Critique | Musique

Muhal Richard Abrams, le père fondateur

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Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

JAZZ | Un coffret consacré à Muhal Richard Abrams vient nous rappeler que le créateur de l’AACM reste l’un des musiciens clés de l’histoire du jazz…

MUHAL RICHARD ABRAMS, THE COMPLETE REMASTERED RECORDINGS ON BLACK SAINT AND SOUL NOTE, CAMJAZZ BXS 1021/ 8 CD (HARMONIA MUNDI) *****

Né en 1930 à Chicago, Muhal Richard Abrams y fonde, en 1965, avec les membres de son groupe, l’Experimental Band (Jordie Christian, Steve McCall, Phil Cochran), l’Association for the Advancement of Creative Musicians, connu sous l’acronyme AACM, une coopérative qui réunira musiciens jeunes et moins jeunes passionnés par le free jazz naissant. L’association a pour but de fédérer les énergies, de faire connaître le travail de ses membres et de les aider à développer de la façon la plus créative possible leur musique. L’AACM a également le désir de revivifier les racines africaines du jazz tout en y incorporant les modes de composition de la musique savante européenne comme l’atonalité, la polytonalité et le sérialisme. Les membres les plus connus de la première génération se nomment Roscoe Mitchell, Lester Bowie, Joseph Jarman, Malachi Favor (les quatre formeront l’Art Ensemble), Fred Anderson, Anthony Braxton, Henry Threadgill, Leroy Jenkins et Leo Smith. Ils populariseront, sous le terme de Great Black Music, un art musical qui se révèlera très différent d’un artiste à l’autre. Pour sa part, bien qu’ayant étudié au Chicago Musical College, Muhal Richard Abrams est, de fait, un pianiste et compositeur autodidacte. Il débute sa carrière dans les années 50 en accompagnant les grands noms du hard bop de Chicago (Gene Amons, Johnny Griffin, Clifford Jordan) ou les musiciens de passage (Dexter Gordon, Max Roach, Zoot Sims, Sonny Rollins). Pourtant, si Abrams sort son premier disque en 1967 (Levels and Degrees of Light, Delmark), il lui faudra attendre le mitan des années 70 avant de se produire en Europe.

Muhal Richard Abrams commence à enregistrer en 1976 pour Black Saint, label italien fondé l’année précédente et dont il deviendra l’artiste le plus prolifique avec quinze albums. Le pianiste (et pionnier du synthétiseur) devra toutefois patienter jusqu’en 1979 avant de pouvoir assembler les formations étendues qu’il affectionne. Du septette de Spihumonesty (1979) et Think All, Focus One (1994) aux orchestres de 15 et de 18 musiciens de Blu Blu Blu (1989, l’un des chefs-d’oeuvre absolus du pianiste) et de The Heringa Suite (1989), en passant par l’octette de View From Within (1984, l’autre chef-d’oeuvre absolu) et le tentette de Mamma And Daddy (1980), pour ne citer que la crème des huit disques de ce coffret, tous témoignent avec éloquence de cet aspect de sa production. Si le personnel évolue d’un album à l’autre, s’ouvrant aux musiciens blancs et latinos (Marty Ehrlich, David Fiuczynski, Lindsay Horner, Ray Mantilla), les successeurs les plus constants de Roscoe Mitchell, George Lewis et Leroy Jenkins se nomment Andrew Cyrille, Warren Smith, Thurman Barker (batterie, percussions), John Purcell, Patience Higgins, Eugene Ghee (clarinettes et saxophones), Vincent Chancey (french horn). Mais au-delà des changements de musiciens et de leur nombre, l’univers de Muhal Abrams, où se mélangent blues élémentaire et structures post-bop, ampleur symphonique et sensibilité chambriste, compositions tonales et atonales, arrangements élaborés et free jazz, offre, en toutes circonstances, l’une des synthèses musicales les plus ambitieuses que la Great Black Music nous ait jamais proposée.

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