Critique | Musique

Nos albums de la semaine (#1): J. Cole, The Wave Pictures, Kid Cudi…

J. Cole © Neilson Barnard
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Sur son quatrième album, le rappeur J. Cole trouve le bon équilibre entre propos intimes et récit plus politique. Comme une ode à la fragilité dans un monde de brutes. À lire également, nos critiques des albums de The Wave Pictures, Jay Som, Kid Cudi, Miramar, Jimmy Giuffre Trio, Joe Henderson, Dexter Gordon, Herbie Hancock et Nasheet Waits Equality.

J. Cole – « 4 Your Eyez Only »

HIP HOP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ****

Juste avant de passer le cap du nouvel an, le webzine Pitchfork publiait une amusante note de remerciement à tous ces artistes qui n’avaient pas publié de disques en 2016. Marquée par la mort de plusieurs icônes (de Bowie à Prince), l’année a en effet enchaîné les sorties événementielles à un rythme soutenu: Beyoncé, Kanye West, Radiohead, Frank Ocean, Bon Iver, Rihanna, James Blake… Même le mois de décembre, traditionnellement plus calme, a continué d’accoucher de son lot d’albums. A l’instar du nouvel album de J. Cole, 4 Your Eyez Only. Celui-ci arrive quasi deux ans jour pour jour après le précédent, 2014 Forest Hills Drive. Le titre de ce troisième album renvoyait à l’adresse de la maison dans laquelle Jermaine Cole (1985) a grandi, du côté de Fayetteville, en Caroline du Nord. Rachetée en 2014, il en a fait un lieu d’accueil pour mères célibataires. Un geste qui en dit long sur la démarche du rappeur, qui semble avoir trouvé sa voie en mêlant propos intimistes et vision plus politique. 4 Your Eyez Only, son nouvel album, confirme la tendance. Mieux: il l’accentue.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Sur le morceau Neighbors, il précise: « Non, je ne veux pas prendre de photo avec le Président, je voudrais juste causer avec l’homme« , pour lui expliquer ce qui se passe dans la rue, et ce qu’est être Noir en Amérique. Un exemple? « I guess the neighbors think I’m sellin’ dope« , explique le rappeur. L’anecdote est authentique: en mars 2016, un escadron spécial (SWAT) de la police a effectué une descente sur la maison que J. Cole avait transformée en studio -les voisins avaient cru y voir un laboratoire clandestin où venaient se fournir les dealers… « Well, I think police is at the door« … Juste avant, sur Change, il évoque le sort d’un certain James McMillan, un ancien pote, voyou repenti, tué par balle à l’âge de 22 ans. Le nom est un pseudo, mais les faits sont bien réels. Sur le site Rap Genius, on apprend même que l’album entier s’appuie dessus: les yeux dont parle le titre de l’album, par exemple, sont ceux de la fille qu’a eue l’ami disparu. Le morceau éponyme qui termine l’album lui est même directement adressé (« Play this tape for my daughter and let her know my life is on it« ).

Evidemment, il y a un revers au « rap conscient ». Au rejet de toute superficialité bling-bling, correspond un prêchi-prêcha trop souvent moralisateur. C’est la règle, et J. Cole n’y a pas toujours échappé (le récent single False Prophets). Sur 4 Your Eyez Only, le rappeur réussit pourtant à trouver le bon équilibre. Notamment, parce qu’il cherche à coller au plus près d’une certaine réalité, sans s’en dédouaner. Musicalement chatoyant, 4 Your Eyez Only est aussi une grande mise à nu, une recherche de sincérité rarement entendue dans le hip hop, trop souvent embarrassé par ses poses macho. Ici, J. Cole évoque sa femme (She’s Mine, Pt. 1), là sa fille (She’s Mine, Pt. 2). Sur Foldin Clothes, il envisage le fait de plier le linge et en fait une déclaration d’amour. Regarder Netflix dans le divan, manger des céréales et boire du lait d’amande au petit déjeuner… « It’s the simple things« , insiste J. Cole. Cette fois, la police ne viendra pas frapper à la porte… (L.H.)

Miramar – « Dedication To Sylvia Rexach »

LATIN SOUND. DISTRIBUÉ PAR N.E.W.S. ****

Apparu en Espagne au XVIIIe siècle, le bolero chamboule Cuba il y a un peu plus de cent ans: de là, il va essaimer au Mexique puis dans toute l’Amérique latine, comme un tango qui aurait définitivement snobé le bandonéon. L’instrument-roi du genre est le piano dont les éclats ponctuent un style charnel dressé sur des codes théâtraux, où la lenteur semble être une seconde peau d’oeillades intimes. Ce parfum fort est au coeur du premier album de Miramar, sextet américain mené par le chanteur-instrumentiste portoricain Rei Alvarez, la claviériste d’origine chilienne Marlysse Simmons-Argandoña et Laura Ann Singh, native du Tennessee longtemps interprète de bossa nova au Brésil. Accompagnés de cordes et de percussions, ils plongent dans le répertoire de Sylvia Rexach, compositrice portoricaine au destin éphémère (1922-1961). Ses chansons -sept des dix titres du disque- portent l’élégance fataliste des histoires tournant forcément mal: Alma Adentro raconte un accident mortel, Di Corazón un incident de coeur tout aussi radical. Sur cette veine sentimentale se couchent les voix calées au-delà du langoureux alors que les violons testent la tristesse naturelle des claviers pour un somptueux voyage placé hors du temps. Pour les amateurs de mélo contemporain qui auraient essoré leurs disques de Cesária Évora ou de Paolo Conte. Voire les fans d’André Brasseur en quête d’orgue ultime (Por Siempre). (Ph.C.)

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

The Wave Pictures – « Bamboo Diner in the Rain »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR MOSHI MOSHI. ***(*)

Quand y en a plus, y en a encore… Les albums avec les Wave Pictures, c’est un peu comme le produit vaisselle dans les bouteilles en plastique de Paic. Genre bonne surprise de dernière minute. Après A Season in Hull en février, les Anglais célébraient fin d’année le blues primitif et le rock des origines le temps de Bamboo Diner in the Rain. Seizième disque studio (ou un truc du style) qui sent bon l’Amérique et ses bayous, le live et les solos de guitare. Un banjo par-ci, un vieil orgue par-là… Au son des boules de billard (Pool Hall), les trois Wave Pictures luttent contre la « robot music apocalypse« , traversent les Etats-Unis en toute décontraction et signent une reprise de H.D. Rider, emprunté à leurs grands potes d’Herman Dune. Pas leur meilleure plaque mais comme toujours un gage de qualité. (J.B.)

Jay Som – « Turn Into »

POP. DISTRIBUÉ PAR POLYVINYL. ***(*)

« Je veux aller quelque part où il pleut 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et écouter Unlimited Touch en boucle pour le reste de ma vie. » Voilà le genre de commentaire amouraché que récolte Jay Som sur Bandcamp. Jay Som ou la jeune Melina Duterte. Singer, songwriter et multi-instrumentiste californienne de 22 ans venue des rues bariolées de San Francisco. « Collection de chansons, finies ou pas, écrites, enregistrées et mixées entre mars 2014 et octobre 2015 » (chansons dans un premier temps postées sur le Net par la demoiselle après avoir bu un peu trop de vin à Thanksgiving), Turn Into est la porte d’entrée parfaite pour la pop de chambre, chaude, rêveuse, lo-fi et brumeuse d’une artiste prometteuse dont le premier véritable album est attendu pour 2017. Best Wishes. (J.B.)

Kid Cudi – « Passion, Pain & Demon Slayin' »

HIP HOP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***

Il n’a jamais été évident de suivre Kid Cudi. Connu du grand public pour le remix électro de son Day ‘n’ Nite, le rappeur a surtout passé son temps à multiplier les impasses (à l’instar du précédent essai « indie-rock », Speedin’ Bullet 2 Heaven). Visiblement doué pour l’autosabotage, Scott Mescudi n’a jamais caché non plus ses tourments intérieurs. Tout juste sorti d’une cure pour cause de dépression, il revient aujourd’hui à des ambiances plus plombées. S’il a ses moments (Frequency, Distant Fantasies), l’album Passion, Pain & Demon Slayin’ se montre également maladroit (Releaser), et surtout bien trop long (près de 90 minutes) que pour vraiment passionner. On peut saluer l’audace et la liberté artistique. Dommage que Cudi n’en fasse pas toujours meilleur usage… (L.H.)

Jimmy Giuffre Trio (with Paul Bley & Steve Swallow) – « Bremen & Stuttgart 1961 »

JAZZ. EMANEM 5208 (www.emanemdisc.com) *****

Réédition de deux concerts donnés en Allemagne en 1961 par le trio de Jimmy Giuffre dans un (double) CD augmenté de six inédits (et deux bonus).

Paul Bley, Jimmy Giuffre et Steve Swallow.
Paul Bley, Jimmy Giuffre et Steve Swallow.© DR

Clarinettiste, saxophoniste soprano, ténor et baryton doublé d’un compositeur et d’un arrangeur de big band (The Woody Herman’s Second Herd dont il fit partie de la section de saxophones et pour lequel il composa The Four Brothers) comme de petites formations (le quintette du trompettiste Shorty Rogers), Jimmy Giuffre est à la fois une des grande figures du cool des années 50 façon West Coast, l’inventeur d’une forme de folk jazz anticipant de trois décennies la world music à venir et, parallèlement au Modern Jazz Quartet, l’un des initiateurs du third stream, courant qui voulait marier le jazz et la musique classique en introduisant le contre-point et la fugue dans l’idiome afro-américain. Enfin, il est l’un des tout premiers musiciens de jazz à diriger de petites formations sans percussions ni (parfois) piano.

Nos albums de la semaine (#1): J. Cole, The Wave Pictures, Kid Cudi...

La plus stupéfiante des contributions de Giuffre à son art reste toutefois, dès 1960, sa plongée tête la première dans le free jazz qu’il va tirer vers l’atonalité et l’introspection avec le plus original de ses trios sans batterie. Secondé par deux jeunes musiciens qui laisseront eux-mêmes une marque indélébile dans l’histoire du jazz (le déjà expérimenté pianiste canadien Paul Bley et le contrebassiste Steve Swallow), Giuffre va publier trois splendides albums sur les labels Verve (Fusion puis Thesis, réédités en 1992 par ECM dans un double album intitulé 1961, soit l’année de leur parution) et Columbia (Free Fall, 1962) dans lesquels le leader joue uniquement de la clarinette. Malheureusement, l’insuccès d’une aventure trop en avance sur son temps provoquera leur séparation l’année de la sortie de leur dernier disque. Par la suite, la carrière de Giuffre périclitera l’amenant à abandonner la scène pour l’enseignement. Même s’il enregistre à nouveau au début des années 70, il lui faudra attendre la fin de la décennie suivante pour que soient reconnues, à leur juste valeur, ses expérimentations avant-gardistes et qu’il puisse, avec ses partenaires originaux, ressusciter l’historique combo.

Mais avant de se dissoudre, le trio effectuera en 1961 une tournée européenne dont deux concerts ont été captés par les radios régionales allemandes. C’est cette matière précieuse que contient le double album publié par Emanem (et qui succède à une première édition, baptisée Flight & Emphasis et désormais épuisée, sortie sur hatOLOGY en 2003). Cette nouvelle parution n’est toutefois pas identique à la précitée puisqu’elle rétablit la totalité des introductions de Giuffre lors des concerts et ajoute, dans le premier CD, trois titres (Jesus Maria, Carla et Venture) et, dans le second, trois duos piano/ basse (Ba-lue Bolivar Ba-Lues Are, I Can’t Get Started, Compassion For P.B.), tous inédits et tous issus du concert donné à Brême, que complètent à la fin du second CD deux titres qu’ECM avait laissé de côté dans 1961, Trudgin’ et Use To Be, le premier restauré grâce à un habile montage. (Ph.E.)

Dexter Gordon – « 5 Original Albums »

JAZZ. BLUE NOTE 4711088 (Universal) ****

Nos albums de la semaine (#1): J. Cole, The Wave Pictures, Kid Cudi...

La renaissance discographique de Dexter Gordon fut l’oeuvre d’Alfred Lyon. Le grand ténor bop longtemps perdu dans l’alcool et autres substances revint ainsi sur le devant de la scène au début des années 60 en enregistrant une série d’albums incontournables. Si Go et An American In Paris (considérés comme les meilleurs) manquent à l’appel, il n’y a rien à jeter dans les Blue Note de Gordon dont on mettra particulièrement en avant Doin’ Allright (1961), Dexter Calling (1961) avec Philly Joe Jones et A Swingin’Affair (1964). One Flight Up (1964), enregistré au Danemark où il vivait, tente de coller à l’avant-garde alors que Gettin’Around (1965) est un retour au hard bop enregistré lors d’une tournée aux Etats-Unis. (Ph.E.)

Herbie Hancock – « 5 Original Albums »

JAZZ. BLUE NOTE 4711102 (Universal) ***(*)

Nos albums de la semaine (#1): J. Cole, The Wave Pictures, Kid Cudi...

Herbie Hancock a tout juste 22 ans lorsqu’il commence à enregistrer pour Blue Note, en 1962. Ses deux chefs-d’oeuvre (Empyrean Isles et Maiden Voyage) n’étant pas repris dans ce coffret, nous distinguerons surtout, parmi les cinq autres, Takin’Off (1962) et son hit Watermelon Man sur lequel Freddy Hubbard s’en donne à coeur joie, Inventions & Dimensions (1963) entièrement improvisé en compagnie de trois percussionnistes et Speak Like Child (1968) où figurent Riot and Sorcerer, titres créés par le quintette de Miles. Quant à My Point of View (1963) et The Prisonner (1969), ce dernier avec onze musiciens et Herbie au piano électrique, ils constituent un peu les parents pauvres d’un début de carrière (discographique) remarquable. (Ph.E.)

Nasheet Waits Equality – « Between Nothingness and Infinity »

JAZZ. LABORIE JAZZ 23. ****

Batteur et fils de batteur, Nasheet Waits a développé un style à la polyrythmie cultivée, notamment, aux côtés de Jason Moran ou Peter Brötzmann. Avec Between Nothingness And Infinity (titre emprunté à Frantz Fanon), il se situe à la lisière du free pour son meilleur disque à ce jour via des compositions personnelles (comme Korean Bounce, Kush ou le morceau-titre de l’album) et des reprises signées par des figures tutélaires nommées Andrew Hill (Snake Hips Waltz), Charlie Parker (Koko) ou Sam Rivers (deux version d’Unity). Soulignons aussi que le quartette réuni ici se voit littéralement transcendé par chaque intervention de son altiste, le trop négligé Darius Jones. Bref, un CD incontournable pour tout amateur de Great Black Music. (Ph.E.)

Joe Henderson – « 5 Originals Albums »

JAZZ. BLUE NOTE 4711100 (Universal). ****

Nos albums de la semaine (#1): J. Cole, The Wave Pictures, Kid Cudi...

En 1963, apparaît sur le label Blue Note un saxophoniste ténor qui ne connaîtra jamais une reconnaissance à la hauteur de son talent. La faute à l’époque qui voit simultanément le retour au premier plan de quelques anciens (Dexter Gordon, Stan Getz), la confirmation des poids moyens (Johnny Griffin, Hank Mobley), l’avènement d’une nouvelle génération (Charles Lloyd, Wayne Shorter, Pharoah Sanders, Sam Rivers), les coups d’éclats et les coups de blues d’un colosse (Sonny Rollins), l’explosion d’un géant (John Coltrane) et une déflagration venue d’Europe (Peter Brötzmann). Mais aussi à celle d’un musicien qui se laissa porter par les évènements plus qu’il n’influa sur ceux-ci. Les cinq CD de ce coffret mélangent l’excellent et le meilleur. L’excellent, ce sont les albums The State of The Tenor 1&2 qui annonçaient en 1985 le retour au premier plan d’un saxophoniste capté au Village Vanguard en trio (Ron Carter, basse, Al Foster, batterie), un format qui mettait en valeur sa science harmonique et sa belle sonorité. Le meilleur, ce sont ses classiques des sixties dont les formidables Our Thing (avec Kenny Dorham et Andrew Hill), In ‘n Out (Dorham, McCoy Tyner, Elvin Jones) et, surtout, le chef-d’oeuvre qu’est Inner Urge (McCoy, Elvin) où il délivre dès l’ouverture d’El Barrio l’un de ses plus saisissants solos. (Ph.E.)

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content