Mark Oliver Everett signe le retour gagnant de Eels

Attitude épanouie, presque insouciante, Mark Oliver Everett revient avec un nouvel album de Eels impeccable de bout en bout. © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Fraîchement marié, papa et divorcé, Mark Oliver Everett signe un retour gagnant avec The Deconstruction. Un douzième album d’Eels aux allures de best of.

« Salut, on pourrait faire la bio habituelle de maison de disques pour ce nouvel album, mais sérieusement, qui en a quoi que ce soit à foutre? Le monde est en piteux état. C’est juste de la musique. De la musique par un mec qui tend à croire que le changement commence dans ton propre jardin. » Comme toujours avec lui teintée d’humour, la petite lettre promotionnelle accompagnant le nouvel album d’Eels en disait long sur l’état d’esprit de Mark Oliver Everett. « Le monde devient fou, y poursuivait-il. Mais si tu cherches, il y a encore de grandes beautés à y trouver. »

Il est environ 13 heures à Londres, ce jeudi 15 février. Dans les pubs et une indifférence assez saisissante, les écrans de télé passent en boucle des images de Parkland. Dix-sept morts, quinze blessés hospitalisés. La fusillade floridienne est l’une des plus meurtrières survenues aux États-Unis en milieu scolaire. Souriant mais planqué derrière des lunettes de soleil tout au long de la rencontre, E ne s’épanche pas. Répond brièvement. Va droit au but. Il évite de se lancer sur le débat des armes en vente libre et assume son optimisme malgré l’état inquiétant du monde. « Rien n’est facile. Certainement pas d’être positif et de voir en permanence le bon côté des choses. La dernière chanson du disque s’intitule In Our Cathedral . La cathédrale représente le choix qu’on a d’être heureux. Quelle que soit notre réalité. De toute évidence, c’est plus compliqué quand tu vis des situations de merde. Mais c’est la clé du bonheur, je pense. Accepter ta situation et décider de t’en satisfaire. Ou pas… C’est ma réalité. Pourquoi ne pas en être content? »

Optimisme fataliste, béate résignation ou méthode Coué? Everett va bien. Il semble épanoui, presque insouciant. Pourtant, la tragédie, les drames, le natif de Virginie ne connaît que trop bien. À 19 ans, Mark Oliver découvre le corps sans vie de son père, le physicien Hugh Everett III, un Elvis de la science célèbre pour son travail sur les univers parallèles, foudroyé par une crise cardiaque. En 1996, sa soeur aînée Elizabeth se suicide alors qu’il défend sur les routes le premier album de Eels, Beautiful Freak. Sa mère étant emportée deux ans plus tard par un cancer, on en oublierait presque son cousin, disparu le 11 septembre 2001 dans l’avion détourné par les terroristes sur le Pentagone.

Aujourd’hui âgé de 54 printemps, Everett vient d’avoir son premier enfant. Il lui adresse un morceau de son disque mais ne l’évoque à aucun moment de notre rencontre. Depuis la sortie du précédent album de Eels, Mark Oliver est tombé amoureux. Il s’est marié avec une Écossaise qui travaille dans l’industrie du cinéma, a divorcé et a eu un fils: Archie. « Je ne vois pas les choses de manière optimiste depuis bien longtemps. Toutes les chansons sont aussi des messages que je m’adresse à moi-même. Je ne suis pas un expert. J’essaie juste de me souvenir. C’est compliqué de toujours réaliser les choix qui vont te rendre heureux. Tu dois t’obstiner. Faire des efforts. Il ne suffit pas de décider une fois pour toutes… J’ai pris conscience de comment les choses fonctionnent. Quelle que soit ta situation, elle peut toujours être pire. Et bien pire. Tu ne le sais pas avant que ce soit le cas. Un jour, ton pire problème, c’est un truc. Et lendemain, c’en est un autre, bien plus grave. Et tu regrettes de ne déjà plus être hier. Tu pleures un jour que tu trouvais dégueulasse quelques heures plus tôt. »

Mark Oliver Everett signe le retour gagnant de Eels

Pause carrière

Enregistré en Californie, dans les studios The Compound à Los Feliz et The Pie à Pasadena, The Deconstruction est une petite merveille. Il s’apparente à un best of de Eels entièrement composé de nouvelles chansons. Des titres qui auraient eu leur place sur les meilleurs albums du génial binoclard: Beautiful Freak, Daisies of the Galaxy, Souljacker… Orchestrés, The Deconstruction (la chanson) et Sweet Scorched Earth ont un parfum nick-drakien. Today Is the Day sonne comme un petit frère de Mr. E’s Beautiful Blues. Et You Are the Shining Light sort les guitares. « Quand j’ai commencé à bosser sur ce disque, je ne savais pas vraiment où j’allais. Souvent, j’ai un concept. Ou du moins une idée de ce que je veux qu’il raconte. Mais là, je ne savais même pas que j’étais en train de faire un album. C’était vraiment chanson par chanson. Je n’ai compris qu’après peut-être deux ans. Je n’écris que quand je suis inspiré. J’écris et j’enregistre. Ce qui est une manière cool de fonctionner quand tu as le temps. Tu te lèves, tu sens que ça vient, tu fais une chanson et puis tu n’en ponds plus une pendant six mois. Après deux ans, tu as une pile de morceaux qui se sont accumulés. Tu les rassembles. Tu regardes s’ils s’accordent bien ensemble. » Il n’est pas toujours évident de combiner les choses. « Parfois elles te semblent assorties. Parfois pas. Ça dépend aussi sans doute de l’auditeur. Moi, j’essaie de formuler une espèce de narration, de raconter quelque chose qui a du sens dans un contexte plus large. Tu peux juste te comporter avec toi-même comme si tu étais le public. Tu ne peux pas écrire en te demandant si les gens vont aimer, si tes chansons vont leur parler. Ça ne marche pas. Donc, tu essaies de t’impressionner autant que possible. Et si tu as de la chance comme moi, des auditeurs suivent. »

Les chances, Mark Oliver Everett les a toujours mises de son côté. Travaillant d’arrache-pied. Oubliant même souvent de se ménager. Depuis son dernier album studio, The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett, quatre années se sont écoulées. « Ça a été le premier vrai break de ma carrière. Ça ne m’était jamais arrivé parce que j’avais toujours eu envie d’avancer. Mais là, j’en étais arrivé à un point où je devais faire attention et enfin m’accorder cette pause. Quand tu es monomaniaque et consacres tout ton temps à une seule et même chose, elle finit par te rattraper. Ma vie à moi, ce n’était que le travail. J’ai réussi à me régénérer puisque me voilà. J’ai juste essayé de ne pas bosser. Je n’ai pas vraiment d’autre passion que la musique. J’ai tenté de me relaxer, de prendre du bon temps. J’étais fatigué. J’avais besoin de repos. C’était à la fois physique et mental. »

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L’acte de création en lui-même avait fini par le ronger… « Ça prend une énergie et une concentration incroyables de faire un disque. Mixer une chanson notamment… C’est éprouvant. Et je mixe tout le temps au fur et à mesure. Beaucoup de gens attendent le dernier moment, que tout soit fini avant de mixer. Moi je mixe pendant le boulot. Ça permet de terminer les choses. OK, c’est fait. Mais ça demande de toujours bien garder à l’esprit le disque dans son entièreté. Si tu joues une ligne de basse, tu ne peux pas t’arrêter à ça. Tu dois réfléchir à comment elle participe à l’album. »

Pendant son repos du guerrier, Everett a notamment fait quelques apparitions dans la série Love créée par Judd Apatow. La rencontre à Los Angeles de deux trentenaires en mal d’amour. La première fois, il reprenait Paul McCartney et les Wings dans son salon. « Je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds. Je connais quelques mecs de la série Mad Men . Le type qui joue Roger Sterling, John Slattery, réalisait cet épisode. Love n’était pas encore sorti. Je n’en avais jamais entendu parler. Il m’a envoyé un message. Tu n’as pas envie de venir? On va jouer Jet . Je lui ai répondu: « Je ne comprends pas trop ce que tu me veux mais j’aime bien ce morceau. » C’est après que j’ai réalisé. Je suis retourné plus tard pour d’autres épisodes. Une nouvelle saison sort ce mois-ci sur Netflix. »

Flower power

Il y a quelques années circulaient des rumeurs concernant l’adaptation cinématographique de Things the Grandchildren Should Know. L’autobiographie qui aurait dû aider E à exorciser tous ses démons. Un bouquin qui, s’il ne lui a pas permis de tirer un trait sur les malheurs de la vie (« je l’espérais mais je pourrais facilement écrire une suite aussi dramatique »), a aidé pas mal de gens à surmonter le deuil. « J’ai été approché mais rien de concret ne s’est dessiné. Ça arrivera peut-être un jour. C’est possible. Il faudrait que le projet me parle vraiment. Et non, je ne jouerais pas dedans. Je suis trop vieux. Il y a une raison pour laquelle on aime autant la lecture et la musique, j’imagine. Peut-être puis-je contribuer à la vie des gens d’une petite manière qui provoquera de plus grands changements? Un morceau comme Today Is the Day parle justement d’opérer des changements dans sa vie. Si quelqu’un l’entend au bon moment, peut-être qu’elle l’interpellera, qu’elle le poussera à se décider. C’est probablement l’une des seules choses auxquelles je peux contribuer. »

Mark Oliver Everett signe le retour gagnant de Eels

« You can kill or be killed, the sun is gonna shine« , chante le barbu sur Premonition, désarmant dans son dépouillement. « J’essaie de dire: ne sois pas trop obsédé par ta petite personne. Ce n’est pas si important que ça à l’échelle du monde. Le soleil va tout de même briller. Il n’en a rien foutre de ton cas. Ça peut être interprété de différentes façons, mais pour moi, c’est quelque chose de plutôt réconfortant. C’est juste pour te rappeler combien tu es petit dans ce vaste univers. Ça fera du bien à certains. Sans doute pas à d’autres. »

La pochette de l’album, une allumette et un bouquet, résume plutôt bien l’esprit du disque. « Pour moi, Deconstruction parle du fait qu’on passe notre vie à construire toutes ces défenses. Des lois, tout ce qui nous protège… Mais que se passerait-il si nous les démolissions. Qu’y a-t-il au fond de nous qu’on protège? Je pense que c’est une innocence, une douceur… Plutôt que de dresser ces murs, on pourrait juste y mettre le feu. Les flammes deviendraient de jolies fleurs… »

The Deconstruction, distribué par E Works/Pias. ****(*)

Le 08/07 à Rock Werchter.

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D’un Eels à l’autre…

À travers The Deconstruction, album impeccable de bout en bout, truffé de petites pépites, Mark Oliver Everett renoue avec son glorieux passé et ses disques Dreamworks.

Beautiful Freak (1996)

Mark Oliver Everett signe le retour gagnant de Eels

Premier album pour Eels et première sortie pour la société de production et de distribution Dreamworks cofondée par David Geffen, Jeffrey Katzenberg et… Steven Spielberg, Beautiful Freak marque les esprits par sa pop inventive et spleenesque. Puis la gamine aux yeux écarquillés qui lui sert de pochette. Le coup d’essai est un coup de maître.

Electro-Shock Blues (1998)

Mark Oliver Everett signe le retour gagnant de Eels

Conçu comme une thérapie, pied de nez au succès commercial programmé, Electro-Shock Blues est un disque de deuil. Un disque sombre, plombé, qui parle de mort, de funérailles et de cancer. De la bouffe d’hosto (Hospital Food) et de la soeur d’Everett gisant sur le carrelage (Elizabeth on the Bathroom Floor).

Daisies of the Galaxy (2000)

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Suite logique et en même temps art du contre-pied. Daisies of the Galaxy sonne comme la BO d’un E qui reprend goût à la vie… Son troisième album studio est une collection de comptines douces et pop qui aiment les oiseaux et ont la fraîcheur du printemps. Un disque plus léger qui s’ouvre par une marche funèbre mais se fredonne sous la douche.

Souljacker (2001)

Avec Souljacker, fabriqué en compagnie de John Parish, E assume sa schizophrénie, durcit le ton et se mue en rocker. Le titre de l’album est inspiré de faits réels et d’un serial killer arrêté à San Francisco en 1996 qui prétendait voler l’âme de ses victimes. Everett barbu et encapuché sur la pochette… Pas génial pour une sortie en septembre 2001.

Shootenanny! (2003)

Complètement détruit par Pitchfork à sa sortie (2,8/10, qui dit mieux?), Shootenanny! conclut dans toute sa diversité la période Dreamworks de Eels. Peut-être pas l’album le plus consistant de Mark Oliver mais un disque qui a son charme et comme d’hab sa panoplie de singles (Saturday Morning, The Good Old Days, Rock Hard Times)…

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