Listen! à Bruxelles: « Rapidement, il était clair qu’il fallait maintenir le festival »

DJ Food © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cela manquait dans la capitale de l’Europe: ce 14 avril, Bruxelles inaugure Listen!, nouveau festival électronique, planté au coeur de la ville.

On a déjà vu lancement plus simple. Moins d’un mois après les attaques sur son aéroport et son métro, Bruxelles voit la naissance d’un tout nouveau festival électronique: Listen! Créer un événement n’est jamais évident. D’autant moins quand il faut composer avec une actualité aussi violente que tragique… « On s’est évidemment réunis pour en discuter et envisager une éventuelle annulation. Mais rapidement, il était clair qu’il fallait maintenir le festival », explique Dirk De Ruyck, l’une des chevilles ouvrières du projet. Certes, les jours qui ont suivi les attaques, les préventes se sont logiquement effondrées. « Mais on ne veut pas paniquer. Je suis certain que cela va reprendre. On continue à viser le sold out. » Fin de l’année dernière, déjà, le lockdown bruxellois avait fait son petit effet. « J’avais une option pour deux grosses têtes d’affiche. Avec elles, on était à peu près sur du velours. Mais après les événements à Paris et les répercussions sur Bruxelles, les artistes ont préféré annuler. » Résultat: en décembre, quand Dirk De Ruyck part une semaine en congé, Listen! n’a toujours aucun nom à proposer. « Le stress!… » Baisser les bras n’est cependant pas trop dans le genre de la maison. La situation a fini par se débloquer, en deux semaines. Et jusqu’à présent, malgré les attentats du 22 mars, tous les artistes ont confirmé leur venue…

Listen!, première édition, aura donc bien lieu. Son ambition est d’imposer un festival de musiques électroniques au coeur de la capitale de l’Europe. Sans, pour cela, se sentir obligé de surfer sur les têtes de gondole dance (type Guetta, Aoki et autres van Buuren). A la place, Listen! souhaite plutôt avancer une affiche curieuse, à la fois pointue et accessible, qui se disperserait dans plusieurs endroits différents de la ville. Par ailleurs, le festival n’entend pas se limiter à la musique stricto sensu: dès cette année, il se décline aussi à travers une exposition ou des conférences (lire plus loin)…

A la manoeuvre, on retrouve un trio bien connu de la vie culturello-nocturne: Lorenzo Serra (les soirées Dirty Dancing, Libertine/Supersport…), Serge Vanderheyden (fondateur de BeeGroupe, qui organise notamment les Brussels Fashion Days, la Fiesta Latina…) et donc Dirk De Ruyck, lui aussi tout sauf un inconnu: personnage à l’ambition aussi débordante que l’enthousiasme, on lui doit notamment les légendaires soirées gantoises du Culture Club ou le label Eskimo (Aeroplane, etc.). Aujourd’hui, à côté de sa nouvelle enseigne musicale baptisée Smile Recordings, et du booking pour soirées (Bloody Louise, à Bruxelles) ou festivals (We Can Dance), il a donc décidé de lancer son propre événement. Les modèles visés sont clairs: il s’agit moins de lorgner des grosses bamboules dance, type Tomorrowland, que de s’inspirer d’exemples tel le vénérable Sonar de Barcelone, référence depuis plus de 20 ans, ou l’Amsterdam Dance Event (ADE), devenu aujourd’hui incontournable. De rendez-vous réservé aux professionnels, la manifestation amstellodamoise s’est transformée en véritable mastodonte électro: aujourd’hui, elle s’étend sur cinq jours, proposant quelque 300 événements. Près de 2.000 DJ se retrouvent répartis sur une centaine d’endroits, attirant officiellement pas moins de 360.000 curieux. « J’ai pu assister aux débuts de l’ADE. C’était encore assez modeste. Aujourd’hui, près de 20 ans plus tard, c’est toute la ville qui est mobilisée par l’événement. » A Bruxelles, on n’en est évidemment pas encore là… « C’est certain, cela prendra du temps. Mais le but n’est pas non plus de s’aligner complètement. Avec Listen!, l’envie est de proposer quelque chose d’un peu moins commercial, d’un peu plus « left-field ». »

Cela fait un moment qu’avec Lorenzo Serra, Dirk De Ruyck pense à créer un grand rendez-vous des musiques électroniques à Bruxelles. « Je suis venu vivre ici il y a sept ans. Comme un Flamand. En pensant que personne n’allait vouloir parler avec moi (rires). Je continuais d’ailleurs encore à faire beaucoup d’allers-retours jusqu’à Gand. Puis, il faut être honnête: quand tu évolues dans le business musical en Belgique, tu te rends compte que c’est plutôt en Flandre que ça se passe. C’est là que se trouve le centre nerveux. Mais une fois que tu creuses un peu, tu te rends compte qu’il s’organise énormément de choses aussi à Bruxelles. Petit à petit, j’ai appris à mieux connaître la ville. En fait, il faut vivre ici pour comprendre et réaliser à quel point cela bouge. Il y a vraiment plein de chouettes initiatives. Mais pas toujours grand-chose pour les pousser en avant. »

Certaines de ces initiatives se retrouvent directement impliquées dans le programme de Listen! A la manière d’un agrégateur de contenus, le festival joue les rassembleurs. Par exemple en confiant aux soirées/label Holger le soin de programmer la soirée d’ouverture, plutôt orientée ambient. « Ils sont très forts dans leur créneau. C’est normal qu’ils prennent la main sur cette partie-là de la programmation. » Le lendemain, ce sont notamment les soirées Nose Job de Rick Shiver qui régaleront à l’Epicerie moderne, tandis que l’enseigne soul-funk-hip-hop Strictly Niceness du camarade Kwak se plantera au café Soul Inn. « Ce sont des propositions très différentes. Mais les deux ont des choses intéressantes à raconter. »

[cliquez sur la carte interactive ci-dessous pour les détails de la programmation]

Sous la bannière de Listen!, ce sont ainsi les principales forces vives de la vie nocturne bruxelloise que Dirk De Ruyck veut, à terme, parvenir à rassembler le temps d’un week-end. Y compris des institutions comme le Fuse, par exemple, club techno toujours essentiel de la capitale? « Absolument. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, parce que cela reste une première édition, et qu’on avait besoin de marquer notre identité. Mais l’envie est là. » L’ambition est même de sortir clairement l’électronique de ses lieux habituels: pourquoi pas par exemple en investissant Bozar, qui a montré depuis longtemps maintenant son intérêt pour la culture électro? « Le Bozar, mais aussi pourquoi pas le KVS, le Théâtre National… Je rêve par exemple d’un concert de Kraftwerk à La Monnaie! »

Pour sa première édition, la dispersion reste encore relativement modeste: à côté du Square (ex-Palais des Congrès) qui accueillera la grosse soirée du samedi, les lieux font plutôt dans l’intime, du théâtre Lumen au Beursschouwburg. Mais l’idée est là: celle qui consiste à investir la ville, jusqu’à en faire un acteur même du festival. « Bruxelles est au carrefour de l’Europe, à une heure et demie de Paris, à peine davantage de Londres et d’Amsterdam: c’est fou qu’elle n’ait pas encore un grand événement électronique. Le slogan de Listen! le dit bien: a Brussels future music festival… »

Cela ne pourra pas faire de mal à une ville en large déficit d’image. Les autorités l’ont d’ailleurs, semble-t-il, bien perçu, à la Région comme à la Ville. « D’un côté, monter un événement à Bruxelles est très compliqué, parce que vous avez affaire à une dizaine d’intervenants différents, c’est vraiment incroyable!…. Mais de l’autre, je dois constater, à ma grande surprise, que l’on a été partout très bien accueilli et soutenu. » Il faut dire que la musique électronique n’effraie plus grand-monde. Certes, l’image de grandes raves décadentes et droguées n’a pas complètement disparu. Mais plus de 25 ans après la première Love Parade, les responsables politiques commencent à comprendre tout ce que la culture électro peut apporter à une ville. Notamment en termes de retombées médiatiques, touristiques, et évidemment économiques: organisé par Buma Sterma (l’équivalent néerlandais de la Sabam), l’Amsterdam Dance Event rapporterait entre 25 et 30 millions d’euros à la Ville…

LISTEN! <3 Brussels - Part 3

Posté par LISTEN – A Brussels Future Music Festival sur dimanche 10 avril 2016

Bienvenue au club

Le concept d’un festival dance urbain n’est évidemment pas neuf. En France, Lyon a par exemple pu profiter du rayonnement européen toujours plus important des Nuits sonores. Le directeur du festival, Vincent Carry, expliquait ainsi à Euronews: « (Lyon) est une ville qui a eu très longtemps un déficit d’image à l’international et qui est en train de le combler. » Lancé en 2003, le festival a en effet dès le début cherché à s’inscrire dans la cité, proposant par exemple encore cette année près de 250 artistes dans une cinquantaine de lieux différents.

Récemment, c’est Anvers qui s’est offert un nouveau rendez-vous musical électronique, au line-up quatre étoiles (James Holden Jlin, Andy Stott…). Baptisé Over Tijd, il est l’oeuvre de l’équipe de 5 voor 12 -la même qui, jusqu’en 2014, organisait les 10 Days Off, festival pionnier des musiques électroniques en Europe. Etalé sur trois jours, du 11 au 13 mars derniers, l’événement s’est splitté entre cinq endroits différents, parfois situés aux deux extrémités opposées de la ville (le Trix et le Petrol).

La multiplication de ce genre de propositions électroniques peut s’expliquer facilement. Vincent Carry, toujours, pour les Nuits sonores: « Nous avons décidé de faire l’exact opposé de ce qu’étaient en train de devenir ce que j’appelle les mass-festivals: les grands festivals dans les pays de l’Est, parfois en Espagne, parfois en Angleterre ou en Belgique. Nous n’avions plus envie de ces festivals-là. Nous avions envie d’un festival qui retrouve le sens de l’urbanité et de la convivialité. » Les grandes kermesses EDM ne sont donc pas la panacée. Comme en rock, la « résistance » des petits s’organise. Ces dernières années, le calendrier des festivals a vu ainsi débouler des événements dance à dimension plus modeste: que ce soit We Can Dance (sur la plage de Zeebruges), Paradise City (à l’ombre d’un château de la banlieue bruxelloise), Voodoo Village (dans le Brabant flamand bucolique)…

Ces rendez-vous ne se posent cependant pas seulement comme alternative aux festivals mammouths. Jusqu’à un certain point, il n’est pas interdit d’y voir aussi une nouvelle manière d’envisager le clubbing. Notamment pour une génération qui aurait perdu l’habitude de sortir en boîte. Le mois dernier, une enquête du Guardian se penchait sur la désertion des clubs par les « millenials »: notant les disparitions successives de plusieurs lieux emblématiques de la nuit londonienne, le prestigieux quotidien constatait que les jeunes actuels ne semblent plus autant fréquenter les clubs qu’avant. Selon l’Association of licensed multiple retailers, la moitié des 3.144 établissements recensés en 2005 auraient ainsi disparu. Au début de l’année, le prix d’entrée en boîte était même retiré du « panier de la ménagère » britannique servant à calculer l’inflation… Sont avancées comme raisons de cette désaffection, en vrac, les prix d’entrée et de boissons de plus en plus élevés, l’interdiction de fumer, le fait de préférer faire la fête chez soi… Même comme lieu d’aventures et de rencontres, le club cède du terrain: pourquoi s’acharner à élaborer des tactiques de séduction en hurlant sur la piste de danse, quand Tinder permet de ratisser sans bouger de chez soi? « Puis, avant, tu retournais dix fois dans la même soirée pour espérer réentendre le morceau inconnu sur lequel t’avais flashé, explique encore Dirk De Ruyck. Aujourd’hui, il te suffit de « shazamer » le titre… Mais cela ne veut pas dire que le club disparaît. C’est juste une manière différente de sortir. »

En Belgique, des clubs historiques comme le Café d’Anvers ou le Fuse (qui vient de fêter ses 22 ans) tiennent d’ailleurs toujours bon. Mais sans plus détenir le « monopole ». A la manière de Listen!, qui veut la distiller dans la ville, la musique dance électronique s’infiltre un peu partout désormais, aussi bien dans les bars que les théâtres, salles de concert, etc. Retiens la nuit…

Mode d’emploi

Quand? Du 14 au 16/04.

Où? Hormis la programmation du samedi centré au Square, le reste de l’affiche se disperse dans une petite dizaine de lieux différents, à Bruxelles.

Quoi? Le jeudi 14, Listen! démarre au Théâtre Lumen (Ixelles), avec une soirée concoctée par Holger, entre ambient et down-tempo, et dont l’invité d’honneur est le label amstellodamois Music from Memory. After dès 23 h aux Halles Saint-Géry (17 euros le combiné).

Le vendredi 15, Listen! se disperse dans le centre, entre le Bonnefooi (Miles Whittaker…), le Beursschouwburg (Pauw…), le Soul Inn (DJ Food…) et l’Epicerie Moderne (Tolous Low Trax…).

Samedi 16, le festival sert la grosse artillerie au Square. Après le concert d’ouverture de Manuel Göttsching, pionnier de la kosmische musik et du krautrock, la principale soirée du festival s’étalera sur trois salles, avec e.a. Omar S, Fatima Yamaha, Harvey Sutherland (25 euros)…

Mais aussi? A côté des soirées, Listen! propose également une expo de l’Autrichien Peter Kogler (à l’ING Art Center). Le samedi, toujours au Square, l’entrée sera gratuite pour accéder à la foire aux vinyles, ainsi qu’à la conférence rassemblant Fabrice Lig (éminence techno carolo), San Soda (house made in Belgium), Dimitri Hegeman (fondateur du mythique Tresor berlinois) et Bill Brewster (auteur de la bible dance, Last Night, a DJ Saved My Life).

Infos? www.listenfestival.eu

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