Nevermind: recettes pour un album culte

Relativement épargné par les sorties commémorative, Nirvana voit son Nevermind réédité en grandes pompes. Un disque toujours culte, 20 ans après sa sortie.

On peut le prendre dans tous les sens: 2 décennies après son apparition, le Nevermind de Nirvana reste un album intouchable. Il a beau venir d’une autre époque, sa déflagration reste intacte. Un moment clé dans l’histoire du rock, qui bénéficiera le 26 septembre prochain d’une conséquente réédition. Comment le cri primal d’un trio de jeunes slackers en est-il arrivé là? Rappel des faits et tentative d’explication de ce qui fait un album culte…

1. LE MOMENT

Faut voir le décor. Les années 80 plombées par le triomphe du fric, des yuppies, et du néoconservatisme, à la sauce Reagan d’un côté, Thatcher de l’autre. On ne combat plus pour des idées -le Mur de Berlin est tombé-, mais pour du pétrole: en janvier 91, l’opération Tempête du désert est lancée. Dans les hit-parades, c’est zone sinistrée, pop frelatée à tous les étages avec, comme seule caution rock, les guignolades de Guns’N’Roses. En un titre, Smells Like Teen Spirit, Nirvana fera exploser tout ça.

2. LE SINGLE

Si Nevermind a eu un tel impact, c’est surtout grâce à ses qualités intrinsèques. Soit le mélange d’agressivité punk, de pesanteurs hardcore et d’instantanéité pop. Le meilleur exemple en est le single Smells Like Teen Spirit. Tout est là: la rage, la mélodie et le clip emblématique, à la fin duquel les figurants, déchaînés après 11 heures de tournage, mettent à sac tout le dispositif. Au départ, MTV balance la vidéo après minuit, dans l’émission 120 Minutes, avant de la rapatrier en journée: le succès peut se transformer en phénomène.

3. L’EMBALLEMENT MÉDIATIQUE

En 91, Internet n’a pas encore balkanisé le paysage médiatique. Après les premières bonnes critiques, la machine s’emballe rapidement. En couverture du Rolling Stone magazine, Cobain joue la provoc’, vêtu d’un t-shirt sur lequel est écrit « corporate magazines still suck ». Trop tard, Nirvana est avalé par la bête. Au mois de janvier 1992, Nevermind atteint la première place des hit-parades américains, détrônant symboliquement le Dangerous de Michael Jackson…

4. LE MOUVEMENT

Nirvana n’est pas isolé. Dès le départ, il est associé à la scène grunge, dont il devient très vite la tête de gondole. Evidemment, rien de tel pour pousser le marketing d’un groupe qu’une étiquette bien déterminée. Pour autant, le terme, si vague soit-il, n’est pas qu’une invention de journalistes. Il décrit bien le développement qu’a suivi le punk américain qui, longtemps reclus, retrouve une nouvelle vigueur.

5. L’ICÔNE GÉNÉRATIONNELLE

Coup de pied dans le ronron de l’époque, le Nevermind de Nirvana deviendra aussi le symbole pratique pour décrire une génération paumée. La fameuse génération X étouffée par les babyboomers (leurs parents), qui ont trahi les idéaux libertaires des sixties pour s’assurer leur petit confort personnel. Figure christique et tourmentée, Cobain est parfait pour enfiler la tenue du martyr de la cause, réinjectant dans le rock le dégoût du punk. Dégoût du main-stream et de l’esprit petit bourgeois. Dégoût de soi-même aussi, quand il verra Nirvana incorporé au « système ». « Cobain, explique Benoît Sabatier, dans Nous sommes jeunes, nous sommes fiers, a compris qu’en ce début des années 90, l’amateur de rock n’est plus un allié. Aimer le rock dans les sixties, c’était participer à la libération de la jeunesse. Acheter du rock en 1991 ne signifie plus rien. Ce n’est pas une libération, c’est un conformisme. Le rock plaît désormais à toutes les générations, les ados et leurs parents. » Certes, Nevermind est bien une révolution -les maisons de disque découvrent que le rock « alternatif » peut vendre. Mais c’est aussi la dernière…

6. LA MUSÉIFICATION

Avec le temps, le culte autour de Nirvana n’a jamais vraiment faibli. Au contraire. Sa place au panthéon du rock n’a jamais semblé aussi fermement assurée. En 2005, la Bibliothèque du Congrès américain a intégré Nevermind à son National Recording Registry, rassemblant les enregistrements les plus significatifs, culturellement, historiquement ou esthétiquement, du XXe siècle. Début de l’année, c’est l’Experience Music Project, ensemble muséal rock érigé à Seattle, qui a consacré une exposition à Nirvana, sous-titrée: Taking punk to the masses. Comme quoi, Nirvana a beau avoir passé son temps à exploser son matériel sur scène, il en restera toujours des bribes à mettre sous vitrine…

Laurent Hoebrechts

NIRVANA, NEVERMIND 20TH ANNIVERSARY EDITION. DIST: UNIVERSAL. SORTIE: 26/09.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content