dirty Rain ou Lauralee où des cordes appellent au compagnonnage naturel de la narration. Les arrangements soignés et la fluidité de l’album ne l’empêchent pas d’accrocher la question environnementaliste et, dans l’électrique Bourgeois King, de frapper à la porte des politiciens sans vergogne, ceux de l’actuelle ère trumpiste. (PH.C.)

The Courtneys – « II »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR FLYING NUN. ***(*)

Non, le leader des Dandy Warhols ne s’est pas acoquiné avec la veuve de Kurt Cobain et la nouvelle icône au féminin du rock australien. N’en déplaise à Taylor-Taylor, Love et Barnett, les Courtneys sont un trio de Vancouver. Un trio qui aime la power pop, le rock néo-zélandais des années 90 (il est signé sur le label kiwi Flying Nun), les mélodies à la Teenage Fan Club et l’esprit slacker de Pavement. Avec un sens de la chanson catchy et une humeur gentiment grungy. Les Courtneys n’ont pas inventé le fil à couper le shit mais signent un disque à la fraîcheur girly et juvénile parfait pour accompagner les premiers barbecues, faire du skate au soleil et pleurer sur ce qu’est devenu MTV… (J.B.)

Wire – « Silver/Lead »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR PINKFLAG. ***(*)

LE 13/05 À L’AB (AVEC RAIME, DANS DANS, BLANCK MASS…)

Quarante ans après la sortie de Pink Flag, son premier album, Wire est toujours sur les rails. Pas ceux pépères de la SNCB. Plutôt ceux, accidentés, de montagnes russes post-punk, dévalant l’Histoire du rock au rythme de ses aspirations et revirements. Avec des hauts et des bas, certes, mais aussi le sens de l’évolution et une intransigeance permanente. Silver/Lead, le quinzième album environ de Colin Newman et de sa bande, questionne le progrès et notre capacité à avancer. On croit parfois entendre le Bowie berlinois et Diamonds in Cups fait un clin d’oeil à T-Rex. La tension punk abrasive des débuts n’est plus. La dissonance non plus. Mais du direct et gentiment enlevé Short Elevated Period au tout calme Sleep on the Wing, Wire garde la tête haute et le fil de ses idées. (J.B.)

Dave Davies & Russ Davies – « Open Road »

DISTRIBUÉ PAR V2 RECORDS. ****

Quand un rescapé mythique des sixties s’associe avec l’un de ses fils, les ballades spleen et quelques shots de rock dessinent une nouvelle grâce.

Russ Davies et Dave Davies
Russ Davies et Dave Davies© DR

Le scepticisme quasi-légendaire d’un rédacteur de Focus à l’évocation d’une page dédiée à un album de Dave Davies et de son fiston est significatif. De fait, Davies -70 ans depuis peu- ne semble guère plus avoir d’existence musicale consistante en 2017. Pilier fondateur des Kinks avec son frère aîné et ennemi favori Ray, Dave a toujours été redevable à ce dernier, leader et compositeur d’un groupe séparé de facto depuis 1996. La science du riff lourd incarnant une bonne part de la saga Kinks fut pourtant le fait du guitariste Dave, inventant dès 1964 le punk avec You Really Got Me. Parallèle à un chemin de croix perso marqué par alcool, drogues et womanisation, la carrière solo peu éclatante de Dave ne produira qu’un seul tube majeur, Death of a Clown, en 1967…

En surplus des doutes et faillites multiples, la vie dissolue du cadet -viré de l’école à quinze ans pour cause de coucherie- bascule lorsqu’une attaque cérébrale, à l’été 2004, le frappe durement. Mais on n’enterre pas si facilement la vieille Albion: revenu des humiliations de l’AVC, Dave Davies a depuis lors enregistré une paire d’albums, même si c’est plutôt dans l’indifférence commerciale. Dont, en 2010, un disque électropop avec Russ Davies, l’un de ses six fils, sous le nom de The Aschere Project.

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Open Road affirme, lui, un format chanson rock défini dès le premier morceau, Path Is Long: évoquant un temps qui galope désormais mais aussi la jouissance qui peut encore venir, emballée en refrain optimiste, « Life is beautiful« . Ce qui dope cette carte sentimentale, c’est moins la patine des souvenirs exhumés que la dimension déchirante de la voix et de la mélodie. Parfois entendu chez les Kinks, Dave chante comme si c’était le dernier tour de table auquel il conviait, sans pudeur, tous ceux qu’il a pu croiser. Y compris ses fantômes de gamin entassé dans la petite maison ouvrière de Muswell Hill avec ses six soeurs aînées et le bientôt fameux frangin Ray.

La grâce du disque est là, dans Don’t Wanna Grow Up ou le merveilleux Forgiveness, ballades semblant avoir toujours préexisté à la tristesse et aux échecs, nourris de cette mélancolique grandeur anglaise qui bien après les années 60 réapparaîtra chez Blur et même l’irritant Peter Doherty. D’autant que l’élégance de la majorité des morceaux s’appuie sur des guitares qui saignent encore (Kings of Diamonds) mais aussi ces claviers et cordes soumis à ce qui incarne autant un rock majeur qu’un début de fatal requiem. (PH.C.)

Bill Evans Trio – « On a Monday Evening (Live) »

JAZZ. FANTASY 019713 (CONCORD/ UNIVERSAL). ****(*)

La discographie de Bill Evans n’a cessé de grossir depuis son décès en 1980, s’enrichissant régulièrement d’inédits en provenance des États-Unis mais aussi d’Europe et du Japon. La dernière découverte en date (critiquée dans ces colonnes) remontait à l’automne dernier avec des sessions de 1968 enregistrées en studio et que le patrimonial Resonance a exhumé des archives du défunt label MPS. On a Monday Evening qui lui succède a, pour sa part, été capté huit ans plus tard en compagnie de son avant-dernier trio (Eddie Gómez, contrebasse, Eliot Zigmund, batterie), lors d’un concert donné à l’université du Wisconsin. L’enregistrement, d’une qualité déjà remarquable à l’origine, a été superbement restauré et seuls les applaudissements entre les morceaux nous rappellent qu’il n’a pas été réalisé en studio. La performance du trio est d’un bout à l’autre à la hauteur de sa beauté sonore, les trois musiciens y délivrant quelques magnifiques versions des « tubes » favoris du pianiste, en tête desquels l’on trouve Time Remembered, le plus rare Minha (All Mine) et All of You. Dans les notes de pochette signées par Ashley Kahn, Eddie Gómez rappelle combien les trios d’Evans étaient extraordinairement « démocratiques » en ce qu’ils permettaient à chacun de s’y exprimer avec une liberté complète. Indispensable, bien entendu. (PH. E.)

LABtrio – « Nature City »

JAZZ. OUT NOTE RECORDS OTN624 (OUTHERE). ****

Alors que ses membres ont tous moins de 30 ans, LABtrio fête avec cet album les dix ans de leur association. Pas étonnant dès lors que Bram De Looze (piano et Fender Rhodes), Anneleen Boehme (basse) et Lander Gyselinck (batterie) font montre, dans les trois improvisations libres (inventives et d’une grande maîtrise) que contient parmi ses neuf titres Nature City, d’un rapport quasi télépathique. Pour autant, les sommets de l’album se trouvent ailleurs, dans le double hommage fait à Bach (une Variation et une Fugue arrangées par le trio) et dans deux des trois compositions du batteur (Inside Now et Mental Floss) qui tous illustrent à la perfection la philosophie chambriste de l’album et président avec talent à son indiscutable réussite. (PH. E.)

John Abercrombie Quartet – « Up and Coming »

JAZZ. ECM 2528 (NEW ART INTERNATIONAL). ***(*)

John Abercrombie, sous son nom et à de rares exceptions près, aura fait toute sa carrière sur ECM. De tous les musiciens ayant défini l’esthétique sonore du label, le guitariste est sans doute celui dont la trajectoire est restée la plus fidèle au dessein des origines. Up and Coming ressemble, à ce titre, à ses disques précédents. Il faut en effet percer le glacis d’une musique qui semble n’être que de surface avant de pouvoir apprécier les huit titres que nous propose le quartette du guitariste (Marc Copland, piano; Drew Gress, basse; Joey Barron, batterie) et que résume parfaitement Nardis (Miles Davis), qu’il faut, au-delà de la mélodie, éplucher comme un fruit pour qu’il exhale enfin ses multiples parfums. (PH. E.)

Dexter Gordon – « Dexter Blows Hot & Cool »

BOPLICITY REMASTERED CDOPM (ACE RECORDS). ***(*)

Remastérisé par le label londonien Boplicity et désormais distribué en Belgique, Dexter Blows Hot & Cool, enregistré en 1955, est une des rares éclaircies dans le désert de drogue, d’alcool et de prison que fut la vie, durant cette décennie, d’un saxophoniste connu à cette époque pour son association avec un autre ténor nommé Wardell Gray. Originaire de Los Angeles, Dexter, entouré par de solides pointures West Coast (Carl Perkins, Leroy Vinnegar, Chuck Thompson et, épisodiquement, le trompettiste Jim Robinson), offre avec sa première véritable session hard bop alternant titres vifs et tendres ballades dans lesquels sa sonorité pleine et ronde (que canoniseront ses albums Blue Note encore à venir) fait déjà merveille. (PH. E.)

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